Les plannings familiaux débordés par les urgences psychologiques

Le Vif

Près d’un an après la déclaration de l’état de pandémie, qui a mené à des restrictions de liberté importantes dans un but sanitaire, les centres de planning familial font le point. Leur crainte d’une diminution des avortements ne semble pas s’être réalisée mais d’autres urgences, essentiellement psychologiques, font surface.

La première vague de l’épidémie de Covid-19 ne semble pas avoir eu de conséquences sur les avortements. Sur base des chiffres des centres de planning familial, qui réalisent 85% des IVG en Belgique, ni baisse, ni augmentation n’est constatée de mars à mai 2020, par rapport à la même période un an plus tôt, indique Karim Majoros, directeur de la Fédération laïque de centres de planning familial.

« Nous ne sommes pas face à une situation très compliquée due au Covid. On voit encore des femmes arriver après 12 semaines de grossesse et qu’il faut envoyer à l’étranger mais ça, c’est le problème de la loi », pointe Emilie Saey, directrice de la Fédération pluraliste de ces centres. Les fédérations de plannings familiaux appellent à une extension du délai maximum au terme duquel une IVG peut être pratiquée en Belgique. Une proposition de loi était sur la table mais a été mise au frigo lors de la formation du nouveau gouvernement fédéral.

Cependant, les chiffres ne sont pas encore complets, une quinzaine de pourcent d’interruptions volontaires de grossesse étant généralement effectuées dans les hôpitaux. Ceux-ci ont souvent renvoyé les femmes vers les plannings familiaux, explique M. Majoros. « Il y a parfois eu des prises de décision brusques d’arrêter les activités cliniques sans prendre en compte que cela impactait les IVG, qui ne peuvent être reportées. Cela montre la fragilité du système », estime le directeur de la Fédération laïque, qui espère des chiffres complets pour 2022.

« Tout porte à croire qu’il y a eu une limitation de la possibilité des femmes de décider de leur autonomie reproductive », affirme Paola Hidalgo, déléguée à la communication socio-politique de Bruxelles-Laïque, régionale bruxelloise du Centre d’action laïque. Si les chiffres n’indiquent pas de « catastrophes », Mme Hidalgo souligne que « certaines femmes, surtout jeunes, qui ne sont pas encore habituées à aller chez le gynécologue ou au planning familial, se sont retrouvées dans des situations compliquées à gérer. Des grossesses non désirées ou non planifiées ont dû être menées à terme », avance-t-elle, sur base de témoignages qu’elle a récoltés pour la réalisation d’un court-métrage, sorti le 7 mars. « En termes de justice reproductive, cela pose question aussi car ce sont les femmes les plus pauvres et les plus éloignées de ces connaissances qui sont confrontées à davantage de difficultés. »

75.000 consultations n’ont pas été réalisées

Si Emilie Saey met en avant une continuité des soins qui a pu être assurée par les plannings familiaux, Karim Majoros observe, lui, une baisse de 80% des activités des centres réunis sous la fédération laïque. « On estime que 75.000 consultations et accueils en Fédération Wallonie-Bruxelles n’ont pas été réalisés. Et ça n’a pas été compensé par la suite parce que certaines personnes ont renoncé tandis que les équipes ne pouvaient absorber tout ce retard, lorsqu’il était exprimé », explique-t-il. Les mesures sanitaires réduisent en outre les capacités d’accueil, de l’ordre de 20%, en raison des délais imposés entre les rendez-vous, de l’obligation d’éviter les croisements, etc.

La crise sanitaire a cependant montré la force des centres de plannings en Belgique et surtout de leur maillage, « qui a permis de répondre plus facilement à des besoins locaux », relève M. Majoros. « Lorsqu’on avait peur de se déplacer, il ne fallait pas aller très loin pour trouver un centre, sauf dans les zones rurales. Cela a été une chance pour éviter des reports de soins ».

L’urgence actuelle se situe au niveau psychologique, alertent les plannings familiaux. « On n’arrive plus à suivre. Dans les meilleurs des cas, on arrive à obtenir un rendez-vous dans un centre de soins psy avec un délai de deux à trois semaines mais c’est parfois plutôt deux à trois mois, voire les centres n’acceptent plus de nouveaux rendez-vous. La santé mentale est saturée », prévient M. Majoros.

Finances en baisse

Autre inquiétude des centres: leurs finances, étant donné que 10 à 20% de leurs revenus proviennent des consultations, qui ont été réduites. « C’est de l’argent qui ne rentre pas et qui n’est pas compensé. On a aussi besoin de davantage de matériel pour moins de consultations, il a fallu parfois réaménager les locaux, voire déménager », souligne M. Majoros.

Ce dernier est aussi préoccupé par le retard accumulé dans le domaine de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras). « À Bruxelles, sur l’année scolaire 2019-2020, nous avons recensé 1.500 heures d’animation qui n’ont pas été données. Ce sont autant de personnes qui ne sont pas informées, qui n’ont pas pu discuter de harcèlement, de violences… Ce sera une perte supérieure cette année scolaire », pronostique-t-il alors que les écoles ont généralement eu tendance à donner la priorité à la matière scolaire. Les centres de planning aussi ont parfois choisi de se concentrer sur leurs consultations, sans prendre le risque d’aller dans les écoles. « Ce n’est pas rattrapable. Une génération sur un an n’a quasiment pas eu d’Evras. Alors que déjà seuls 15% des élèves sont concernés par ne serait-ce qu’une heure d’Evras en Fédération Wallonie-Bruxelles. »

« Les conséquences sur le long terme sont difficilement mesurables, notamment parce qu’il existe peu d’indicateurs en santé sexuelle reproductive. Nous plaidons d’ailleurs pour en avoir », conclut M. Majoros.

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