© GETTY IMAGES

Mauvais rêve, sommeil, rêveur lucide: que signifient nos rêves?

Laetitia Theunis Journaliste

Selon de récentes études, les « mauvais rêves » nous prépareraient à affronter nos peurs lors de l’éveil. Quant aux rêves lucides, que certains ont la capacité d’orienter, ils pourraient, à terme, être à la portée de tous, nous ouvrant grand les portes de la créativité.

Le sommeil n’est pas un coma. « Contrairement aux idées reçues, nous rêvons tout le temps. L’activité cérébrale ne s’arrête jamais au cours du sommeil, elle est seulement plus ou moins mémorisée « , recadre d’emblée Isabelle Arnulf, spécialiste internationale du sommeil et neurologue au sein de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Si l’on se souvient mieux de certains songes, c’est grâce à des ondes particulières émises de façon très intense dans le cerveau juste avant le réveil. Celles-là même qui favorisent la mémorisation durant l’éveil.

Les rêves résultent bel et bien d’une activité cognitive, produite par le cerveau endormi. Et pas moins de deux tiers d’entre eux sont à connotation négative. Les « mauvais rêves », qui se caractérisent par des niveaux de frayeur modérés, nous prépareraient en réalité à affronter nos peurs lors de l’éveil. C’est ce qu’ont récemment démontré des neuroscientifiques de l’université et des hôpitaux universitaires de Genève (Unige). Avec le concours de dix-huit dormeurs qui ont sombré dans les bras de Morphée la tête recouverte de 256 électrodes enregistrant leurs ondes cérébrales, ils ont identifié les zones du cerveau sollicitées lors des mauvais rêves. Plusieurs fois par nuit, les volontaires ont été réveillés et priés de répondre systématiquement aux mêmes questions : « Avez-vous rêvé ? Si oui, avez-vous ressenti de la peur ? »

Les rêves lucides apportent un sentiment grisant. Vous pouvez essayer de voler, de chanter, de faire l’amour. C’est mieux que la réalité virtuelle.

L’expérience a permis d’observer que les régions cérébrales activées lorsque la crainte est ressentie dans un rêve ou à l’éveil sont identiques. Elles se nomment insula et cortex cingulaire. A l’éveil, la première est impliquée dans l’évaluation des émotions tandis que le second prépare les réactions motrices et comportementales à mettre en oeuvre en cas de danger.

Ensuite, « nous avons constaté que plus une personne avait ressenti de la peur dans ses rêves, moins l’insula, le cortex cingulaire et l’amygdale étaient activés lorsque cette même personne, alors éveillée, était confrontée à des images négatives« , expose Virginie Sterpenich, chercheuse au département de neurosciences fondamentales de l’Unige.  » En outre, l’activité du cortex préfrontal médial, connu pour inhiber l’amygdale en cas de stress, augmentait proportionnellement à la quantité de rêves de peur.  »

Pour le docteur Lampros Perogamvros, chef de clinique scientifique au Centre de médecine du sommeil de l’université genevoise, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : ces expériences démontrent qu’en rêve nous simulons des situations effrayantes qui nous préparent à y réagir une fois éveillés. Un constat qui ouvre des perspectives puisque les chercheurs envisagent d’étudier une nouvelle forme de thérapie pour traiter les troubles anxieux par le rêve.

Une machine à hacker les rêves ?

Mais peut-on influencer nos rêves ? Actuellement, seuls les rêveurs lucides y parviennent. Tout en restant endormis, ils sont conscients qu’ils sont en train de rêver. « Leurs yeux ne sont pas paralysés pendant le sommeil, ils peuvent donc envoyer aux chercheurs un signal oculaire particulier », explique la professeure Arnulf. Des études ont ainsi pu démontrer que les rêveurs lucides réussissent à orienter leur rêve. Ils font apparaître des personnages à l’envi ou s’échappent à leur guise face à un ennemi.

« Les rêves lucides apportent un sentiment grisant. Vous pouvez essayer de voler, de chanter, de faire l’amour. C’est mieux que la réalité virtuelle », écrit Tore Nielsen, professeur de psychiatrie à l’université de Montréal sur le blog du Massachusetts Institute of Technology. Alors que les rêveurs lucides ne représentent qu’une infime fraction de l’humanité (on parle de moins de 1%), des chercheurs du « Dream Lab » du célèbre institut américain planchent sur une machine susceptible d’influencer nos rêves. Usant d’un mot ou d’une odeur, cet outil, dénommé Dormio, pourrait être capable d’intégrer certains éléments dans nos histoires nocturnes.

L’appareil ressemble à un gant muni de capteurs, qui suit les étapes du sommeil. Une expérience a été menée auprès de cinquante volontaires. Lorsqu’ils ont atteint l’hypnagogie (soit un état de conscience particulier durant la phase d’endormissement), le simple fait que le gant émette le mot (préenregistré) « tigre » a peuplé leurs rêves de ce félin.

« Edison, Tesla, Poe et Dalí ont tous atteint cet état où l’espace et le temps sont déformés, où les associations d’idées sont spontanées et fluides », illustre l’expert Adam Horowitz. Le dispositif qu’il contribue à concevoir a pour but de permettre à tout un chacun d’y accéder, et ce afin d’ « augmenter sa capacité de mémoire et sa créativité, améliorer son humeur ou ses performances « , souligne-t-il. L’idée est séduisante mais c’est peut-être aller un peu vite en besogne. En effet, les scientifiques restent divisés sur l’utilité des songes qui, pour certains, ne seraient qu’un charabia sans signification. Mais rien n’interdit de rêver.

Notre sommeil à la loupe

Nous passons environ un tiers de notre vie à dormir et nos nuits se découpent invariablement en tranches de sommeil d’environ deux heures et demi, parfois entrecoupées de microréveils. Chaque cycle comprend deux phases. Durant le sommeil lent, qui dure environ une heure et demi, les neurones de la couche superficielle du cerveau (cortex) semblent assoupis et s’activent plus lentement que lorsque nous sommes éveillés.

Lors du sommeil paradoxal, qui peut durer jusqu’à une heure, l’activité cérébrale ressemble bien davantage à celle observée durant l’éveil. Les muscles sont néanmoins paralysés, sauf ceux des doigts, des yeux et du visage. C’est au cours du sommeil paradoxal que les yeux du dormeur bougent frénétiquement sous ses paupières, comme s’il regardait un film intérieur : le cerveau s’active, semblant observer une scène visuelle. Contrairement aux croyances associant le rêve au seul sommeil paradoxal, chacun est susceptible de rêver au cours des deux phases. Les émotions seraient toutefois plus intenses durant le sommeil paradoxal. Cela pourrait s’expliquer par une activité plus vive au sein de l’amygdale, une des parties du cerveau gérant les émotions.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire