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Le viol d’enfants par des femmes est sous-estimé

Le Vif

Lorsqu’on parle de victime de viol, on pense la plupart du temps à une jeune fille ou à une femme. Quand l’on dit « délinquant sexuel », on imagine presque instantanément que c’est un homme. Si ces stéréotypes ne sont pas usurpés, ils ne montrent pourtant qu’une partie de la vérité selon la pédagogue Liesbeth Kennes.

Les opinions toutes faites sur le genre et la sexualité jouent un rôle important dans la persistance des mythes et de stéréotypes entourant le viol. Ils sont également déterminants dans la façon dont nous percevons la victime et le coupable: lorsque vous entendez le mot « victime de viol », vous pensez à une fille ou à une femme. Si quelqu’un dit « délinquant sexuel », alors vous imaginez que c’est un homme. Ces stéréotypes ne sont pas usurpés: les femmes sont plus souvent victimes de violences sexuelles que les hommes et les filles sont plus souvent maltraitées que les garçons. Le problème avec ce stéréotype n’est donc pas qu’il est faussé. Le problème c’est qu’il ne montre qu’une partie de la réalité et manque de nuance. On oublie du même coup un peu vite la possibilité qu’il existe des femmes abusives et des hommes victimes. Les premières passent donc souvent en dessous des radars et on ne connaît que peu ou mal leurs comportements. Et les seconds ont beaucoup de mal à se faire entendre.

« Une femme ne fait pas de telle chose »

Au genre féminin, on associe des caractéristiques telles que le soin, la maîtrise de soi, l’émotivité ou encore la douceur … Tout cela entretient le cliché tenace que la sexualité est, pour les femmes, plus passive et uniquement un moyen d’exprimer leur amour. Cette représentation unidimensionnelle et datée des femmes comme étant uniquement des victimes nous empêche de considérer les femmes comme des êtres humains complexes qui peuvent aussi se montrer autoritaires et abuser de leur pouvoir. Ces stéréotypes de genre font que les femmes abusives ne sont souvent pas reconnues comme telles par leur entourage. On pense souvent qu’une femme ne peut pas vraiment violer quelqu’un. Et que même si c’est le cas, c’est moins grave et cela a un impact moindre sur sa victime.

Cela signifie que les victimes d’une femme violeuse ne vont que rarement porter plainte à la police. Elles voient leur agression comme un malencontreux hasard de circonstances plutôt que comme un véritable crime. Et s’il n’y a pas de plainte, il n’y a pas de condamnation.

Cette impunité et le peu de recherches sociétales et scientifiques sur le sujet fait perdurer l’idée que les femmes ne s’en prennent jamais à un enfant ou un homme. De quoi dédouaner aussi les auteurs de tels actes préjudiciables, car il s’éloigne du « viol classique ». « Ce que cette femme a fait n’était peut-être pas tout à fait réglo, mais ce n’est quand même pas du viol », pense-t-on un peu trop rapidement. Il suffit de penser au mythe d’OEdipe, dont le nom est surtout connu dans le monde occidental par le complexe d’OEdipe. Les garçons, selon Freud, développeraient un lien érotique instinctif avec leur mère et percevraient leur père comme un concurrent. Dans la tragédie grecque à l’origine du complexe d’OEdipe, la mère Jocaste a une relation incestueuse avec son fils OEdipe. Pourtant, c’est OEdipe qui menace l’équilibre familial. Et qu’OEdipe se soit par après énucléé lui-même n’est sûrement qu’un détail.

Vraiment très rare ?

Il arrive que des femmes maltraitent leurs enfants. Il arrive aussi que des femmes s’acharnent sur des enfants dont elles ont la charge. Ces abus ont régulièrement lieu lors de soin (comme le bain, de l’habillement ou aux toilettes). Il va faire partie des vrais rituels de soins. De quoi perturber encore davantage l’enfant.

Il n’existe pas de chiffres crédibles sur la maltraitance des enfants par les femmes. Les psychothérapeutes qui travaillent avec les délinquants sexuels disent pourtant qu’ils ont aussi des femmes abuseuses d’enfants en thérapie. Les adultes qui ont été maltraités par leur mère pendant leur enfance vivent cette agression comme un double trahison, à l’image de ceux qui ont été abusés par leur père. De telles agressions portent atteinte à la confiance qu’ils ont envers les adultes, mais cette peine est encore doublée par le fait que celle-ci est infligée par celle qui devrait les protéger.

Lara Stemple et ses collègues ont analysé les données des quatre plus grandes études menées par des institutions fédérales américaines entre 2008 et 2013. Or ces études viennent contredire l’idée que les femmes n’ont que très rarement des comportements sexuels abusifs. Les chiffres montrent qu’il y a aussi beaucoup de femmes qui violent un homme ou une autre femme. Les femmes étaient responsables de huit incidents sur dix dans lesquels un homme a dit qu’il avait été poussé à la pénétration, et dans huit incidents sur dix dans lesquels des hommes affirmaient avoir subi des pressions psychologiques pour avoir des relations sexuelles. Les femmes incriminées étaient souvent des connaissances ou des (ex-) partenaires de l’homme. Chez les victimes lesbiennes et bisexuelles, dans un cas sur six l’agresseur était une autre femme (souvent leur partenaire ou une connaissance). Enfin, dans un cas d’agression sexuelle d’une femme hétérosexuelle sur vingt, l’auteur était une femme.

Les chiffres de l’Enquête nationale annuelle sur les violences physiques confirment cette tendance: sur la période 2010-2013, 28% des hommes violés ou agressés et 4,1% des femmes victimes l’ont été par une femme.

Plus près de nous, Barbara Krahé, une scientifique allemande spécialisée en violence sexuelle, a collaboré avec des chercheurs de dix pays européens – dont la Belgique et les Pays-Bas – pour dresser un portrait des victimes sexuelles chez les jeunes Européens. 2308 femmes et 1169 hommes âgés de dix-huit à vingt-sept ans ont été interrogés à l’aide d’un questionnaire autour d’éventuelle violence sexuelle depuis leur majorité sexuelle (seize ans aux Pays-Bas et en Belgique). Dans cette étude, 16,3% des jeunes hommes européens (un sur six) et 5% des femmes (une sur vingt) ont avoué avoir eu des actes sexuels avec une personne qui n’était pas d’accord, généralement leur (ex-) partenaire. Cet aspect participe aussi sans doute à la minimisation du problème. Admettre qu’on n’a pas respecté les limites de son conjoint n’est pas une évidence pour tout le monde. Plus surprenant : les Néerlandais sont deux fois plus nombreux à admettre qu’ils ont dépassé les limites que les Belges. Cette différence est sûrement due à une plus grande pudibonderie des Belges.

Le chemin pour sensibiliser les gens au comportement sexuel transgressif des femmes est néanmoins encore long. À la lumière des récentes statistiques de la police belge, il ressort qu’en 2016, 278 femmes ont été soupçonnées d’avoir commis une agression sexuelle. Le fait que ce genre de violence sexuelle fait par des « délinquants sexuels non stéréotypés » n’est la plupart du temps jamais rapporté suggère que ces chiffres ne sont que la pointe de l’iceberg.

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