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L’épigénétique, ou comment la santé de bébé est influencée in utero

Le Vif

L’environnement, l’alimentation ou encore le stress de la mère ont un effet sur le développement du foetus et la santé de l’adulte qu’il deviendra. La clé est dans l’épigénétique, une discipline scientifique en plein essor.

Pendant une semaine, Camille, 28 ans, enceinte de trois mois, s’est baladée avec des petits capteurs de pollution pendus à son sac à main. Moins discrète, en revanche, la glacière dans laquelle elle devait glisser un flacon d’urine après chaque passage aux toilettes… Des contraintes auxquelles la jeune femme s’est volontiers pliée, pour les besoins de la cause : une étude relative à l’impact de l’environnement sur la santé future des bébés. Bientôt, 700 autres Grenobloises prendront part aux mêmes recherches : « Nous suivrons ensuite leurs enfants sur une longue période, pour analyser les liens entre l’exposition pendant la grossesse aux polluants de l’air et à des produits chimiques comme le bisphénol A, et l’apparition ultérieure de surpoids, de problèmes respiratoires ou de troubles du développement cognitif », précise Rémy Slama, coordinateur de ces travaux. Comme cet épidémiologiste de l’Inserm, des centaines de chercheurs à travers le monde tentent aujourd’hui de répondre à cette question essentielle : d’où viennent nos « maladies de civilisation » – obésité, diabète, affections cardio-vasculaires, cancers, dépression… ? Et, comme lui, ils sont de plus en plus nombreux à suivre la même piste, celle de la vie du foetus dans le ventre de sa mère. « La génétique a échoué à apporter une réponse satisfaisante. L’alcool, le tabac, un environnement pollué ou une mauvaise alimentation à l’âge adulte n’expliquent pas tout non plus. Cela veut bien dire que jusqu’ici nous sommes passés à côté de quelque chose », résume Mark Hanson, président de la Société internationale pour la recherche sur les origines développementales de la santé et des maladies (Dohad).

Un travail titanesque, mais la recherche avance

Un domaine scientifique aujourd’hui en pleine expansion. Chaque semaine ou presque, de nouvelles études viennent appuyer l’idée que l’alimentation de la mère, son environnement ou son état psychologique pendant la grossesse auront un effet sur la santé de son enfant, et surtout pourront accroître le risque que celui-ci, une fois adulte, souffre de l’une ou l’autre de ces maladies. « Les constats épidémiologiques sont bien établis. Il reste à en comprendre les mécanismes biologiques ; c’est le défi majeur des années à venir », souligne Claudine Junien, qui vient de créer la branche française de la Dohad, dont le colloque inaugural s’est tenu en novembre à Paris. Son but : fédérer les spécialistes du sujet et alerter sur cet enjeu sanitaire méconnu du grand public.

Comme tous les scientifiques qui ont bouleversé notre conception du monde, l’homme à l’origine de ce concept a d’abord été pris pour un fou. L’histoire débute dans les années 1980. David Barker, un épidémiologiste britannique, constate que les régions pauvres du Royaume-Uni, où la mortalité infantile était forte dans les années 1920, sont aussi celles où, soixante ans après, les maladies cardiaques sont les plus fréquentes. Etrange, pour des pathologies censées être liées à une vie d’abondance. Poussant ses investigations, il établit un lien entre un petit poids de naissance (moins de 2,5 kilos à terme) et un risque élevé d’infarctus à l’âge adulte : « Quand la nourriture manque, le foetus préserve les nutriments pour son cerveau », imagine-t-il alors. Très critiquées, ses observations seront ensuite confirmées par d’autres chercheurs. Aujourd’hui, les femmes enceintes souffrent toutefois peu de sous-nutrition : à l’inverse, beaucoup grossissent trop, ou déclenchent un diabète gestationnel. Et c’est tout aussi mauvais : leurs enfants auront une prédisposition à l’obésité et au diabète. Qu’en est-il, aussi, des « gros bébés » (plus de 4 kilos) ? « Leur risque d’avoir plus tard un cancer du sein, des testicules ou une leucémie est augmenté », constate Karin Michels, professeur à l’école de santé publique de Harvard. Faible ou élevé, le poids de naissance n’est toutefois qu’un marqueur, le signe que quelque chose a perturbé le bon déroulement de la grossesse et le développement du foetus. Mais par quel biais ? « Nous pensons que l’épigénétique joue un rôle clé », répond cette chercheuse.

Très en vogue parmi les scientifiques, l’épigénome est à la génétique ce que les logiciels sont à l’informatique : le programme qui permet de faire marcher la machine. Les gènes, immuables et hérités de nos parents, sont en effet entourés de marqueurs épigénétiques qui les « allument » ou les « éteignent ». « La plupart de ces marqueurs se mettent en place pendant la grossesse. Ce mécanisme peut donc plus facilement être perturbé durant cette période », explique Robert Barouki, toxicologue à l’Inserm. Reste à faire un lien entre un facteur donné (l’alimentation de la mère, un stress environnemental…), la modification épigénétique qui fait dysfonctionner un gène, et l’apparition ultérieure d’une pathologie. Un travail plus titanesque encore que de dénicher une aiguille dans une botte de foin.

Mais la recherche avance. Mark Hanson, par exemple, avait conservé dans son laboratoire de Southampton le cordon ombilical de 300 bébés nés au milieu des années 1990, et une foule de détails sur l’alimentation de leur mère pendant la grossesse. Neuf ans après, il a mesuré la masse graisseuse de ces enfants : « Ceux dont les mamans avaient un régime alimentaire très déséquilibré sont plus gros et une de leurs marques épigénétiques était bien modifiée à la naissance », constate-t-il. De l’autre côté de l’Atlantique, Frederica Perera, directrice du centre de recherche de l’université de Columbia sur la santé environnementale des enfants, mène des travaux similaires sur les effets de la pollution. Son équipe a notamment montré que plus les femmes enceintes respirent des HAP (des polluants émis notamment par les voitures), plus leurs enfants affichent un retard dans leur développement neuro-cognitif à 3 ans et une perte de QI à 5 ans. Elle cherche désormais les marques épigénétiques à l’appui de ce constat. « Nous avons déjà établi un lien préliminaire entre l’exposition aux HAP, des modifications dans l’épigénome et l’apparition d’un asthme », raconte-t-elle.

Les pères aussi transmettent des marques épigénétiques

Plus étonnant encore, la dépression de la mère pendant ou juste après la grossesse, ainsi que les mauvais traitements durant la petite enfance, susceptibles de perturber le développement cognitif, laisseraient aussi des traces dans l’ADN. Le Canadien Moshe Szyf l’a démontré chez le rat, le singe et l’homme : « Nous avons étudié le cerveau de morts par suicide et nous avons trouvé des variations épigénétiques importantes chez ceux qui, petits, avaient été victimes d’abus », explique-t-il.

Autant de découvertes affolantes pour les futures mamans. Si les chercheurs y voient l’opportunité de combattre l’épidémie de maladies chroniques qui frappe nos sociétés, cela va aussi allonger la liste de conseils dont elles sont déjà submergées (pas de tabac, pas d’alcool, pas de fromage au lait cru, pas de sport violent…). « Cela devient colossal. Il faudrait aussi éviter l’automédication, les embouteillages, les crèmes chargées en produits chimiques, les conserves, le stress… », insiste un chef de département gynécologie-obstétrique. A l’avenir, le suivi des grossesses sera toutefois « plus personnalisé, adapté au contexte dans lequel chaque femme vit », selon cet expert. Surtout, des expérimentations animales montrent que certaines marques épigénétiques sont transmises par le sperme. Demain, les futurs pères crouleront peut-être, eux aussi, sous les recommandations sanitaires.

Stéphanie Benz

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