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Les bons parents sont imparfaits

« J’ai mis longtemps à admettre que je faisais tout de travers ! affirme l’auteur de Parents sous influence, Cécile David-Weill. Non par manque de bonne volonté, mais parce que j’étais piégée par ma propre histoire d’enfance »

Journaliste et romancière, auteure de plusieurs best-sellers, Cécile David-Weill reconnaît que rien ne la prédisposait à écrire ce livre.  » Ma seule légitimité, c’est d’être moi-même mère et grand-mère, et surtout de m’être rendu compte à un moment donné – un peu tard, malheureusement : mes enfants étaient déjà ados et pré-ados – qu’à force de vouloir être une mère idéale, je ne parvenais qu’à leur pourrir la vie.  » Pourtant, elle avait commencé tôt – elle a eu son premier enfant à 22 ans – et avec beaucoup d’assurance.  » Parce que j’étais jeune, motivée, pleine d’allant et d’ambition maternelle, je croyais naïvement que j’allais trouver d’instinct toutes les réponses et les bonnes attitudes à adopter. D’autant que j’étais persuadée d’avoir une martingale : pour réussir l’éducation de mes enfants, il me suffirait de ne pas faire comme mes parents !  »

Contrepied

Non qu’elle ait eu une enfance malheureuse.  » Mes parents étaient des personnes de qualité, qui ont su nous transmettre des valeurs et nous donner une structure, mais ils n’accordaient pas beaucoup d’importance aux émotions, et ils ne passaient que peu de temps avec nous. J’ai donc décidé de prendre le contrepied de l’éducation que j’avais reçue. Résultat, inévitable, mais je l’ignorais à ce stade : comme mon omniprésence ne suffisait manifestement pas à rendre mes enfants heureux, je n’ai pas tardé à développer une peur constante de mal faire, et cette anxiété a contaminé tout le plaisir que nous aurions pu prendre ensemble.  »

Désemparée, la jeune mère réagit en journaliste et se lance dans une grande enquête auprès d’autres parents, mais aussi de nombreux médecins, psychologues et pédagogues.  » C’est ainsi que j’ai fini par prendre conscience de l’erreur que je commettais. Comme la plupart des gens, je n’avais d’autre critère éducatif que mon propre vécu avec mes parents. Certains se contentent de continuer sur la lancée de leur passé, d’autres font l’inverse, mais les deux démarches, qu’elles soient inconscientes ou délibérées, peuvent avoir les mêmes effets désastreux !  »

L’emprise de l’enfance

Son livre, aboutissement de 15 ans de recherches, n’a d’autre but que de faire gagner aux jeunes parents le temps qu’elle-même a perdu et de les aider à retrouver leur libre arbitre.  » Il existe de nombreux ouvrages de spécialistes qui regorgent de principes et de conseils extrêmement utiles, mais dont je n’ai jamais pu me servir, parce que j’étais trop occupée à rejouer ma propre enfance. En fait, notre enfance agit en nous durablement et plus ou moins à notre insu, et elle influence tellement notre comportement de parents qu’elle en prend souvent le contrôle malgré nous.  » Le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux est de revenir sur notre enfance,  » en l’évoquant avec un proche, conjoint ou thérapeute, afin d’établir ce que nos parents ont réussi et raté à nos yeux, non pour les juger ou les affronter, mais pour prendre le recul nécessaire par rapport à ce qui nous a fait souffrir. Car ce sont nos souffrances d’autrefois, justifiées ou non, qui maintiennent sur nous l’emprise de l’enfance.  »

Pour être parents, il ne faut pas se situer par rapport à sa propre enfance, mais par rapport à ses enfants à soi.

Pour être parents, en effet, il ne faut pas se situer par rapport à sa propre enfance, mais par rapport à ses enfants à soi.  » Ça a l’air tout bête, mais il m’a fallu quinze ans pour le comprendre, et mes entretiens m’ont prouvé que beaucoup de parents sont dans la même incompréhension. Tiraillés entre les principes de leurs propres parents, qui leur servent de référence ou de repoussoir, et les innombrables injonctions, souvent paradoxales, dont la société les abreuve – ‘il faut être autoritaire avec l’enfant pour lui donner un cadre qui lui permettra de s’épanouir’ mais ‘il ne faut surtout pas être autoritaire avec l’enfant pour laisser libre cours à tout ce qui lui permettra de s’épanouir’ – ils ne prennent pas le temps nécessaire pour regarder et entendre leurs enfants, ce qui leur fait courir de grands risques. Car un enfant dont on n’a pas pris en compte les émotions et les sensations les muselle souvent au point de ne plus les éprouver, et se retrouve ainsi privé d’un baromètre aussi précieux pour son équilibre que pour sa réussite. Il est essentiel de prendre de la distance avec les ‘il faut’, qu’ils remontent de notre propre enfance ou nous soient serinés par notre environnement, pour partir des besoins de nos enfants et de nos propres intuitions.  »

Mieux vaut lâcher prise sur certains points que de rendre la vie inutilement tendue et compliquée.

Choisir ses batailles

Et, au passage, les parents doivent se débarrasser de quelques idées reçues. À commencer par une conception trop universelle de l’autorité.  » Pour être efficace, il importe de choisir ses batailles. Personnellement, je me suis beaucoup énervée sur des choses finalement anodines, comme l’heure du coucher ou le rangement des chambres. Il ne s’agit pas d’opter pour une permissivité à outrance, mais de ne pas mettre tous les éléments de l’éducation sur le même plan. Mieux vaut lâcher prise sur certains points que de rendre la vie inutilement tendue et compliquée. Les mesures autoritaires que les parents prennent dans ce domaine sont d’ailleurs presque toujours contre-productives, car la frustration qu’elles induisent chez l’enfant a un effet boomerang. Personne ne peut s’empêcher de penser à ce qui lui est refusé et de le désirer. De sorte qu’interdire les gâteaux à un enfant, ou le contraindre à manger des légumes, ou à aller se coucher, a surtout pour effet de rendre à ses yeux les gâteaux irrésistiblement désirables, les légumes durablement détestables, et de tourner le coucher à heure fixe en une source persistante de contrariété ou d’anxiété.  »

Jamais trop tard

L’idée maîtresse est d’arrêter de culpabiliser.  » Personne n’est irréprochable, mais il n’est pas nécessaire de l’être pour réussir l’éducation de ses enfants et avoir avec eux des rapports respectueux et tendres. Le message est résolument optimiste : il n’est jamais trop tard. J’en ai fait moi-même l’expérience : après avoir pris toute la mesure de mes erreurs, je me suis excusée auprès de mes enfants, en leur disant combien j’étais désolée de ne pas avoir répondu à leurs attentes, et cet aveu a tout changé entre nous. Les enfants peuvent être incroyablement généreux avec leurs parents : dès que j’ai rectifié le tir, ils ont effacé l’ardoise. Le tout est de ne pas tricher avec eux : ne leur jouez pas la comédie, ne faites pas semblant que tout va bien quand ce n’est pas le cas, ne les accablez pas de vos problèmes, mais ne leur cachez pas vos émotions d’adulte. Et ne vous inquiétez pas s’ils ne sont pas parfaits. Vous ne l’êtes pas non plus, et c’est tant mieux !  »

Cécile David-Weill, Parents sous influence – Est-on condamné à reproduire l’éducation de ses parents ?, Odile Jacob, 2016.

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