Surtout essayez de ne pas vous demander continuellement comment vous vous sentez et si vous êtes heureux. © Getty Images/iStockphoto

Pourquoi le chemin le plus rapide vers le bonheur n’est pas le bon

Une étude scientifique montre que plus nous nous efforçons d’être heureux, moins nous avons de chances d’atteindre cet objectif. Le bonheur est comme un petit animal timide. C’est en cessant de le pourchasser, qu’il viendra de lui-même.

Pour beaucoup, la poursuite du bonheur est un voyage acharné, mais plus on le cherche, moins on le trouve comme l’explique Elizabeth Gilbert dans « Mange, prie, aime » où elle partage quelques conseils de son gourou. « Le bonheur est la conséquence d’un effort personnel. On se bat, on lutte pour le trouver, on le traque, et même parfois jusqu’au bout du monde. Chacun doit s’activer pour faire advenir les manifestations de sa grâce. Et une fois qu’on atteint cet état de bonheur, on doit le faire perdurer sans jamais céder à la négligence, on doit fournir un formidable effort et nager sans relâche dans ce bonheur, toujours plus haut, pour flotter sur ses crêtes. Sinon, ce contentement acquis s’échappera de vous, goutte à goutte. »

Bien que cette démarche puisse fonctionner pour certains, les dernières recherches scientifiques suggèrent que cette recherche éperdue du bonheur peut aussi se retourner contre beaucoup de gens – entraînant, par exemple, des sentiments de stress, de solitude et d’échec personnel. Selon ce point de vue, le bonheur est plutôt vu comme un oiseau timide : plus on s’efforce de l’attraper, plus il s’envole au loin. Les résultats de ces recherches scientifiques aident à expliquer le stress et la déception que certains ressentent lors d’événements particuliers comme leur anniversaire, Noël ou le réveillon du Nouvel An. Cette recherche du bonheur a aussi des conséquences profondes sur votre bien-être à long terme. Voici quelques pistes pour organiser vos objectifs de vie plus larges.

Aide ou boulet ?

Iris Mauss (Université de Californie à Berkeley) a été l’une des premières psychologues à explorer scientifiquement cette idée. C’est le nombre de livres de développement personnel, publiés aux États-Unis au cours de ces deux dernières décennies, qui l’ont inspirée explique-t-elle. Beaucoup présentaient le bonheur comme la condition sine qua non de l’existence. « Partout, vous voyez des livres sur la façon dont le bonheur est bon pour vous, et comment vous devriez être plus heureux, c’est presque comme un devoir », dit-elle. Mais ces nombreux livres n’incitent-ils pas à la déception, voire à la dépression ?

« Les personnes peuvent se fixer des objectifs très élevés pour définir leur propre bonheur et en fonction de cela – ils peuvent penser qu’ils devraient être heureux tout le temps, ou extrêmement heureux, et cela peut amener les gens à se sentir déçus d’eux-mêmes, à penser ne pas être à la hauteur – et cela pourrait même avoir ces effets autodestructeurs « .

Elle se demande aussi si le simple fait de poser la question « A quel point suis-je heureux.se ? » ne crée pas un état d’esprit inconscient qui annule les sentiments de bien-être et de bonheur que vous essayez de cultiver. Iris Mauss et son équipe ont constaté lors de leur étude que plus les participants étaient d’accord avec des affirmations comme « Pour avoir une vie qui ait du sens, j’ai besoin d’être heureux.se la plupart du temps », moins ils étaient satisfaits de leur vie actuelle.

Le tableau se complique encore selon la situation des participants. Pour les personnes qui ont récemment vécu des événements stressants comme un deuil, par exemple, l’attitude face au bonheur n’a fait aucune différence. Ainsi, le désir d’être heureux ne les fera pas nécessairement se sentir plus mal lorsque leur situation est vraiment difficile. Mais ce désir d’être heureux peut atténuer le sentiment de satisfaction qui survient naturellement lorsque les situations personnelles sont plus paisibles.

Mauss et ses collègues ont ensuite tenté de savoir s’ils pouvaient « manipuler » les attitudes des participants pour « modifier » leur sentiment de bonheur à court terme. Pour ce faire, ils ont demandé à la moitié du groupe de lire un faux article de journal vantant l’importance du bonheur, tandis que l’autre moitié a reçu à lire un article similaire mais vantant les bienfaits d’un « bon jugement », de manière neutre et sans référence aux émotions. L’équipe a ensuite demandé aux participants de regarder un film réconfortant et les a interrogés sur leurs sentiments après cela.

Une fois de plus, ils ont noté un effet inverse: le film remontait moins le moral du groupe qui s’était préparé à désirer un bonheur plus grand, par rapport à l’autre moitié qui avait lu l’article plus neutre. Il semble que la lecture sur le bonheur ait suscité chez les certains participants des attentes quant à ce qu’ils « devraient » ressentir lorsqu’ils regardent quelque chose d’optimiste et de réconfortant, et qu’ils s’interrogent constamment sur comment ils se sentent. Quand leurs sentiments n’ont pas atteint ces objectifs qu’ils s’étaient fixés, ils ont terminé la vision du film avec un sentiment de déception, plutôt que de satisfaction.

A trop désirer…

Et c’est probablement ce que vous avez ressenti lors d’un événement important de votre vie comme un voyage au bout du monde ou un mariage: plus vous vouliez profiter de chaque dernier instant, moins vous en profitiez réellement. Les recherches d’Iris Mauss montrent également que cela pourrait s’appliquer à de nombreux autres domaines de votre vie.

Mauss a aussi démontré que le désir de bonheur (et la poursuite de ce bonheur) peut aussi accroître les sentiments de solitude et de déconnexion. Sans doute parce que ce désir de bonheur vous amène à vous concentrer sur vous-même et sur vos propres sentiments plutôt que sur ceux de votre entourage. « Le focus sur soi pourrait faire en sorte que je m’engage moins avec les autres, et je pourrais les juger de façon plus négative si je les perçois comme « gâchant » mon bonheur personnel », a ajouté Mauss.

Ces effets ne s’arrêtent pas là. Sam Maglio (Université de Toronto) et Aekyoung Kim (Université Rutgers) ont trouvé une autre façon de contrecarrer cette poursuite effrénée et consciente du bonheur : en nous faisant percevoir le temps qui passe. Comme Mauss, Maglio et Kim ont réalisé une série d’études pour déterminer un effet causal. Une de leurs études a demandé aux participants d’énumérer les 10 choses qui les rendraient vraiment heureux (et cela pouvait être des choses toutes simples comme de consacrer quelques heures par semaine à passer du temps en famille). Plutôt que de susciter un sentiment d’optimisme à l’égard de l’avenir, ils ont été particulièrement stressés par le peu de temps dont ils disposaient pour réaliser toutes ces choses et ils en ont donc été moins heureux. Le problème n’était pas l’énumération des 10 points qui les rendaient heureux à ce moment-là ; non le souci était le désir d’augmenter leur bonheur.

Le problème, souligne Maglio, est que le bonheur est une sorte de but nébuleux et en mouvement, il est donc très difficile de sentir qu’on a atteint ce bonheur maximum et même si on est satisfait, on veut prolonger ce sentiment de satisfaction. Le résultat est qu’il vous reste toujours une impression qu’il y a encore plus à faire. « Le bonheur passe alors de quelque chose d’agréable, dont je peux profiter en ce moment, à quelque chose de pénible, auquel je dois travailler encore et encore et encore « , explique Maglio. De plus, pointe encore Maglio, les réseaux sociaux nous rendent particulièrement exposés à la vie des autres, ce qui augmente potentiellement notre désir de vivre une vie plus heureuse et plus excitante que celle de nos « voisins ». Il établit que nous serions plus heureux si nous ne nous tournions pas continuellement vers les autres pour déterminer nos objectifs de ce qui constitue pour nous une vie riche, épanouie et valorisante.

« Si on vous rappelle constamment que votre ami à cet endroit paradisiaque, je pense que cela pourrait vous rappeler que d’autres personnes semblent plus heureuses que vous – et redonner de cette manière un coup de fouet à cette quête effrénée de bonheur, » dit Maglio. « Je pense vraiment que ce désir de bonheur augmente de nos jours. »

Accepeter plutôt que combattre les sentiments négatifs

De son côté, Iris Mauss souligne que de nombreuses recherches ont montré que les gens qui adoptent une attitude d’acceptation face à ces sentiments négatifs, plutôt que d’essayer constamment de les combattre, finissent en fait par être plus satisfaits de leur vie sur le long terme. « Lorsque vous vous efforcez d’être heureux.se à tout prix, vous pouvez devenir critique et refuser d’accepter les choses négatives dans votre vie… Vous vous réprimandez presque pour ces sentiments qui sont incompatibles avec le bonheur « , dit-elle. Pour ces raisons, elle conseille d’adopter une attitude plus stoïque face aux hauts et aux bas de la vie, dans laquelle vous acceptez les sentiments négatifs comme des événements passagers plutôt que d’essayer de les éliminer complètement.

Mais rien de tout ceci ne vient nier le fait que certains petits trucs – comme tenir un « journal de gratitude » ou pratiquer la gentillesse envers les autres – augmentent votre bien-être immédiat, surtout si ces petites routines vous permettent de reconnaître votre satisfaction ici et maintenant. Mais ne vous attendez pas à une remontée en flèche et immédiate de votre moral, et surtout essayez de ne pas vous demander continuellement comment vous vous sentez.

Le bonheur est comme un petit animal timide. Et une fois que vous cessez de le pourchasser, vous constaterez peut-être qu’il viendra de lui-même.

David Robson – BBC

(traduction VM)

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