L'Outback australien. © iStock

Un virus incurable et mystérieux ravage la population indigène d’Australie

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Découvert un peu avant le VIH, le HTLV-1, un des virus les plus mortels pour l’homme, est en train de se propager dans la communauté aborigène d’Australie, rapporte le Guardian. Sans qu’une réponse coordonnée des autorités soit apportée.

Comme beaucoup de virus, le T-lymphotrope humain de type 1 (HTLV-1) se transmet par contact sexuel, transfusion sanguine et à travers l’allaitement maternel. Une fois le patient infecté, il peut développer une forme mortelle de leucémie. Le HTLV-1 provoque également une inflammation de la moelle épinière conduisant à une paralysie, une maladie pulmonaire sévère connue sous le nom de bronchectasie et d’autres maladies inflammatoires, détaille le Guardian. Il n’existe à ce jour aucun traitement. Le virus peut parfois tuer son hôte en à peine quelques semaines.

Dans cinq communautés aborigènes vivant autour d’Alice Springs (dans le centre du pays), plus de 45% des adultes testés sont porteurs du virus, un taux mille fois supérieur à celui des Australiens non autochtones.

Malgré sa forte prévalence en Australie, ce virus est négligé de par tout le monde. Un tabou entoure même la maladie puisque les personnes touchées acceptent de témoigner au Guardian uniquement de manière anonyme.

Selon les chercheurs, la maladie serait plus répandue dans le centre et le nord de l’Australie qu’on l’aurait pensé auparavant. Le Dr Lloyd Einsiedel, clinicien spécialisé dans les maladies infectieuses de l »Institut Baker Heart and Diabetes’ de l’hôpital Alice Springs, affirme que la zone de personnes infectées par le virus recouvre une portion d’un million de kilomètres carrés dans le pays.

Lloyd Einsiedel s’inquiète d’un taux de mortalité significatif qui pourrait apparaître au cours des cinq à dix prochaines années, en raison de la bronchiectasie liée au HTLV-1 (maladie pulmonaire). Cette région a déjà la prévalence de bronchiectasie adulte la plus élevée au monde.

Le médecin affirme que la priorité pour le moment est de dépister les malades et de trouver un traitement. Il veut également organiser une campagne de sensibilisation en langues aborigènes. Selon lui, tous les soignants officiants dans l’Outback (désert australien du centre et du nord) devraient également être formés.

Un virus inconnu

Personne n’est vraiment au courant de son existence. Le HTLV-1 a été découvert dans les années 80, à peu près en même temps que le HIV (virus du sida) qui a suscité une attention mondiale et directement été considéré comme une urgence. À juste titre.

De son côté, le HTLV-1 a longtemps été considéré comme asymptomatique, c’est-à-dire que les personnes atteintes peuvent être porteuses sans jamais développer de maladies. Les chercheurs pensaient alors que seuls 10 % des personnes infectées étaient susceptibles de développer une maladie pulmonaire ou une leucémie et risquer de mourir.

Un autre élément qui pourrait expliquer pourquoi ce virus a été autant négligé par les autorités est sa répartition dans le monde : les principaux foyers sont situés dans des pays tels que la Papouasie Nouvelle-Guinée, le Congo et le Pérou. « Je pense que nous aurions déjà réglé le problème si ça se passait à Sydney », commente Lloyd Einsiedel ironiquement. Le médecin voit ce désintérêt comme un obstacle majeur pour la recherche.

Non couvert par les assurances

Le dépistage du HTLV-1, un test sanguin, n’est pas couvert par les assurances santé en Australie. Il coûte plus de 100 euros (169 dollars australiens) à chaque fois qu’il est effectué. De plus, il n’existe qu’un seul laboratoire dans tout le pays qui effectue ces tests. Il est situé à Melbourne. Les résultats peuvent parfois mettre six mois à arriver parce qu’ils sont pour l’instant effectués dans le cadre d’un programme de recherche et qu’ils ne sont pas considérés comme prioritaires.

Inconnu chez les soignants aussi

Les médecins eux-mêmes sont pris au dépourvu face à ce virus pour lequel ils n’ont pas été formés. Ce qui pose évidemment problème. Les personnes présentant les symptômes d’un HTLV-1 ne sont pas forcément dépistées et si cela est fait, les médecins ne connaissent pour la plupart pas ce virus, se plaignent les chercheurs.

Or, la prévention a beaucoup d’importance concernant ce virus, car s’il est détecté rapidement, certaines choses peuvent être faites pour éviter qu’il se développe trop et provoque des effets secondaires comme des dégâts à la moelle épinière.

Le dilemme de l’allaitement

La seule autre zone de contamination élevée au monde pour HTLV-1 est le Japon. Comment cela se fait-il ? C’est encore un mystère, mais le virus y a été découvert dans les années 1980. La principale forme de transmission était de la mère à l’enfant par l’allaitement maternel.

Les chercheurs ont constaté que, pendant les six premiers mois, un bébé est protégé par les anticorps de sa mère, mais lorsque l’allaitement s’arrête et que ces anticorps disparaissent, le risque de transmission augmente de façon exponentielle.

Au Japon, le conseil actuel pour les mères porteuses du HTLV-1 est de ne pas allaiter du tout ou de le faire pendant moins de trois mois. Mais dans les régions les plus pauvres du pays, cette recommandation ne semble pas appropriée. Grâce à des tests sanguins rigoureux et à l’éducation de la population, le Japon a réussi réduire son taux de transmission de 80%.

Ce genre d’approche ne pourrait pas fonctionner en Australie centrale, selon le docteur Einsiedel. Cela va en effet à l’encontre du message populaire selon lequel « le sein est le meilleur », et cela soulève des questions sur la façon dont les mères pourraient nourrir leurs bébés dans les communautés éloignées où les laits infantiles sont chers et difficiles à trouver. Culturellement, l’allaitement maternel fait partie de la façon dont les enfants sont pris en charge chez les aborigènes. Il n’est pas rare que les enfants soient allaités jusqu’à 4 ou 5 ans.

La dernière chose que les autorités sanitaires de ces régions souhaitent est que les mères arrêtent d’allaiter par peur de rendre leur bébé malade. Il faut donc rester très prudent sur la manière d’informer les populations de cette transmission potentielle afin de ne pas tomber dans l’hystérie collective, préviennent les chercheurs.

Un vaccin qui n’arrive pas

Lentement, les virologues du monde entier sont en train d’admettre qu’ils auraient pu en faire plus depuis des décennies concernant ce virus.

Le Dr Robert Gallo est directeur de l’Institut de virologie humaine de l’école de médecine de l’Université du Maryland et l’un des scientifiques les plus éminents au monde. En 1984, il a co-découvert le VIH, aidant à prouver le lien entre le VIH et le sida. Avant l’épidémie de sida, en 1980, Gallo a été le premier à identifier HTLV-1 comme étant le seul virus connu provocant la leucémie.

Fin de l’année dernière, il a parlé de HTLV-1 lors d’une réunion de l’International Global Virus Network à Melbourne, un groupe de virologues de renommée mondiale. « Je pense qu’il est temps d’avoir une approche un peu plus musclée envers HTLV-1, ce virus qui a été oublié », a-t-il dit.

« Pourquoi n’existe-t-il pas de vaccin contre HTLV-1? Je ne sais pas si l’on a vraiment essayé d’en trouver un. J’ai entendu qu’ils font des recherches dans ce sens actuellement au Japon. Mais nous devons stimuler la participation du gouvernement, nous devons faire valoir l’importance de la maladie, la gravité de celle-ci. Nous pourrions faire beaucoup mieux. Nous devons faire beaucoup plus avec le HTLV-1 », avait-il plaidé.

De leur côté, les Japonais ont développé un anticorps qui cible les cellules affectées et les détruit. Un essai clinique est en cours. Einsiedel espère que le maintien des liens avec ses homologues du Japon sera payant, car c’est là que les traitements seront développés.

Il espère également trouver des fonds pour continuer son travail. Selon un porte-parole du ministre australien fédéral de la Santé, Ken Wyatt, le gouvernement aurait alloué 6,1 millions de dollars au Centre des sciences de la santé académique d’Australie centrale, dont le premier projet prioritaire est une étude sur HTLV-1.

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