Oa, 12 ans, est atteint de la maladie rare SYNGAP1 © DR

Les maladies rares sont moins rares qu’on ne le croit

Le Vif

Jeune ou vieux, homme ou femme, tout le monde peut être atteint d’une maladie rare, mais il faut souvent attendre longtemps avant d’obtenir un diagnostic. Le 28 février est la Journée internationale des maladies rares, l’occasion de revenir sur ces maladies souvent ignorées.

Le déficit en aconitase, la maladie de la ferroportine, le syndrome de MacDuffie… cela ne vous dit rien ? Ce ne sont que quelques exemples de maladies rares.

En Belgique, on estime que plus de 500.000 patients souffrent d’une maladie rare ; dans l’Union européenne, ils seraient plus de 30 millions. Même si ces maladies sont rares individuellement, toutes ensemble, elles concernent donc un nombre considérable de personnes… En outre, 75 % des maladies rares touchent les enfants dont un sur trois meurt avant l’âge de 5 ans. S’ils survivent, ils doivent endurer une longue épreuve puisqu’il faut en moyenne 4,5 ans avant que les patients ne reçoivent le bon diagnostic.

On estime qu’il en existe de 6.000 à 8.000 maladies orphelines, dont une grande partie sont reprises sur le portail des maladies rares et des médicaments orphelins (Orpha.Net). Sur les 6 100 maladies rares connues à ce jour, 149 touchent environ 80 % des patients concernés par ce type de maladies. Il s’agit des maladies rares qui présentent la plus forte prévalence, avec entre 100 et 500 patients sur 1 million. Vient ensuite un groupe de 241 maladies qui touchent entre 10 et 100 patients sur 1 million. En d’autres termes, 98 % des patients atteints d’une maladie rare ont l’une des 400 maladies rares les plus courantes. Les quelque 5 700 maladies rares restantes ne concernent pas plus de 10 patients sur 1 million.

Il s’agit souvent de maladies qui provoquent de graves symptômes et contre lesquelles il n’existe aucun traitement. Le développement de médicaments pour les soigner (dits  » médicaments orphelins « ) est onéreux et chronophage alors qu’il s’agit forcément d’un marché extrêmement limité, et c’est en partie pour cela que la recherche ne s’intéressait guère à ces maladies dans le passé. Depuis l’avènement de la loi européenne sur les médicaments orphelins, entrée en vigueur en 2000, les entreprises sont encouragées à investir dans ces maladies… et cette stratégie a porté ses fruits. Mais on est encore loin d’un secteur florissant et cela reste bien trop peu, mais c’est un début encourageant. Actuellement, seuls 5 % des patients belges ont accès à des médicaments et des traitements efficaces », explique Eva Schoeters, directrice de RaDiOrg.

C’est pourquoi RaDiorg, l’association coupole pour les personnes atteintes de maladies orphelines, lance la campagne #notaunicorn à l’occasion de la Journée internationale des maladies orphelines le 28 février afin de sensibiliser le public à cette question et de collecter des fonds pour la recherche et les soins appropriés.

Pour cette campagne, la licorne a été choisie comme mascotte. Une licorne est un animal rare que vous connaissez par les contes de fées. Et bien que la licorne n’existe pas, tout le monde connaît l’animal. Pour les maladies orphelines, c’est le contraire : elles existent vraiment, et pourtant elles sont inconnues dans notre société.

Un diagnostic difficile

Le temps qui s’écoule entre l’apparition des plaintes et le diagnostic d’une maladie rare atteint parfois dix ou vingt ans.  » Le temps qui s’écoule entre l’apparition des plaintes et le diagnostic d’une maladie rare atteint parfois dix ou vingt ans, souligne d’emblée le Pr David Cassiman (UZ Leuven). C’est très problématique, mais il faut du temps avant que les médecins ne commencent à réfléchir dans cette direction, car ils sont formés à penser d’abord aux maladies courantes. Le bon diagnostic sera généralement posé au terme de nombreuses recherches et concertations multidisciplinaires.  » Le corps médical n’est pas familiarisé avec les tableaux cliniques des maladies rares, et on peut difficilement lui en vouloir.  » Il serait impossible de s’arrêter en détail sur les milliers de maladies orphelines qui existent dans la formation en médecine. En plus, la majorité sont tellement rares que la plupart des médecins n’auront jamais l’occasion de se familiariser avec les tableaux cliniques. Eux non plus ne peuvent pas tout savoir. « 

Les maladies rares sont moins rares qu'on ne le croit
© Getty Images/iStockphoto

C’est pour cela qu’ont été créés en Europe des réseaux de référence autour des maladies orphelines, au sein desquels des systèmes virtuels permettent d’échanger des connaissances et de l’expertise.

En dépit de nombreux efforts, la pose tardive du diagnostic chez les patients individuels reste problématique.  » Prenez les patients qui souffrent d’un PTTa (purpura thrombotique thrombocytopénique acquis), enchaîne Bernard Delaey chez Ablynx. Il s’agit d’une maladie rare engageant le pronostic vital qui provoque la formation de caillots dans les petits vaisseaux sanguins, ce qui se solde par de graves problèmes tels qu’une insuffisance organique ou des dommages cérébraux persistants. Si un diagnostic correct ne peut pas être posé dans les jours qui suivent l’apparition des symptômes, le PTTa peut se solder par une issue fatale. « 

Syndrome sans nom

Les patient d’une maladie rare qui ont été diagnostiqué sont presque privilégiés, puisque beaucoup d’autres Belges sont moins chanceux et continue de souffrir sans savoir quel est le mal qui les touche.

Oa, douze ans, a également connu une longue route d’erreurs de diagnostic. Elle est atteinte du SYNGAP1, un syndrome rare associé à un retard de développement, à des difficultés de déglutition et à l’épilepsie. Le Syngap1 n’a été découvert comme trouble qu’en 2009. Seuls quelque 250 patients Syngap1 ont été diagnostiqués dans le monde. Jusqu’à ce qu’elle soit diagnostiquée, elle faisait partie des nombreuses personnes qui, en l’absence de diagnostic, appartiennent au groupe des SWAN, « syndromes sans nom ».

La Belgique sur le devant de la scène

Notre compatriote Christian De Duve (1917-2013) a reçu en 1974 le Prix Nobel de Médecine pour la découverte de plusieurs organites cellulaires importants, dont les lysosomes. Ces lysosomes sont de petites vésicules qui se trouvent à l’intérieur des cellules, digèrent leurs déchets et les dégradent ensuite à l’aide d’enzymes lysosomales qu’ils importent. Certaines maladies s’accompagnent d’un dysfonctionnement de ces lysosomes, avec pour conséquence que les déchets s’accumulent dans les cellules et provoquent divers tableaux cliniques graves. On connaît actuellement une cinquantaine d’affections de ce type, baptisées thésaurismoses lysosomales, dont notamment la maladie de Pompe, la maladie de Gaucher, la maladie de Fabry, etc., du nom du médecin qui les a découvertes. Les thésaurismoses lysosomales sont des maladies congénitales et extrêmement rares (touchant 1 sur 60.000 à 1 sur 250.000 naissances), et elles font partie du champ de recherche de la firme pharmaceutique Sanofi.  » Chez Sanofi, nous réalisons des recherches sur des traitements contre les thésaurismoses lysosomales depuis les années 80 « , précise Stéphane Vandendael. L’entreprise a d’ailleurs été la première à développer des thérapies enzymatiques substitutives salvatrices contre certaines de ces maladies.  » À côté de nos propres recherches sur les médicaments orphelins, nous nous intéressons toujours aux nouvelles technologies que d’autres entreprises – généralement des firmes de biotechnologie – développent dans ce domaine et nous examinons comment regrouper l’expertise, entre autres par le biais de rachats.  »

L’université pour partenaire

Les médicaments orphelins ne sont pas de ceux que l’on développe seul dans son coin, car ils sont généralement très complexes.  » Il faut une sorte de pollinisation croisée entre les firmes de biotechnologie, les centres académiques, le secteur pharmaceutique et la collectivité, souligne David Cassiman. La recherche fondamentale est souvent réalisée au sein des universités. Les applications ou nouvelles thérapies basées sur ces travaux sont ensuite développées dans des entreprises de biotechnologie ou de petites start-ups, mais le chemin qui mène d’une molécule prometteuse à un médicament orphelin accessible aux patients est long et difficile. Il faut notamment mettre sur pied des essais cliniques soumis à des critères stricts, introduire un dossier d’enregistrement, produire le médicament à grande échelle et le distribuer partout dans le monde – autant d’aspects pour lesquels le secteur pharmaceutique dispose du savoir-faire nécessaire. C’est un biotope dans lequel on a besoin de plusieurs acteurs.  » S’agissant de médicaments orphelins, la mise sur pied d’un essai clinique supposera généralement de recruter à l’échelon international, car constituer un groupe suffisamment important de personnes atteintes d’une maladie rare n’est jamais une évidence.  » Réaliser correctement une étude clinique sur un médicament orphelin fait intervenir une foule de facteurs, souligne Bernard Delaey.

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Chaque patient reçoit le nouveau médicament et est suivi de près dans un centre possédant une expertise de sa maladie dans son propre pays, et les données générées dans ce cadre doivent répondre aux exigences imposées par différents gouvernements « , enchaîne Adeline Boucher. Bernard Delaey évoque un exemple concret :  » Un essai clinique sur un médicament contre le PTTa était prévu chez 110 patients à l’échelon mondial, mais après trois ans de recherches, nous avons arrêté l’étude chez 75 sujets, dont neuf étaient suivis dans quatre hôpitaux belges. À chaque fois que nous trouvions un patient répondant aux critères d’inclusion, il était repris dans l’étude et pouvait débuter le traitement. Heureusement, comme cette première étude a livré des résultats prometteurs et que le traitement peut sauver des vies, nous avons eu beaucoup moins de mal à trouver des candidats pour participer à la phase suivante des essais cliniques.  » Les recherches cliniques portant sur un médicament orphelin reposent de toute façon toujours sur des groupes de patients beaucoup plus limités que celles qui concernent par exemple un antihypertenseur, et il est donc particulièrement difficile de démontrer un effet. Il n’est pas évident non plus d’établir les critères d’évaluation : quels sont précisément les paramètres qui devraient être améliorés par le nouveau traitement ? Et comment évaluer si un médicament a un effet bénéfique si l’on ne connaît pas le décours naturel de la maladie, puisque celle-ci n’a souvent elle-même fait l’objet que de recherches limitées ? Il faut alors réaliser des travaux supplémentaires.  » En général, nous prévoyons aussi des études de suivi complémentaires, mais sans groupe placebo, poursuit Adeline Boucher. Toutes les informations récoltées dans le cadre de la recherche sur un médicament orphelin sont aussi consignées dans un registre. « 

Des patients satisfaits

Le développement d’un médicament orphelin est toujours une bonne chose pour les patients.  » La recherche s’intéresse soudain à leur maladie, ce qui est très important pour eux, souligne le Pr Cassiman. En plus, ils sont identifiés et suivis. Pour eux, c’est formidable !  » La plupart des patients atteints de maladies rares apportent volontiers leur soutien à la recherche sur les médicaments orphelins et sont aussi très réalistes dans leurs attentes, comme le démontre une enquête réalisée à ce sujet.  » En tant que chercheur dans le domaine des maladies rares, je trouve cela vraiment motivant de pouvoir développer des médicaments pour ces personnes, souligne Bernard Delaey. Nous recevons énormément de feedback de la part tant des patients que des médecins.  » Stéphane Vandendael abonde dans le même sens :  » Savoir que nous aidons des personnes atteintes de maladies rares est une motivation importante, et nous sommes souvent frappés par leur reconnaissance.  »

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.© Getty Images

 » La distance entre l’industrie et les patients est en effet beaucoup plus petite pour les médicaments orphelins que pour d’autres traitements, observe David Cassiman. On les rencontre aussi souvent aux mêmes congrès – souvent de petits événements, car rares sont évidemment les médecins actifs dans ces maladies. « 

Les nécessaires incitants

Avant l’entrée en vigueur de législations spécifiques (la première, l’orphan drug law américaine, remonte à 1983, la loi européenne à 2000), le développement de médicaments orphelins ne suscitait guère d’intérêt : l’entreprise était trop coûteuse en regard du caractère limité du marché. Pour permettre aux firmes de développer des médicaments orphelins, il fallait donc mettre en place des mesures de soutien comme par exemple une période d’exclusivité de marché (10 ans en Europe) ou une réduction des frais d’enregistrement. Le développement de ces traitements reste toutefois risqué en dépit des incitants.  » De très nombreuses études sur les médicaments orphelins se soldent par un échec, souligne le Pr Cassiman. Il arrive que des milliards d’euros soient investis dans des recherches qui déboucheront sur une impasse… et lorsqu’un produit arrive finalement sur le marché, les coûts devront être récupérés d’une manière ou d’une autre. Les nouvelles biotechnologies – thérapies géniques, cellulaires, enzymatiques, etc. – sont extrêmement coûteuses, et c’est souvent la seule chose que les gens savent au sujet des médicaments orphelins. « 

Plaidoyer pour un budget d’impulsion économique

On estime que 10% du budget global des médicaments en Belgique sont consacrés aux médicaments orphelins. Les firmes pharmaceutiques, elles, investissent des milliards dans la recherche sur ces traitements contre des maladies rares, ce qui leur confère une grande importance économique et sociétale, en particulier dans notre pays. David Cassiman plaide donc en faveur d’une approche novatrice :  » Pour garantir la pérennité du soutien public au développement des médicaments orphelins, nous devons apprendre à voir leur coût sous un autre angle. Dans l’état actuel des choses, la recherche fondamentale est financée à la fois par l’industrie et par la société, au travers des universités. Le coût ultérieur du développement de nouveaux traitements est ensuite assumé surtout par les investisseurs qui fournissent au secteur biotechnologique et aux firmes pharmaceutiques leurs moyens financiers ; s’y ajoute un soutien de la collectivité via la réglementation spécifique qui s’applique au remboursement des médicaments orphelins. Ceux qui finissent par arriver sur le marché relèvent toutefois du budget des soins de santé, alors qu’ils sont bien plus que de simples médicaments : ils représentent tout un système économique avec une formidable importance sociétale. Malheureusement, comme on continue à considérer leur coût sous l’angle simpliste du budget global des médicaments, il arrive qu’ils ne soient pas remboursés. Il est assez absurde que la collectivité finance la recherche fondamentale, mais refuse en définitive de mettre la main à la bourse pour les rares médicaments qui en découlent… et on peut se demander si un budget d’impulsion économique ne serait pas une approche plus efficace à la fois pour financer le savoir-faire et la recherche et pour payer le prix des produits finis. Un tel budget d’impulsion pourrait se distancier de l’approche rigide de notre système de santé en matière de remboursement des médicaments afin de mieux prendre en compte l’importance économique et sociétale du secteur. Nous devons en effet éviter que les entreprises de biotechnologie ne choisissent de quitter le sol belge, ce qui priverait la recherche fondamentale et notre économie de la connaissance d’un important stimulant. La Belgique est un pionnier en matière d’essais cliniques et de biotechnologie, mais la plupart des gens n’en ont pas assez conscience. « 

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