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Enseignement : redoubler ne sert à rien, sauf en maternelle

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Le redoublement serait inutile, inefficace, socialement injuste et favoriserait le décrochage scolaire, selon des chercheurs de l’Université de Liège.

Le redoublement est massivement utilisé dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. D’après les chiffres de 2018, plus de 60 % des élèves de 5e secondaire ont doublé au moins une fois lors de leur parcours scolaire. Il s’agit donc d’un enjeu éducatif majeur, selon Le Cahier des Sciences de l’Éducation n°38 de l’Université de Liège qui analysé et comparé de nombreuses études sur le sujet.

Il coûte aussi très cher à la collectivité : en Fédération Wallonie-Bruxelles, il équivaut à 11-12 % du budget de l’Enseignement obligatoire. Une somme colossale qui pourrait être investie dans des méthodes d’aide à l’apprentissage plus efficaces, comme l’apprentissage coopératif ou le tutorat, qui semblent être prometteuses, selon la science.

Le redoublement n’est toutefois pas une pratique universelle. En 2015, seulement 10 % des élèves de 15 ans avaient redoublé dans 19 des 34 pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Les pays où le taux de redoublement excède 20 % restent une exception : ils ne sont que 8. La Fédération Wallonie-Bruxelles arrive en tête de peloton avec un taux de 46 % (en 2015) pour les élèves de 15 ans. Viennent ensuite l’Espagne (31%), le Portugal (31%), le Luxembourg (31%), la Communauté germanophone (30%), la Flandre (24%) et la France 22%.

Le redoublement est de plus une méthode drastique, dénoncent es scientifiques. Tellement drastique qu’il est déontologiquement impossible de créer arbitrairement un groupe de redoublants pour analyser les conséquences sur leur vie et leurs résultats.

Le redoublement a un tel impact qu’il est important de savoir s’il porte ses fruits, affirment les chercheurs. En effet, l’élève doublant se voit séparé de ses congénères de manière irrévocable, il perd une année complète et cela coûte très cher à la collectivité.

S’appuyant sur des dizaines d’études internationales, les chercheurs ont constaté que les inégalités liées à l’origine socioculturelle sont plus marquées dans les systèmes scolaires qui pratiquent beaucoup le redoublement. Il amplifierait les écarts de performance en fonction de l’origine sociale.

Des taux de redoublement élevés n’améliorent pas non plus les performances des élèves aux évaluations telles que PISA ou PIRLS.

Par contre, une diminution du recours au redoublement ne ferait pas baisser le niveau scolaire, comme le craignent certains détracteurs. Les pays ayant récemment fait chuter leur taux de redoublement (la France de 16% et le Luxembourg de 9%) n’ont enregistré aucun effondrement du niveau.

Des effets négatifs sur le fonctionnement psychosocial des élèves

Les chercheurs remettent en doute l’efficacité du redoublement du point de vue psychosocial : confiance en soi, motivation, etc. En effet, des élèves qui éprouvent les mêmes difficultés ne réussiront pas forcément mieux, qu’ils aient redoublé ou qu’ils soient passés en classe supérieure.

Il a été observé qu’il n’existe aucun effet positif du redoublement en 1re primaire du point de vue psychosocial, selon une étude réalisée sur un large échantillon en Flandre. En Belgique francophone, une autre étude affirme qu’à court terme, un redoublement en 1re secondaire a un effet négatif sur l’estime de soi, la motivation scolaire et les relations entre les élèves et leurs parents. On observe en revanche l’effet inverse chez les élèves ayant été promus.

Le seul cycle où le redoublement semble avoir eu un effet bénéfique durant plusieurs années est en maternelle. En dehors, le redoublement a des effets négatifs ou n’a pas d’effet sur le fonctionnement psychosocial des élèves.

Redoubler, puis décrocher ?

Le redoublement serait de plus un puissant prédicteur de décrochage scolaire. Les élèves ayant redoublé sont deux à onze fois plus susceptibles de décrocher durant l’enseignement secondaire. Cela s’expliquerait en partie par les effets négatifs du redoublement sur la confiance en soi et les relations avec les pairs qui en pâtissent. De plus, le lien entre redoublement en secondaire et risque de décrochage est plus prononcé chez les élèves d’origine socioéconomique défavorisée.

Cela n’indique pas pour autant qu’il y ait nécessairement une relation de cause à effet entre le redoublement et le décrochage, mais cela montre que le recours au redoublement n’est certainement pas une bonne manière de lutter contre le décrochage, selon les chercheurs. Alors qu’il s’agit d’un enjeu de société majeur, car il peut avoir des conséquences importantes sur la vie des étudiants.

Aucun bénéfice sur les résultats scolaires

Imposer aux élèves de recommencer une année scolaire avec le même programme a pour but de voir ses notes s’améliorer et de le voir repartir sur de bonnes bases. Or, dans les faits, les études ne voient qu’un effet négatif modéré sur les compétences des élèves, et ce, peu importe le moment du redoublement dans le parcours scolaire.

Si l’on constate un effet « boost » à court terme, celui-ci ne se maintient malheureusement pas dans le temps. Sans doute, selon les chercheurs, parce que celui-ci n’est pas assorti de la mise en place d’une stratégie efficace pour remédier durablement à la faiblesse des élèves.

Une nouvelle fois, la seule étude montrant qu’il est positif de redoubler a été réalisée auprès d’élèves en fin de maternelle. Les chercheurs ont découvert un effet positif sur les six années de primaires pour les élèves faibles ayant passant une année supplémentaire en maternelle.

À cette exception près donc, les études concluent soit à une absence de bénéfice sur les acquis scolaires à moyen terme, soit à des effets négatifs.

Si les chercheurs soulignent l’inefficacité du redoublement, ils ne sont pas en faveur d’une suppression du système pure et simple. Faire passer les élèves d’office ne serait pas une solution non plus, selon eux. Mais le redoublement est « souvent un remède pire que le mal qu’il prétend soigner ».

« Au mieux, les élèves qui redoublent auront perdu un an de scolarité pour atteindre in fine un niveau scolaire comparable à celui d’élèves qui avaient des difficultés semblables, mais ont été promus. Au pire, les élèves qui redoublent auront des résultats scolaires inférieurs, un risque plus élevé de décrocher et plus de problèmes psychosociaux », déplorent-ils.

Selon leur conclusion, et au regard des études réalisées depuis plus de 50 ans, l’année recommencée serait bien une année inutile.

Ces résultats doivent toutefois être pris avec prudence, selon les chercheurs. Ils ne permettent pas d’affirmer avec certitude que le redoublement cause des problèmes, mais ils peinent à montrer l’efficacité du redoublement comme solution aux problèmes d’apprentissage des élèves.

Les chercheurs appellent donc l’ensemble des acteurs éducatifs à mettre en place d’autres solutions pour aider les élèves en difficulté.

« Si le redoublement était un médicament, il serait interdit, car il n’a pas fait la preuve de ses bénéfices, et s’accompagne régulièrement d’effets secondaires négatifs. Si nous voulons réduire les inégalités qui minent notre système scolaire et soutenir les élèves en difficulté, il est temps de changer de médecine », concluent les chercheurs de l’ULiège, citant Jimerson.

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