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Le disque dur du futur passera-t-il par l’ADN des bactéries ?

Le Vif

En 1878, le photographe anglais Eadweard Muybridge réalisait le tout premier court-métrage sur la base de clichés d’une jument au galop. Cent quarante ans plus tard, cette oeuvre est le premier film à être encodé… dans l’ADN de cellules bactériennes vivantes.

Il peut y être récupéré et lu à volonté mais aussi répliqué à l’infini à mesure que l’hôte bactérien se reproduit. Cette prouesse technique, relatée dans la prestigieuse revue Nature, est le fruit des travaux génétiques menés par Seth Shipman et ses collègues de la faculté de médecine de Harvard. Ils n’ont de cesse d’explorer le potentiel du génome en tant que vaste dispositif de stockage. George Church, l’un des auteurs de cette étude, avait déjà fait parler de lui en 2012 en parvenant à stocker 70 milliards de copies de son livre Regenesis dans de l’ADN bactérien.

Revenons-en au film. Enregistrer un court métrage en noir et blanc dans le code génétique d’un microbe n’est pas une sinécure. Les chercheurs ont tout d’abord dû inventer un code reproduisant les nuances de gris. Chaque pixel s’est ainsi vu attribuer une séquence ADN exprimée par la succession de plusieurs bases. Ces dernières sont les lettres de l’alphabet de l’ADN et sont au nombre de 4 : A (adénine), T (thymine), G (guanine) et C (cytosine). Par ailleurs, chaque pixel a été associé à un code-barres indiquant sa position dans l’image.

Une fois le fichier numérique de la petite vidéo réécrit avec ce code génétique, le plus dur restait à faire : l’intégrer dans le génome de bactéries vivantes. Pour ce faire, les scientifiques ont utilisé le fameux CRISPR. Cette révolutionnaire  » paire de ciseaux génétique  » permet d’insérer des séquences d’ADN dans un génome. Ici, en l’occurrence, celui d’une bactérie intestinale commune dénommée Escherichia coli.

Cet outil d’édition du génome dérive d’un système naturel de défense des bactéries contre les virus. Lorsque l’un d’eux attaque une bactérie, cette dernière en découpe l’ADN viral et en insère des petits bouts dans son propre ADN. Cette astuce lui donne désormais le pouvoir de reconnaître cet agresseur. Ce caractère immunitaire singulier est ensuite transmis à sa descendance.

Cette particularité biologique, Seth Shipman l’a détournée pour enregistrer le film. A la place de l’ADN des virus, les bactéries ont intégré dans leur propre génome des centaines de fragments de vidéo codés en alphabet ADN. Et ce, à raison d’une image par jour pendant cinq jours. A-t-on pu récupérer l’information, donc repasser de l’ADN aux images ? Après avoir mis ces bactéries en culture, les chercheurs ont séquencé les zones d’intérêt de leur génome et en ont converti les informations génétiques en langage numérique. Verdict ? Le film a été reconstitué avec une précision de plus de 90 %. Même au-delà de la 48e génération de ces microbes, le film stocké a été préservé quasi intact.

Si ce processus de copiage est encore lent, des développements sont en cours pour l’accélérer. Avec dans le viseur, une révolution potentielle : reléguer CD, DVD et autres Blu-ray au rang d’antiquités.

Par Laetitia Theunis.

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