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La variole : le monstre qui dort dans un frigo

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Le New York Times diffuse un documentaire effrayant sur le virus de la variole. Éradiquée depuis 1980, cette maladie infectieuse éruptive a fait des ravages chez les humains pendant plus de trois mille ans. Pourtant, les scientifiques qui en détiennent encore des échantillons ne peuvent se résoudre à le détruire. Pourquoi ?

La variole est un des virus les plus dangereux au monde. Hautement contagieux, il s’attaque uniquement aux humains, tuant 30 % des personnes infectées en quelques jours dans d’atroces souffrances. L’épidémie a été officiellement éradiquée en 1980 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) grâce à une campagne de vaccination efficace. Il s’agit de la seule maladie éradiquée grâce à un vaccin. Un des plus grands succès de la médecine moderne.

Seuls deux échantillons du virus ont été conservés, l’un dans le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) à Atlanta aux États-Unis et l’autre dans le laboratoire gouvernemental russe Vector. Depuis, le débat ne cesse. Faut-il, oui ou non, détruire définitivement le virus ?

Sur son site internet, le New York Time diffuse le reportage d’Errol Morris qui interroge différents protagonistes à propose de la variole. En premier lieu, Donald Henderson, éminent épidémiologiste qui a participé à l’éradication de la variole en mettant en place la vaccination systématique des enfants. Il est en faveur de la destruction des derniers échantillons du virus. Selon lui, « il existe toujours la possibilité que quelqu’un puisse l’utiliser comme une arme ».

Selon les scientifiques de l’époque, garder des échantillons du virus était utile si la maladie (ou un autre type de virus semblable) devait refaire son apparition. Cela, pour pouvoir mettre au point un vaccin ou un traitement.

En 1994, Donald Henderson a participé à un Conseil National de Sécurité qui devait décider si oui ou non on devait garder le virus. « Tout le monde était d’accord pour le détruire, sauf la Défense », témoigne-t-il. Quelqu’un pourrait déterrer un corps et le virus pourrait se répandre à nouveau, aurait-on argumenté. Peu crédible, selon Henderson.

En vérité, les scientifiques n’avaient plus réellement besoin du virus pour fabriquer le vaccin puisque c’est le virus de la vaccine, qui cause la variole de la vache, qui permet d’être immunisé contre la vraie variole.

Quelle est donc la véritable raison qui pousse l’armée à garder ce virus au lieu de tout simplement le détruire ? « Supposons que nous détruisons nos stocks et que la Russie ne le fasse pas », aurait avancé la Défense, selon Henderson. Pour l’armée, cela revient au même que de garder l’arme nucléaire, même si l’on n’a pas l’intention de s’en servir.

De son côté, Peter Jahrling, chercheur au United States Army Medical research institute of infectious diseases, ayant travaillé sur le virus de la variole, affirme que garder le virus est essentiel.

Lors de ses recherches, il a tenté d’infecter des singes pour pouvoir créer un « modèle » sur lequel on pourrait ensuite tester des traitements et des vaccins, ce qu’exige l’Agence du médicament avant la mise sur le marché.

Le problème, c’est que la variole ne s’attaque qu’aux humains. Il a donc tenté d’infecter des singes avec des aérosols du virus fortement dosés, mais sans succès.

En 1999, alors que l’OMS lui demande de conclure sur un échec et de détruire le virus définitivement, il demande une année supplémentaire pour terminer son travail. C’est alors qu’il décide, en plus des aérosols, d’infecter les singes par intraveineuse.

« L’expérience est un succès », se réjouit Jahrling. Pratiquement tous les singes sont morts en trois jours à peine. L’OMS félicite l’équipe pour son succès, mais demande tout de même la fin des travaux. Inutile d’aller plus loin, cela fait déjà près de 20 ans que la maladie est éradiquée.

De plus, le modèle établi n’est pas assez représentatif puisque la dose inoculée est trop importante. Cela ne peut donc pas servir de modèle pour le cas humain.

Jahrling ne s’avoue pourtant pas vaincu et propose de modifier le virus pour qu’il soit capable d’infecter le singe et créer ainsi un modèle plus affiné. Mais fort heureusement, modifier le virus est interdit. « La seule raison qui fait que ce virus a pu être éradiqué est qu’il s’est seulement attaqué aux humains. Et vous voudriez l’adapter aux singes ? On ne peut pas vous laisser faire ça », lui auraient répondu les responsables de l’OMS. Aujourd’hui, le scientifique n’accepte toujours pas d’être passé à côté de l’opportunité de terminer son « oeuvre ». Selon lui, la menace d’une arme biologique plane toujours.

Il vrai qu’elle ne pourra être écartée tant que des échantillons du virus seront gardés au frais dans des laboratoires. Pourquoi donc garder un virus si dangereux, alors que l’on pourrait s’en débarrasser définitivement ? L’orgueil, sans doute.

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