Patrice Cani: « Dans le monde, il y a des centaines de millions de prédiabétiques qui s’ignorent »

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Maître de recherche FNRS, professeur à l’UCLouvain et spécialiste en métabolisme moléculaire et nutrition. Avec son équipe du Louvain Drug Research Institute, il a découvert qu’une bactérie pouvait lutter contre le diabète de type 2.

Pourquoi des personnes développent- elles un diabète de type 2?

Les premiers facteurs de risque sont le surpoids et l’obésité. Ce sont les personnes qui accumulent des masses grasses dans le corps. Il y a aussi des facteurs génétiques et environnementaux liés à une baisse de l’activité physique et à l’âge. Ces personnes sont plus ou moins susceptibles de développer un diabète de type 2. On en connaît encore mal la cause, tant la maladie est complexe et variable d’un individu à l’autre. En pratique, la médecine ne la détecte pas. Ça ne se sent pas, ça ne fait pas mal, il n’y a pas de symptômes. Pendant des années, les gens ne se sentent pas malades. Lors d’une prise de sang de routine, l’insuline n’est même pas mesurée, parce qu’elle n’est pas remboursée. Or, un stade prédiabétique, c’est « la » fenêtre d’action. Dans le monde, il y a des centaines de millions de prédiabétiques qui s’ignorent…

Dans le monde, il y a des centaines de millions de prédiabétiques qui s’ignorent.

Il y a tout de même un profil type?

Le diabète de type 2 apparaît généralement après 50 ans, même s’il implique désormais des patients de plus en plus jeunes. Il s’agit très souvent d’un homme qui présente un accroissement de la sangle abdominale, du tour de taille, où s’accumule la graisse viscérale qui prédispose au diabète. Mais la littérature scientifique montre qu’aujourd’hui les femmes ne sont pas davantage protégées.

Quels sont les meilleurs traitements actuels?

Le premier des traitements repose sur la diététique, l’activité physique et la perte de poids: ce sont les mesures hygiéno- diététiques, qui peuvent suffire à réguler la glycémie. Ensuite, il existe un arsenal de médicaments par voie orale et sous- cutanée. Cela concerne plus de 450 millions de personnes à l’échelle de la planète, et leur nombre aura doublé en 2030.

Où en êtes-vous dans vos recherches?

On sait que le gros intestin joue un rôle clé dans l’absorption des graisses et du sucre. C’est lui qui produit les hormones régulant leur taux dans le sang. Ce que nous avons identifié, c’est le dysfonctionnement du duodénum. C’est lui qui dialogue avec le cerveau, qui, en se contractant pour augmenter la surface d’absorption, lui signale que les organes périphériques doivent se mettre au travail pour réduire le taux de sucre. Or, chez les patients diabétiques, le duodénum se contracte en permanence et le cerveau ne détecte plus le message. Comment peut-on rétablir la communication? C’est l’objet de notre dernière découverte: une molécule est absente chez les diabétiques et ces derniers présentent des « serrures » défectueuses. Serrures qui permettent justement à la molécule de se fixer sur un récepteur particulier, activant le signal au cerveau.

A quelle échéance peut-on espérer la mise au point d’un traitement?

Pas dans les cinq ans, malheureusement. Depuis vingt ans, on voit une incroyable vitalité de la recherche qui bénéficiera à tous les malades. Et l’analyse du microbiote ( NDLR: les micro-organismes, comme les bactéries) va permettre de rendre plus précis et surtout plus précoce le diagnostic. On pourra alors vraiment parler de prévention.

Le microbiote révolutionne-t-il la médecine?

Tout porte à croire, en tout cas, que sa modulation, au cas par cas, devrait permettre de prévenir et guérir les maladies chroniques. Les traitements, mieux personnalisés, pourront être mieux adaptés et les patients résistants enfin pris en charge, des patients qui suivent à la lettre leur traitement mais ne voient aucune amélioration.

La médecine personnalisée, c’est une autre révolution?

Je parlerais davantage de « médecine fonctionnelle ». L’adage « le patient vient voir le médecin avec un symptôme et le médecin veut voir des maladies et traiter des symptômes » reste de mise. Une personne affiche trop de sucre dans le sang, elle sera vue par un diabétologue. Mais peut-être devrait-elle voir un gastro? Un patient devrait être considéré au-delà de tel organe et, donc, de tel médicament. On cloisonne trop. Or, tous les organes sont connectés. Exemple: on vient de découvrir qu’entre les 20% à 30% des patients cancéreux qui répondent à l’immunothérapie et les autres, il existe des différences de microbiote qui influencent l’efficacité de la thérapie anti- cancéreuse. Les chercheurs ont également comparé l’efficacité de différents médicaments et constaté que chez certains patients cancéreux, la présence de certaines bactéries va métaboliser la molécule plus vite et celle-ci se révélera moins longtemps active. Oui, cela ouvre la voie à des traitements « sur mesure ».

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