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L’activité cérébrale d’un acteur change quand il incarne un personnage

Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste Web

Être soi-même ou quelqu’un d’autre : telle est la question. En interprétant les rôles emblématiques de la célèbre pièce de Shakespeare Roméo et Juliette, des acteurs ont montré des signes de modification de leur activité cérébrale selon le personnage incarné.

Au théâtre et dans le cinéma américain, les acteurs de la « méthode » effacent la frontière entre leur personnalité et celle du rôle qu’ils incarnent. La « méthode » est en effet une technique de jeu considérée comme naturaliste en ce sens qu’elle permet aux acteurs « de puiser dans ses propres affects pour créer l’émotion. Faire exister le rôle à travers sa mémoire affective. En bref, amener le personnage à soi et non l’inverse « , définit Lee Strasberg, comédien et directeur de la célèbre école d’art dramatique Actors Studio.

Analyse selon 4 points de vue

Mais que ce passe-t-il dans le cerveau d’un acteur lorsque sa personnalité se confond avec celle de son personnage ? Une nouvelle recherche, publiée dans la revue The Royal Society Publishing, explore la question grâce à l’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Les chercheurs ont ainsi observé l’activité cérébrale de 15 acteurs de la « méthode » – des étudiants en théâtre formés pour jouer un rôle de la célèbre oeuvre Roméo et Juliette. Pour garantir l’efficacité de l’étude, les étudiants n’avaient « aucun antécédent de troubles neurologiques, de troubles psychiatriques, d’alcoolisme ou de toxicomanie, et ne prenaient pas de médicaments psychotropes« .

Les acteurs ont été invités à s’installer dans un scanner IRM et de répondre à toute sorte de scénarios – tels que « voudriez-vous aller à une soirée dans laquelle vous n’êtes pas invités » et « voudriez-vous le dire à vos parents si vous tombiez amoureux? » – selon quatre points de vue différents :

  • de leur propre perspective,
  • du point de vue d’un ami,
  • du point de vue de Roméo et Juliette,
  • de leur propre point de vue, mais avec un accent anglais (ils avaient tous un accent canadien de base).

Diminution de la conscience de soi

Les résultats ont révélé que l’activité cérébrale variait selon le point de vue. Lorsqu’on leur demandait de réfléchir au scénario selon le point de vue d’un ami, les acteurs ont montré une diminution de l’activité cérébrale dans une partie du cortex préfrontal (région du cerveau importante en termes de conscience de soi).

Fait surprenant : l’équipe de chercheurs a constaté des changements similaires de l’activité cérébrale des étudiants lorsqu’ils incarnaient le rôle de Roméo ou de Juliette. « Nous pensions qu’il pourrait y avoir une augmentation de l’activité cérébrale puisqu’ils devaient prétendre être un personnage« , explique à The Independent Steven Brown, auteur principal de l’étude. « Au lieu de cela, nous avons constaté une diminution de l’activité du cortex préfrontal« .

Même le simple fait d’adopter un accent différent semblait provoquer des modifications dans le cortex préfrontal. «  La conclusion la plus surprenante de l’étude est certainement celle apportée par le point de vue propre avec un accent britannique. [Sur l’IRM], ce point de vue présentait un schéma de désactivation de la zone préfrontale, ce qui suggère que le simple fait d’imiter un autre accent a un impact sur les zones du cerveau impliquées dans la conscience de soi « , ont écrit les chercheurs. Des résultats qui prouveraient l’affirmation des théoriciens du théâtre selon laquelle les approches gestuelles pourraient, au même titre que les approches psychiques, être « une voie vers la représentation incarnée d’un personnage« .

Ce n’est qu’en incarnant les rôles de Roméo et Juliette que les acteurs ont affiché une augmentation de l’activité cérébrale dans une zone appelée le précuneus, liée à la conscience. « Les acteurs doivent diviser leur conscience, ils doivent en quelque sorte se surveiller et être dans le personnage en même temps« , a déclaré Brown au Guardian.

Cela ne signifie pas pour autant que jouer un personnage consiste à supprimer le soi et à devenir une personne totalement différente, estime le professeur Philip Davis, directeur du Centre de recherche sur la lecture, la littérature et la société à l’Université de Liverpool. « Si l’étude suggère que vous isolez complètement votre personnalité, en réalité, les acteurs utilisent aussi des parties de leur personnalité qu’ils n’auraient pas utilisées autrement« .

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