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Vit-on plus longtemps en jeûnant ?

On dit que le jeûne est le régime qui permet d’inverser le vieillissement et de déjouer les maladies chroniques. Ce « régime de longévité » est-il la panacée que la médecine occidentale a oubliée ?

« Mangez de tout, mais avec modération ». Il s’agit là d’un conseil nutritionnel très répandu et quelque peu ennuyeux que les autorités sanitaires nous martèlent sans cesse pour contrer la crise croissante de l’obésité. Il vise aussi à éviter que les gens ne se laissent prendre au piège de certaines tendances alimentaires et autres régimes farfelus.

Mais pour le spécialiste italo-américain du vieillissement Valter Longo – directeur du Longevity Institute de l’université de Californie du Sud et désigné l’an dernier par le Time Magazine comme l’une des personnalités les plus influentes dans le domaine des soins de santé – c’est un conseil insensé.

Longo soutient que nous ne devrions pas manger de tout et certainement pas avec modération. Pour lui, on devrait surtout manger moins. Il considère que « manger avec modération » est non seulement stupide, mais aussi trompeur. « Qu’est-ce que cela signifie avec modération? », s’interroge-t-il dans son best-seller The Longevity Diet paru pour la première fois en 2018. « J’ai appris que c’est un terme relatif. Prenons ce menu quotidien : un verre de lait, deux oeufs avec du lard, un petit steak, un morceau de fromage, des carottes, des pâtes, un blanc de poulet, une salade avec son dressing, un morceau de gâteau et deux verres de soft. Beaucoup de gens considèrent cela comme « manger avec modération ». Mais c’est à cause d’un tel menu que les États-Unis sont devenus le leader mondial de l’obésité et des maladies chroniques ».

Michaël Sels, diététicien en chef à l’UZA, est également préoccupé par l’épidémie croissante d’obésité. « Près de la moitié des habitants de notre pays sont en surpoids. Pour prévenir des maladies telles que le cancer, les maladies cardiovasculaires, les troubles neurologiques et même la dépression, il est important de tendre vers un poids sain. Cependant, le grand problème, pour beaucoup de personnes, est d’ajuster de façon structurelle leur mode de vie. Le gouvernement devrait investir beaucoup plus dans ce domaine. »

Pour Longo le fait de manger moins à bien d’autres avantages que la simple perte de poids. L’introduction du jeûne intermittent permet, selon lui, non seulement de perdre du poids, mais aussi de ralentir le vieillissement cellulaire de l’organisme. Après tout, après l’obésité, la vieillesse est la deuxième cause de progression des maladies liées au style de vie aussi appelées maladies de civilisation. Au lieu de traiter les maladies liées à l’âge une par une, on devrait plutôt s’attaquer à la source et contrer le vieillissement cellulaire lui-même.

Les recherches montrent que la réduction de 30 à 40 % de l’apport calorique quotidien chez les souris augmente la durée de vie de 11 % en moyenne, ce qui équivaut à environ huit années de vie supplémentaires pour les humains.

Un arrêt de la croissance

Au cours de ses 30 années de recherche sur la longévité en bonne santé, Longo a découvert qu’en adoptant un régime alimentaire excessif et hautement transformé, les cellules endommagées s’accumulent dans notre corps, avec toutes les conséquences que cela implique. Nous devons laisser notre corps se reposer de temps en temps pour lui donner le temps de détruire et de remplacer les cellules endommagées. Les recherches montrent ainsi que la réduction de l’apport calorique quotidien de 30 à 40 % chez les souris augmente la durée de vie de 11 % en moyenne, ce qui équivaut à environ huit années de vie supplémentaires pour les humains, et réduit les cancers de moitié. Limiter l’apport calorique (en particulier celui des protéines) permettrait surtout de réduire l’activité de l’hormone de croissance IGF-1, à l’origine du processus de vieillissement.

Lorsque les cellules de votre corps ne doivent plus s’occuper de croître, il y a de la place pour la digestion des cellules nocives et donc moins de risques de maladie. En d’autres termes, le corps élimine littéralement les déchets. Ce phénomène est également apparent chez les personnes atteintes du rare syndrome de Laron, qui présentent naturellement une activité moindre de l’IGF-1. Leur croissance est certes réduite, mais ils bénéficient en parallèle d’une protection accrue contre les maladies. Cependant, une consommation faible en protéines n’est pas bénéfique pour tout le monde. Un régime strict et pauvre en protéines est moins bon pour la santé des personnes de plus de 65 ans. À partir de cet âge, les personnes commencent à perdre de la masse musculaire, de la force et du poids. Elles ont donc même besoin de protéines supplémentaires pour entretenir leur puissance musculaire.

Régime de la faim ?

Cependant, le passage permanent à un régime très restrictif et pauvre en protéines ne semble pas non plus être une panacée pour les personnes moins âgées. La recherche montre que la restriction calorique chronique fait payer un lourd tribut au corps. Par exemple un poids extrêmement bas, une réponse immunitaire plus faible, une moindre tolérance au froid et une cicatrisation plus difficile.

Longo recommande donc de ne passer à l’abstinence alimentaire que pour de courtes périodes (cinq jours consécutifs, une fois tous les trois à six mois). Il appelle cela un « régime de jeûne-nutrition » (VND). Ce régime de 800 kilocalories offre les avantages du jeûne sur le métabolisme sans les privations et la faim qui y sont associées. Le meilleur des deux mondes ?

« Pas tout à fait », dit Michael Sels. Nous devons être critiques à l’égard des modèles alimentaires où l’on peut à peine manger pendant cinq jours. Si vous êtes en bonne santé et que vous avez juste un peu de surpoids, cela ne vous fera certes pas de mal, mais cela ne va pas non plus améliorer votre santé. Tout simplement parce que la promesse que vous pouvez améliorer votre santé en cinq jours n’est pas réaliste. Pour Sels, les éventuels bénéfices pour la santé sont principalement dus aux effets de la perte de poids associée au jeûne plutôt qu’aux processus biochimiques au niveau cellulaire. Toute perte de poids améliore en effet vos valeurs sanguines et votre taux de cholestérol. Une perte de poids de 10 % réduit le risque de nombreuses maladies de plus de 30 %. Un cancer sur trois peut être évité en maintenant un poids sain et en faisant plus d’exercice. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes et devraient suffire à motiver les patients à perdre du poids.

Pourtant, Sels ne nie pas les avantages que peut avoir un régime strict : « Pour certaines personnes, un changement de vie aussi radical sert de déclencheur. Vous apprenez à rompre avec les habitudes, bien qu’une période de cinq jours soit probablement trop courte pour cela. »

Nouveau : le jeûne comme traitement du cancer ?

En plus de l’effet du jeûne sur les personnes en bonne santé, Longo s’est maintenant tourné vers de nouvelles recherches qui montrent que le jeûne serait bénéfique pour les personnes déjà malades. Comme la restriction calorique entraîne la destruction des cellules et des parties de cellules endommagées tout en activant les cellules souches qui réparent à nouveau les organes, l’abstinence alimentaire aurait des effets bénéfiques sur le traitement du cancer, du diabète, des maladies cardiovasculaires, de la maladie d’Alzheimer et des maladies inflammatoires et auto-immunes. Une étude sur le jeune pauvre en protéines chez la souris a ainsi montré que les cellules cancéreuses étaient affamées et donc vulnérables aux assauts de la chimiothérapie, tandis que les cellules saines étaient mieux protégées et les effets secondaires minimisés. Les cellules cancéreuses ne pouvant faire face simultanément au traitement et à une situation de « famine », la chimio en deviendrait plus efficace.

Sels nuance tout de même puisque « la recherche sur les populations de souris est difficile à transposer à l’homme ». Toutefois, il ne nie pas l’importance de la nutrition dans les thérapies contre le cancer. Au contraire. Une étude récente et prometteuse montre qu’il est essentiel, dans le cadre d’un traitement oncologique, de consommer des aliments qui favorisent la masse musculaire. Les patients cancéreux ayant une faible masse musculaire souffrent beaucoup plus des effets secondaires de la chimiothérapie. La chimiothérapie est généralement prescrite sur la base de la surface corporelle. Si les patients réagissent mal entre deux thérapies, nous sommes obligés de diminuer la dose. Mais cela n’est pas bon pour l’efficacité du traitement. Entre-temps, nous avons découvert que la composition corporelle est également importante, notamment la masse musculaire, qui est responsable de la « désintoxication » du corps suite à un traitement contre le cancer. Une personne ayant une faible masse musculaire souffrira donc davantage de la thérapie et son état sera moins bon. Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus de patients cancéreux atteints d’obésité sarcopénique (soit des personnes en surpoids et ayant une masse musculaire très faible). Ce qui peut fausser les données et peut entraîner une overdose de chimio.

Les protéines, contrairement aux affirmations de Longo, sont donc importantes en tant qu’aliment. En outre, les protéines ne peuvent être utilisées pour entretenir la masse musculaire que si elles sont associées à une énergie suffisante. Sinon, ils sont utilisés comme combustible. C’est donc le contraire de l’abstinence alimentaire.

En quoi consiste le régime de jeûne ?

Mais à quoi ressemble le régime qui fait faussement croire à votre corps qu’il jeûne ? Longo reste très vague sur les ingrédients de son programme diététique, selon ses propres termes, pour éviter que les gens n’expérimentent leurs propres versions. Il y a aussi plus que probablement des motivations commerciales derrière ce flou. En effet, selon l’auteur, le VND ne peut être réalisé qu’à l’aide de repas de substitution (ProLon-1) et de compléments alimentaires (Prolon-2) commercialisés par la société L-Nutra de Longo.

« Rien que cela devrait déclencher quelques signaux d’alarme », note Sels. Le forfait « jeûne » n’est certainement pas bon marché, environ 200 euros pour cinq jours. Je pense que ce régime n’amincit que le portefeuille. Les repas de substitution sont également problématiques, car ils ne donnent pas aux gens la bonne clé pour adapter leur mode de vie. Nous devons leur apprendre ce qu’ils doivent choisir lorsqu’ils entrent dans une boulangerie ou se rendent dans un restaurant, quels produits mettre dans leur chariot au supermarché ainsi que la manière de préparer leur repas. Et c’est bien plus compliqué que d’avaler trois boîtes de repas hypertransformés par jour. Vous ne trouverez pas de carotte fraîche là-dedans. »

Toutefois, Sels ne nie pas que l’alimentation peut faire beaucoup pour notre santé, mais plutôt sous la forme d’une médecine préventive. Nous devons faire beaucoup plus d’efforts dans ce domaine. Malheureusement, notre modèle médical actuel est encore trop curatif. L’alimentation y joue un rôle important, mais uniquement en tant que soutien. Le problème est que les gens demandent des conseils préventifs alors qu’ils sont déjà dans une phase curative.

Le jeûne, depuis des siècles

Dans un monde occidental d’abondance et de consommation constante, l’abstinence alimentaire semble un véritable défi et particulièrement peu attrayante. Pourtant, le jeûne fait partie de l’histoire et de l’évolution de l’humanité. Même à l’époque des chasseurs-cueilleurs, nos ancêtres devaient parfois rester des jours entiers sans nourriture lorsqu’elle n’était pas disponible. Diverses cultures et religions ont également une tradition de jeûne, mais pas nécessairement pour des raisons de santé. Les chrétiens introduisent une période de jeûne dans les semaines précédant Pâques pendant laquelle ils mangent moins, mais pas différemment. Le traditionnel Ramadan, conçu comme une période de restriction et d’autodiscipline pendant la journée, s’accompagne désormais souvent d’une suralimentation après le coucher du soleil.

Depuis quelques années, le jeûne en tant que tendance de santé prend de l’ampleur. Le jeûne périodique ou intermittent prend différentes formes. Le journaliste scientifique Michael Mosley a déjà formulé le régime de jeûne « 5 : 2 », qui consiste à manger normalement cinq jours par semaine et à ne consommer que 500 à 800 kilocalories pendant deux jours. Ce régime est principalement destiné à la perte de poids, mais Mosley l’a également utilisé pour normaliser ses taux de cholestérol et de sucre dans le sang. Un jeûne de 800 kilocalories par jour pendant huit semaines (appelé régime glycémique) pourrait même guérir le diabète.

Une autre méthode de jeûne très populaire depuis peu est l' »alimentation limitée dans le temps », qui consiste à planifier tous les repas dans un laps de temps donné. Par exemple, si vous prenez votre petit-déjeuner à huit heures du matin, vous devez avoir pris votre repas du soir à huit heures. Une durée encore plus courte (10 heures ou moins) peut être plus efficace pour la santé, mais est souvent plus difficile à maintenir.

Le jeûne, une forme de biohacking

Les biohackers tentent de renforcer leurs capacités physiques et mentales et de se transcender grâce à toutes sortes de nouvelles technologies et thérapies. Que le jeûne combatte ou non le vieillissement et les maladies qui y sont liées, certains voient un avantage encore plus grand dans l’abstinence alimentaire : l’optimisation du corps. Dans la Silicon Valley, le jeûne est désormais connu sous le nom de « biohacking », une forme de transhumanisme. Les biohackers utilisent toutes sortes de nouvelles technologies et de thérapies pour renforcer leurs capacités physiques et mentales dans le but de se transcender. Par exemple, la faim est un signal pour envoyer de l’énergie à notre cerveau et prendre de meilleures décisions. Une technique utilisée par l’entraîneur national belge Roberto Martinez les jours de match des Diables Rouges. Il reste alors à jeun pour pouvoir mobiliser tout son sang pour son cerveau.

Le PDG de Twitter, Jack Dorsey, a fièrement tweeté que certains jours, il ne mange pas pendant 22 heures et ne boit occasionnellement que de l’eau pendant des jours. Cela lui permettrait de travailler plus longtemps et plus efficacement.

Le biohacking est-il juste une autre façon de désigner l’anorexie chez les hommes ? La personne borderline souffrant de troubles alimentaires est très mince. Tout régime qui consiste en une restriction calorique avec des règles strictes n’a rien d’inoffensif. Sels est d’accord. Si une personne n’éprouve aucun bénéfice pour sa santé après deux périodes de jeûne par an, elle pourrait augmenter la fréquence du jeûne à, disons, six ou douze fois par an. Cela revient à une semaine sans manger une fois par mois. Sauf qu’il n’y a aucun avantage à être en sous-poids. Le jeûne doit lui aussi se faire …. « avec modération ».

Encadré : Le régime Long Life : ce qu’il faut manger quand on ne jeûne pas, selon Valter Longo

L’idée n’est pas de se vautrer dans la Grande Bouffe en dehors des périodes de jeûne. Longo recommande ainsi un régime structurel, pauvre en protéines et à base de plantes, riche en graisses insaturées et en glucides complexes, qui, bien que légèrement plus calorique, se limite toujours à deux repas par jour avec un petit-déjeuner, un second repas et une collation. La composition du régime est également conforme à ce que recommandent généralement les organismes de santé.

  • Mangez principalement végétalien, complété par un peu de poisson et de fruits de mer deux à trois fois par semaine. (Choisissez des poissons riches en oméga-3, oméga-6 et vitamine B12 et pauvres en mercure).
  • Limitez les sucres à de petites quantités. Limitez également la consommation de pâtes et de pain.
  • Consommez 0,7 à 0,8 gramme de protéines par kilo de poids corporel par jour. Si vous pesez 70 kg, cela revient à 49 à 56 grammes de protéines par jour.
  • Consommez de « bonnes » graisses insaturées et des glucides complexes.
  • Mangez des aliments nutritifs. Le corps a besoin de protéines, d’acides gras essentiels, de minéraux, de vitamines et même d’un peu de sucre pour faire face aux combats qui font rage à l’intérieur et à l’extérieur des cellules.
  • Prenez un supplément de multivitamines et de minéraux et une capsule d’huile de poisson oméga-3 tous les trois jours, provenant d’un fabricant fiable, pour obtenir suffisamment de nutriments.
  • Mangez ce que vos ancêtres mangeaient. Évitez les aliments qui ne faisaient pas partie de leur régime alimentaire afin de prévenir les réactions immunitaires.
  • Ne mangez que durant onze à douze heures par jour. Par exemple, vous prendrez votre petit-déjeuner après huit heures du matin et votre dîner avant huit heures du soir. Une durée encore plus courte (dix heures ou moins) peut être plus efficace pour la santé, mais est souvent plus difficile à maintenir.
  • Introduisez une période VND (régime de jeûne-nutrition) tous les 3 mois, pendant laquelle vous limitez votre apport calorique à 800 kilocalories pendant cinq jours consécutifs. (Avec l’accord du médecin)

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