Combinaison simulatrice de vieillissement mise au point par Produkt + Projekt. © DR

Simulateur de vieillissement : vis ma vie d’octogénaire

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Ça fait quoi d’avoir 80 ans ? Pour le savoir, Le Vif/L’Express s’est glissé dans la peau d’un senior à l’aide d’un simulateur de vieillissement. Mieux que des mots !

Prendre trente ans en dix minutes. Le Vif/L’Express l’a fait, en testant la combinaison simulatrice de vieillissement mise au point par Produkt + Projekt, une PME allemande dont le produit connaît un succès croissant auprès de ceux qui veulent mieux comprendre ce que vivent les personnes âgées. Rendez-vous chez Domitys, leader français des résidences services pour les seniors autonomes qui propose la location d’appartements, notamment en Belgique depuis 2015. L’entreprise a acheté plusieurs de ces combinaisons. Elle veut sensibiliser son personnel aux problématiques du public auquel il s’adresse. « L’objectif est que tous les employés, y compris le personnel administratif, éprouvent les difficultés qui sont celles des clients et qu’ils puissent adapter leurs comportements », explique Patrick Meilleur, directeur opérationnel de Domitys Belgique, à l’origine de l’expérience.

Le simulateur de vieillissement ne s’apparente pas à une simple combinaison qu’on endosse. Il faut d’abord se préparer comme on le ferait pour une course de rollers : le dispositif se divise en une multitude d’équipements fixés avec des bandes auto-agrippantes. On enfile des lunettes qui réduisent le champ visuel, le troublent ou jaunissent la vue, reproduisant les effets d’une cataracte, d’un glaucome ou d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge. On coiffe un casque audio qui bloque les hautes fréquences, simulant une perte d’audition. On lie aux poignets et aux chevilles des poids de 500 g et 1 kg. On pose sur le dos une armature qui oblige à se voûter. Des grenouillères et des coudières limitent les flexions. Une minerve entoure le cou. Des sur-chaussures à la semelle molle permettent de feindre les troubles osseux de la hanche et le déséquilibre. Et pour finir, les gants imitant l’arthrose et la perte de sensibilité, ce qui gêne tous les gestes de préhension.

Plus rien sans aide

L’effet est bluffant. Ainsi équipé, le corps est raide, lourd. Tout devient plus difficile. Il faut une éternité pour boutonner une chemise, si on y arrive. Le moindre geste demande un réel effort et prend plus de temps. Se laver les dents devient épuisant. On marche les jambes tendues. Gravir un escalier et ramasser un objet tiennent de l’exploit. Pour s’asseoir, il faut chercher son équilibre, puis tenter de plier les jambes sans vraiment y arriver. On est harassé. Et on finit par se laisser tomber sur le sofa. Tenir un stylo se révèle malaisé. Surtout avec les lunettes qui brouillent la vue et restreignent le champ visuel. Suivre un film (Le Grand restaurant, pour cette fois) ou un jeu télévisé (Motus) ? Concentration exceptionnelle obligatoire. Pour entendre, il faut monter le son. Ce qui, dans la vraie vie, doit énerver l’entourage. Le coup de grâce, c’est l’angoisse qui étreint lorsqu’on mesure qu’en fait on ne peut presque plus rien faire sans aide.

A l’arrivée, on comprend mieux pourquoi un grand-père reste figé dans son fauteuil – c’est à peu près la seule position de confort. C’est le but du « jeu ». La combinaison ne permet pas de ressentir la perte progressive d’autonomie mais elle vous immerge totalement dans la vieillesse en la vivant de l’intérieur.

Un autre regard

L’idée de simuler le quatrième âge pour mieux le comprendre n’est pas neuve. Dès les débuts de la gériatrie (seconde moitié du XXe siècle), les médecins spécialistes élaborent des dispositifs capables de faire ressentir les effets de la vieillesse sur le corps. Ces « kits » demeurent pour le moins artisanaux : de la vaseline sur les lunettes pour brouiller la vue, des attelles pour rigidifier les membres, un petit galet dans la bouche pour empêcher de parler correctement, des boules Quies dans les oreilles…

A la fin des années 1990, des entreprises ont développé des équipements tout en un, au Japon, en France, en Allemagne. C’est notamment le cas de Produkt + Projekt, qui a mis au point l’outil en 2005, à l’époque où la PME travaillait pour un fabricant d’appareils de gymnastique destinés aux seniors. Depuis, avec le papy boom et la forte augmentation du nombre de seniors, le produit se vend dans le monde entier au prix d’environ 1 400 euros la pièce.

En Belgique, le secteur médico-social s’intéresse à ce dispositif depuis une dizaine d’années. De plus en plus de services de gériatrie et de sociétés d’aides à la personne se sont mis à l’expérimenter. « Au début, il s’agissait d’un outil de formation interne. Nous l’utilisions pour former les infirmiers, les aides-soignants, les ergothérapeutes, signale Emilie Damien, ergothérapeute. En la testant, ça leur permettait de porter un autre regard sur la perte d’autonomie. Et puis peu à peu, on s’est tourné vers le grand public. »

L’ambition est de sensibiliser tout le monde, familles, jeunes, étudiants en médecine, etc., toute une société qui n’a pas fait grand-chose pour se préparer à une situation démographique explosive. Autrement dit, « enfermer » des volontaires dans la combinaison pour accroître leur empathie et leur bienveillance à l’égard de la personne âgée.

Mais l’expérience a également attiré d’autres entreprises et industriels, que ce soit dans les secteurs de l’automobile, de l’architecture, des nouvelles technologies… Le simulateur leur sert à concevoir des produits adaptés aux personnes âgées. Il est ainsi testé par des ingénieurs qui créent des douches pour le troisième âge, des designers, des développeurs et des responsables marketing qui souhaitent adapter aux seniors les emballages de consommation, les équipements domestiques, les appareils électroménagers ou l’agencement des magasins.

Vient le moment de se libérer de tous ces accessoires et de retrouver l’ouïe, la vue, la souplesse, l’autonomie… Si c’était possible dans la réalité.

Un million de 75 ans et +

En Belgique, selon un récent rapport de l’office belge de statistique, Statbel, environ 1 million d’individus ont 75 ans et +. Ce chiffre devrait doubler d’ici à 2070. L’espérance de vie à la naissance devrait atteindre 89,63 pour les femmes et 87,97 pour les hommes. Alors que l’on comptera 11 622 centenaires, contre 1 502 aujourd’hui.

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