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Papier ou sèche-mains, qui régnera sur les toilettes ?

Muriel Lefevre

Alors que la serviette en papier régnait en maître depuis des décennies, un nouveau venu cherche à la détrôner: dans le monde confiné des toilettes règne une guerre aussi sourde que sans pitié.

On peut voir dans le sèche-mains l’expression ultime de la foi dans la mécanique. Le symbole qu’aucun endroit n’est trop trivial que pour être ignoré par l’avancée technologique. Car, ne nous leurrons pas, l’ambition du sèche-mains est de briser une habitude humaine vieille de plusieurs dizaines de milliers d’années. Le but est de nous persuader que les quelques fois par jour où nous nous séchons les mains pendant quelques secondes justifient une machine, dit The Guardian, qui consacre un long article au sujet.

A une époque pas si lointaine, Big Towel régnait en maître

Pendant des décennies, le principal fabricant de sèche-mains a été World Dryer. Pendant des années, le modèle en forme de réservoir a été le summum des possibilités. Beaucoup estimait que c’était le meilleur séchoir sur le marché, maintenant et pour toujours. Du coup nul besoin d’innover. Même World Dryer semblait le croire.

Bien que dans la plus grande partie du XXe siècle, c’est la serviette en papier qui domine, on notera que celle-ci n’est pas beaucoup plus vieille que le sèche-mains. Il a été lancé par la Scott Paper Company (qui appartient aujourd’hui au géant du papier tissu Kimberly-Clark) en 1907. Le premier appareil de type séchoir pour mains a lui été breveté en 1922 par la Airdry Corporation, à New York.

De toute façon, plus que le sèche-mains première version, les toilettes étaient jusqu’alors la chasse gardée de l’entreprise Big Towel, qui se trouve aussi être un lobby ultra puissant. Lui, et ses distributeurs de serviettes en papier régnaient depuis des décennies dans les toilettes. Pendant tout ce temps, la supériorité fondamentale du papier n’a donc jamais semblé être simplement mise en doute. Plus simple, ne tombant jamais en panne, pouvant éponger les taches sur les cravates ou les vêtements ou encore essuyer la transpiration sur le front.

Mais tout cela, c’était avant l’appareil de Dyson qui va faire une percée déterminante dans ce domaine en se lançant dans une attaque méthodique du marché. Dans sa première année avec Dyson, George Campbell a visité d’innombrables toilettes des États-Unis. Il remarque qu’il y a un sèche-mains dans une toilette sur 20. Il entraperçoit un large marché vierge devant lui. Et avec, en bonus, les coudées franches puisque personne ne s’attend à une concurrence dans le domaine.

Papier ou sèche-mains, qui régnera sur les toilettes ?
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Pour que son produit devienne le nouvel équipement standard des toilettes, il a dû convaincre des architectes d’intégrer ces nouveaux sèche-mains dans leurs nouveaux bâtiments et convertir les gestionnaires d’installations des toilettes existantes. Créer l’émulation autour d’un sujet qui ne passionne guère a tout du travail ingrat. Selon Campbell, « tant que personne ne se plaint, c’est l’inertie. » Son travail herculéen va néanmoins payer. Il a été aidé en cela par la sortie en 2006 du Dyson Airblade. Son premier look argenté avait l’air si futuriste qu’on va le voir dans le reboot de Star Trek en 2009. À l’intérieur se cachait une technique révolutionnaire qui soufflait de l’air à des vitesses supérieures à 400 mph et un filtre qui prétendait capter 99,95 % toutes les particules qui dépassaient les 0,3 micron. Il va aussi déterminer à quel moment précis une main est considérée comme sèche (soit 0,1 g d’humidité après 10 secondes). Ce n’était pourtant pas le premier appareil du genre puisqu’il existait déjà, au Japon, le Jet Towel de Mitsubishi ou aux États-Unis, le Xlerator conçu par Excel Dryer, mais grâce au travail de prospection fait au préalable, c’est le Dyson qui va s’imposer.

Une guerre de tranchées où tous les coups sont permis

Depuis le début des hostilités, on assiste à une guerre des tranchées ou chaque camp milite pour sa cause en jonglant entre stratégie commerciale et de relations publiques. Chacun cherche à gagner la lutte sans merci pour dominer les toilettes du monde.

On estime ainsi qu’en 2020, selon la société d’études de marché Technavio, le monde achètera toujours pour environ 4 milliards de dollars US d’essuie-mains en papier, du type le plus courant dans les toilettes publiques alors que les ventes de sèche-mains stagneront à 856 millions $ (bien qu’en ayant augmenté de 12% chaque année depuis 2014). Il n’empêche que l’écart s’amenuise puisque, entre 2012 et 2020, les séchoirs à mains auront chipé 873 millions de dollars de bénéfices au secteur des serviettes.

Cette marche de progression s’explique par le fait que l’option papier n’est pas parfaite. Il y a la difficulté de surveiller les distributeurs, de les remplir et de garder les poubelles vides. Le papier peut aussi former un amas visqueux sur le sol. Il peut aussi boucher les toilettes. Sofidel, l’un des plus grands fabricants de mouchoirs en papier au monde, a même dû développer un produit qui se désintègre rapidement dans l’eau, a déclaré John Phillips, directeur commercial national de Sofidel UK pour ce que l’industrie appelle son segment « Away-From-Home ». Et puis il y a les vols. Dans certaines universités on a placé des cadenas sur les distributeurs de papier.

Ensuite, il y a un argument économique qui veut que s’il est plus cher à l’emploi, le sèche-main serait vite rentabilisé. L’argument écologique envers les sèche-mains est lui par contre moins franc. En 2011, Dyson a financé une étude du Massachusetts Institute of Technology, où des scientifiques ont rassemblé l’impact environnemental que cause la fabrication, l’utilisation et les fins de vie des essuie-mains en papier, des sèche-mains à air chaud et des sèche-mains à haute vitesse. Ils ont supposé que nous utilisions deux essuie-tout chaque fois que nous nous lavions les mains, que le sécheur le plus rapide fonctionne pendant 12 secondes et que le plus lent fonctionne pendant une demi-minute. L’étude déterminera que les séchoirs à haute vitesse étaient les plus respectueux de l’environnement. Si l’on tient compte de l’entièreté du processus, les serviettes en papier peuvent générer jusqu’à 70 % plus d’émissions que le sèche-mains le plus efficace sur le marché.

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Il n’empêche que cela reste une machine avec toute sorte de composants et que de nombreux papiers que l’on utilise pour se sécher les mains sont du papier recyclé ou issu d’une sylviculture renouvelable. Bien sûr, les esprits chagrins pourront dire, à raison, qu’il reste encore le transport… Mais quoi qu’il en soit, on ne peut faire un distinguo limpide sur ce sujet.

L’hygiène au coeur de la bataille

Le flou existant dans les autres domaines, l’un des principaux champs de bataille entre les deux camps reste donc celui de l’hygiène publique. Preuves scientifiques à l’appui, on cherche à démontrer qu’un système est plus hygiénique qu’un autre. La première étude visant à comparer les méthodes de séchage des bactéries résiduelles a été publiée en 1953 ; depuis lors, des douzaines d’autres études ont été rédigées, et le rythme s’est accéléré, en particulier après que Dyson se soit lancé sur ce marché. La plupart des études abordent deux questions centrales : nos mains se débarrassent-elles moins bien des germes après avoir utilisé un sèche-mains plutôt qu’une serviette en papier ? Et ne dispersent-elles pas les bactéries et les virus dans les toilettes ?

De toutes ces études, il n’y a eu qu’un seul projet de recherche véritablement indépendant et digne d’être mentionné précise The Guardian. Elle a été menée par la Clinique Mayo en 2012, et ses auteurs ont recommandé que les serviettes en papier soient préférées dans les endroits où  » l’hygiène est primordiale, comme les hôpitaux et les cliniques ».

Ce n’est pas un postulat que les entreprises de sèche-mains contestent souvent ; leur combat concerne les toilettes publiques régulières, où elles soutiennent que les sèche-mains ne sont ni plus ni moins hygiéniques que les serviettes en papier. Pour l’instant et malgré de nombreuses études financées par chaque camp, et qui ont fait le bonheur des médias et des réseaux sociaux, on est pourtant là aussi au statuquo.

Les débats sur l’hygiène se laissent de toute façon balloter entre un idéalisme de bon aloi et un certain pragmatisme. Nous entrons en contact avec des surfaces infestées de germes toute la journée, tous les jours, mais nous ne tombons pas toujours gravement malades. Ce qui est important, c’est que les gens se lavent les mains au savon et les essuient bien. « Aucune méthode de séchage des mains n’est bonne… si le lavage des mains n’est pas bien fait « , explique Salomé Gião, microbiologiste au sein de l’équipe de Dyson.

Un tel argument chipote Redway, professeur émérite à l’Université de Westminster et auteur le plus prolifique au monde d’études sur les serviettes. Dans quelle mesure faisons-nous confiance à l’inclination à se laver les mains de ceux qui nous précédés dans une toilette ? « La plupart des visiteurs des toilettes publiques avouent sondage après sondage qu’ils ne se lavent pas les mains à fond. « Ils n’utilisent pas de savon, juste un peu d’eau, » dit Redway. « Tout ce qui reste sur leurs mains, qui pourrait être du matériel fécal s’ils ne les lavent pas correctement, est soufflé partout avec un sèche-main ». On notera tout de même que Redway fait partie du panel de scientifiques de l’European Tissue Symposium (ETS) qui regroupe l’industrie des serviettes en papier et se réunit une fois par an à Louvain, en Belgique. Et que l’ETS paie le voyage et leur verse à tous des honoraires. De quoi faire penser à certains, un parti-pris partisan. Ce que l’intéressé réfute dans The Guardian et ne cesse de répéter qu’on ne se méfie pas assez des sèche-mains.

Chez Dyson, pourtant, on ne doute pas que l’avenir est au sèche-main et on envisage même une version pour la maison. Ou encore des appareils qui auront une tout autre allure. Ils flotteront toujours au-dessus de l’évier et seront encore plus éconergétiques.

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