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La méditation au secours de la dépression

De nouvelles passerelles se créent entre psychothérapie et spiritualité. La pratique spirituelle datant de l’époque de Bouddha associée à des thérapies cognitives de pointe est en train de révolutionner la psychiatrie. Explications.

Face à l’explosion des dépressions, il est urgent de remettre à plat les modes de pensée en vigueur et d’en inventer d’autres. Les psychothérapies nouvelles, dites de troisième génération, s’y emploient. Elles sont fondées sur l’acceptation des émotions, la méditation et la pleine conscience. Rencontre avec le Dr Yasmine Liénard, psychiatre française et auteure de Pour une sagesse moderne (éditions Odile Jacob).

Le Vif/L’Express : Comment définissez-vous la dépression ?

Yasmine Liénard : Dans la classification classique des maladies mentales, la dépression est désignée par un « code » DSM 4. Elle englobe cinq parmi neuf symptômes qui doivent être présents depuis au moins quinze jours : tristesse, perte de plaisir, troubles d’appétit, fatigue, diminution d’intérêt pour le monde environnant, agitation ou ralentissement moteur, culpabilité, problème de concentration et pensées morbides. Ce sont des critères officiels justifiant une prise en charge. Dans la dépression, il y a aussi le problème de rechutes. Quand une personne fait une dépression, elle a 50 % de chance d’en faire une deuxième et 80 % de chance d’en faire une troisième. Donc, la dépression n’est quasiment pas guérissable car, dès le premier épisode, une « empreinte est laissée ». La cause de la dépression est, selon les théories psychologiques, depuis la psychanalyse, soit biologique, soit génétique.

Les psychologues américains ont fourni de nouvelles pistes. Lesquelles ?

Dans les années 1990, une nouvelle hypothèse, psychologique, inspirée par les travaux en science cognitive, a été développée par des psychologues américains, tels Steven Hayes, Zindel Segal ou Marsha Linehan. Leur travail s’est focalisé sur le « noyau » de pensée d’un déprimé. Ils sont arrivés à la conclusion suivante : la dépression, ce qui fait déprimer, vient de ce qu’on se raconte dans la tête. Un déprimé rumine, il se tricote des pensées qui entretiennent des émotions négatives et le font souffrir. Il va en rajouter par des pensées autodestructrices et inutiles comme : « C’est affreux » ou « C’est horrible ». La non-acceptation de la souffrance crée de la souffrance. Autrement dit, quand quelqu’un se sent triste et souffre et quand il essaie à tout prix de sortir de cette souffrance, il va entraîner une lutte qui va générer davantage de souffrance. Les pensées autodestructrices sont sans rapport avec la réalité. Plus on se fait son « cinéma » dans la tête, un cinéma faux et déconnecté du réel, plus on génère de la peur, du stress et de l’anxiété. Or on peut se sentir mieux, en agissant sur son esprit et non sur son environnement. Bouddha, le premier, a démontré le rôle des pensées dans la souffrance et les bénéfices de la méditation pour mettre à distance les phénomènes mentaux.

Ce constat a bouleversé toutes les catégories diagnostiques…

Oui. Et il a donné naissance à une troisième vague de thérapies cognitives et comportementales, dites « émotionnelles ». Arrivées en France, et aussi en Belgique, vers 2006, elles ouvrent la porte au traitement de tous les troubles mentaux, la dépression, mais aussi l’anxiété, les phobies, les troubles du comportement alimentaire, l’alcoolisme, etc. Le coeur de ce protocole consiste à apprendre aux sujets à accepter leurs états émotionnels, même douloureux, et à ne pas chercher à fuir leur vulnérabilité. Autrement dit, nous souffrons parce que nous ne voulons pas souffrir. Selon moi, nous sommes dans une véritable révolution psychiatrique.

Les modèles actuels de compréhension de la souffrance psychique rejoignent les enseignements de Bouddha. On est en train de jeter les ponts et d’établir les passerelles entre la science et le bouddhisme. Aujourd’hui, les psychiatres, les psychologues, les philosophes et les bouddhistes travaillent main dans la main. Il suffit de citer les noms du psychiatre français Christophe André, du chercheur belge Ilios Kotsou ou encore celui de Matthieu Ricard, célèbre docteur ès sciences devenu moine bouddhiste.

Vous dites que nous souffrons car nous refusons d’accepter notre vulnérabilité. Vous plaidez en quelque sorte pour la remise à plat des valeurs du XXe siècle, tels la performance, l’exigence de réussite et le perfectionnisme ?

Oui, tout à fait. Avec la crise, toutes nos valeurs, notamment de sécurité, et toutes nos croyances se sont écroulées. On essaie de se raccrocher, on cherche des repères, soit à l’extérieur, soit à l’intérieur. Il faut se tourner vers le dépouillement. Ce qui reste en nous, c’est l’être. Le chemin d’aujourd’hui, c’est le chemin de l’être. Il faut trouver en soi-même sa propre vérité et sa propre liberté. Accepter sa vulnérabilité, c’est d’accepter d’être humain, tout simplement, avec ses forces et ses faiblesses. L’irrationalité de notre époque repose en partie sur l’oubli ou la négation de notre dimension humaine et de notre part émotive.

La solution, c’est donc le retour à la réalité. Comment ?

Pour Bouddha, la réalité a été voilée par nos représentations. La souffrance repose sur les pensées, on n’est pas dans le réel, on est dans l’illusion. On porte un bandeau sur les yeux, on va buter, se cogner et tomber. Une personne déprimée dit souvent : « Je suis nul », « J’ai tout raté ». Moins on est en rapport avec la réalité et plus on est malheureux. Le champ des nouvelles thérapies vise à être en rapport avec la vérité, à toucher le ressenti, ses besoins et ses compétences. Le but d’une psychothérapie est le réajustement de la personne du sujet, le retour au réel. Le présent est la seule réalité : ici et maintenant. Cette ouverture de la conscience permet de se « défusionner » des pensées automatiques et autodestructrices. On va mieux quand on est dans l’instant présent. Mais on a du mal à être dans l’instant présent car il y a des moments douloureux, tels l’angoisse, le vide, la tristesse ou la peur du manque. Alors on préfère fuir. La vraie voie consiste à accueillir avec bienveillance les choses comme elles sont, à accueillir la souffrance comme un élément de notre journée, mais pas le seul. Quand on cesse de lutter contre la souffrance, elle devient moins obsédante. Finalement, on se rend compte qu’être triste ou anxieux, ça n’a jamais tué personne. Mes patients me disent souvent : « Accueillir, cela veut dire ne rien faire. »

L’acceptation, ce n’est pas de la résignation, c’est le premier pas pour agir en rapport fluide avec ce qui est et non en fonction d’illusions.

Dans ces nouvelles thérapies, il y a, notamment, la MBSR et la MBCT. Pouvez-vous expliquer la différence ?

La MBSR ou Mindfulness Based Stress Reduction Program a été élaborée dans les années 1970 par Jon Kabat-Zinn, docteur en biologie moléculaire. Mindfulness signifie pleine conscience. La thérapie s’adresse à la gestion du stress et au traitement de douleurs chroniques. Elle consiste à méditer, lâcher prise et accepter. Kabat-Zinn fait méditer les gens dans le cadre laïque. La thérapie avait été validée scientifiquement et a été utilisée dans la médecine pour réduire la souffrance au stress. La MBCT ou Meditation Based on Cognitive Therapy a été mise au point par l’équipe de Zindel Segal, John Teasdale et Mark Williams, psychologues canadiens. Ils se focalisent plutôt sur la dépression et proposent un travail plus poussé sur les pensées et la rumination, à l’origine du noyau dépressif. Leur méthode est très concrète et enseigne comment détecter seul les signes annonciateurs d’une rechute dépressive.

L’accès à la méditation a donc profondément bouleversé la psychothérapie ?

Oui. Le thérapeute médite aussi lui-même. Le rapport au patient n’est plus le même. On se met à nu, on montre ce qu’il y a de commun, on est dans le lien. Elle est l’entrainement au courage, elle apprend à tenir bon dans l’épreuve. Cela dit, la méditation n’est pas facile lorsqu’on souffre vraiment. Dans ce cas, je conseille de commencer par une thérapie individuelle. La méditation est l’aboutissement de ce travail individuel, c’est la « cerise sur le gâteau ». La méditation demande de la persévérance et de la discipline. Il est recommandé de méditer tous les jours, pendant au moins un an.

Pour revenir au titre de votre livre, c’est quoi, la sagesse moderne ?

C’est retrouver l’amour de l’humain, faire confiance aux êtres et croire que l’on peut vivre ensemble en étant des êtres singuliers, différents, uniques.

PROPOS RECUEILLIS PAR BARBARA WITKOWSKA

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