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Le régime mondial qui va tous nous sauver ?

Muriel Lefevre

Il existe un régime alimentaire capable de nourrir de façon saine l’humanité tout entière. Et, bonne nouvelle, il est également réaliste, selon un groupe de travail international composé de 37 éminents scientifiques. Ce dernier demande tout de même une nouvelle révolution agricole et une transformation radicale de nos habitudes alimentaires. Explication.

Comment nourrir sainement 10 milliards d’humains d’ici 2050 tout en préservant la planète? La question taraude de plus en plus de scientifiques dans le monde. Un groupe de spécialistes vient de publier une étude qui propose une solution réaliste. Leur régime alimentaire planétaire ne bannit pas complètement la viande et les produits laitiers, mais exige un énorme changement dans nos habitudes alimentaires.

Pourquoi avons-nous besoin d’un régime pour 10 milliards de personnes ?

La population mondiale a atteint sept milliards d’habitants en 2011 et se situe maintenant autour de 7,7 milliards. Ce chiffre devrait atteindre 10 milliards vers 2050 et continuera à augmenter.

Ce rapport, qui a mobilisé pendant trois ans 37 experts de 16 pays, établit un « régime de santé planétaire ». Son but: garantir un « équilibre entre les besoins en matière de santé humaine et les impacts environnementaux ».

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Il serait donc également bon pour la planète, puisque « la production alimentaire mondiale menace la stabilité de notre système climatique et (nos) écosystèmes ». « Les régimes alimentaires actuels poussent la Terre au-delà de ses limites et sont source de maladies: ils sont une menace à la fois pour les gens et pour la planète », écrivent les auteurs.

Quels changements vais-je devoir faire ?

Les premiers concernés sont les gros mangeurs de viande. Pour la viande rouge, ce sera un hamburger par semaine ou un gros steak par mois. Quelques portions de poisson et la même quantité de poulet par semaine sont aussi autorisés. Le reste de votre apport en protéine sera d’origine végétale.

Si tout le monde suivait ce régime, voici ce qui serait autorisé chaque jour selon la BBC :

Noix: 50grammes par jour

Haricots, pois chiches, lentilles et autres légumineuses: 75 grammes par jour

Poisson: 28 grammes par jour

Oeufs: 13 grammes par jour (donc un peu plus d’un par semaine)

Viande: 14 grammes par jour de viande rouge et 29 grammes par jour de poulet

Les glucides: pain et le riz complet : 232 grammes par jour et 50 grammes par jour pour les féculents.

Lait: 250 grammes (soit l’équivalent d’un verre de lait)

Légumes : 300 grammes

Fruits: 200 grammes

Enfin, le régime alimentaire peut contenir 31grammes de sucre et environ 50 grammes d’huile d’olive (par exemple).

« Cela ne signifie pas que la population mondiale devrait manger exactement le même ensemble d’aliments », soulignent les spécialistes. Plutôt que définir un régime unique, ils ont fixé des « fourchettes d’ingestions recommandées par groupes d’aliments ». Ce « régime complet » pourra être adapté localement selon « la culture, la géographie et la démographie ». Le professeur Walter Willet, l’un des chercheurs basés à Harvard, précise à la BBC que ce régime est d’une grande variété : « Vous pouvez prendre ces aliments et les assembler de mille façons différentes. Il ne s’agit pas d’un régime de privation, mais d’une alimentation saine, souple et agréable. »

Au niveau mondial, ce régime passe par « un doublement de la consommation d’aliments sains tels que les fruits, les légumes, les légumineuses et les noix ». A l’inverse, il faut « réduire de plus de 50% la consommation d’aliments moins sains, tels que les sucres ajoutés (par exemple dans les sodas, ndlr) et la viande rouge », et éviter les aliments hautement transformés.

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« Nous ne devons tous manger deux fois moins de viande et de sucre si nous voulons mener une vie saine en 2050. Je pense que le  » moins  » est une bonne nuance « , déclare le bio-ingénieur Liesbet Vranken (UZ Leuven) dans De Morgen. « Certaines terres agricoles ne conviennent pas à d’autres usages que l’élevage par exemple, en particulier dans les pays en développement où les saisons de croissance des cultures sont souvent courtes. Il est parfois préférable de commencer à utiliser les terres de manière intensive et durable.

« L’objectif de 80 grammes de viande est généralement suffisant », renchérit Christophe Matthys (UZ Leuven), spécialiste de l’alimentation. « Ceux qui ont une vie plus active devraient l’augmenter à 150 grammes ou la compléter avec des protéines végétales. Le régime alimentaire recommande également une dose minimale de sucre ajouté par jour (30 grammes), en particulier de graisses insaturées (40 grammes) et de produits laitiers (250 grammes).

Sauvera-t-il des vies ?

Les chercheurs affirment que ce régime empêchera environ 11 millions de personnes de mourir chaque année. Le rapport promet d’aider à réduire de 20 % le nombre de décès prématurés en prévenant des maladies comme l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires. Ce sont maintenant les plus grands tueurs dans les pays développés. Matthys interviewé par De Morgen pense que c’est possible, mais avec une autre vieille formule clé, on obtient déjà de très bonsrésultats : « Assurez-vous que les gens ingèrent suffisamment de fibres, boivent assez d’eau et se bougent ».

Gaspillage

Ces objectifs globaux cachent évidemment d’énormes disparités selon le niveau de développement et la culture des pays. À titre d’exemple, la consommation quotidienne moyenne de viande rouge aux États-Unis est actuellement évaluée à 280 grammes environ, ce qui impliquerait de la diviser par vingt. « Plus de 820 millions de personnes n’ont toujours pas accès à suffisamment de nourriture, 2,4 milliards de personnes surconsomment, et au total, environ la moitié de la population mondiale a un régime alimentaire marqué par des carences en nutriments », selon le rapport. Au-delà de la façon dont chacun s’alimente, les experts prônent un changement radical dans les modes de production (arrêter de se concentrer sur un faible nombre de cultures, limiter l’expansion des terres agricoles qui grignotent les forêts, éviter la surpêche…)

À quel point l’agriculture est-elle mauvaise pour la planète ?

L’utilisation des terres pour la production alimentaire et forestière représente environ un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est à peu près la même chose que pour l’électricité et le chauffage, et beaucoup plus que pour tous les trains, avions et automobiles de la planète.Lorsqu’on regarde de plus près l’impact environnemental du secteur alimentaire, on constate que la viande et les produits laitiers sont les principaux facteurs. À l’échelle mondiale, le bétail représente entre 14,5 et 18 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.En ce qui concerne les autres gaz à effet de serre, l’agriculture est l’un des principaux responsables des émissions de méthane et d’oxyde nitreux.

L’agriculture est également une source importante de pollution de l’air, l’ammoniac provenant des exploitations agricoles étant une cause majeure de particules fines qui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), constituent une menace pour la santé dans le monde.

De même, en ce qui concerne l’eau, l’agriculture et la production alimentaire constituent l’une des plus grandes menaces, consommant 70 % des ressources mondiales en eau douce pour l’irrigation.

Selon les chercheurs, l’agriculture a donc besoin d’un changement radical. Ils disent aussi que cette révolution est faisable. « Il est urgent de rendre l’agriculture plus neutre en CO2, de protéger la biodiversité et de rendre l’utilisation des terres et de l’eau plus efficace », peut-on lire dans leur communication. L’agriculture intensive signifie que chaque hectare de terre rapporte plus. « Ce débat se poursuit depuis un certain temps dans les milieux scientifiques : devrions-nous nous orienter vers une utilisation extensive et moins productive des terres sans pesticides, ou devrions-nous simplement intensifier les sols de manière durable », déclare M. Vranken toujours dans De Morgen. « Dans l’agriculture intensive, l’utilisation très ciblée d’engrais peut vous permettre d’augmenter votre production sur moins de terres. Le rapport de la commission d’enquête recommande en effet cette intensification écologique en particulier, pour autant qu’il n’y ait pas plus de terres occupées que ce n’est le cas actuellement. L’utilisation de l’eau doit également être plus efficace. Et Vranken d’ajouter : « Si nous commençons à manger moins de produits animaux, nous avons automatiquement besoin de moins de terres agricoles. »

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Autre impératif selon eux: réduire de moitié le gaspillage alimentaire et les pertes lors du processus de production. « La façon dont nous mangeons est l’une des causes principales du changement climatique, de la perte de biodiversité et des maladies non-transmissibles » (obésité, maladies cardio-vasculaire, diabète, ndlr), a expliqué à l’AFP l’un des auteurs de l’étude, le professeur Tim Lang, de l’Université de Londres. « De la même manière que notre système alimentaire a radicalement changé au XXe siècle, nous estimons qu’il doit changer radicalement au XXIe », a-t-il ajouté.

Faisable, vraiment ?

Sans surprise, le rapport a été fraîchement accueilli par l’industrie agroalimentaire. « Il fait des propositions extrêmes pour attirer un maximum d’attention, mais nous devons être plus responsables lorsqu’il s’agit d’établir des recommandations en matière de nutrition », a réagi Alexander Anton, responsable de l’Association laitière européenne. La faisabilité des plans est aussi discutable pour d’autres experts.

Ce plan exige des changements aux régimes alimentaires dans presque tous les coins du monde. L’Europe et l’Amérique du Nord doivent réduire massivement leur consommation de viande rouge, l’Asie de l’Est doit réduire leur consommation de poisson, l’Afrique doit réduire leur consommation de légumes féculents.

Certains se demandent, par exemple, s’il est possible de faire manger au monde entier des hamburgers aux légumes ? Le niveau de prospérité d’un pays détermine également le régime alimentaire local. En Amérique du Sud, par exemple, selon les chercheurs, on boit plus de boissons gazeuses parce qu’il n’y a parfois pas d’eau du robinet salubre. Dans d’autres pays un peu plus pauvres, la viande est un produit de luxe et se transforme en symbole lorsque la prospérité augmente.

« L’humanité n’a jamais tenté de changer le système alimentaire à cette échelle et à cette vitesse « , a déclaré Line Gordon, directrice du Centre de résilience de l’Université de Stockholm. « Qu’il s’agisse d’un fantasme ou non, un fantasme n’a pas à être mauvais… il est temps de rêver d’un monde meilleur « , dit-elle en guise de conclusion.

Le plus gros problème, c’est que nous mangeons trop, y compris trop de viande.

On devrait être soit un pur mangeur de viande, soit un végétalien endurci. La réalité est plutôt que le Belge lambda se situe plus que probablement entre les deux. Theo Niewold, expert en alimentation à la KU Leuven, regrette dans De Standaard que le débat est trop souvent  » pour  » ou  » contre  » un produit alimentaire en particulier. La viande n’est pas forcément nocive en soi. Comme tous les autres aliments ce qui est moins bon c’est la quantité. Car le plus gros problème c’est que nous mangeons trop, y compris trop de viande. Le vrai débat ne devrait donc, selon Loes Neven du Vlaams Instituut Gezond Leven, ne pas se porter sur l’arrêt de la viande, mais sur sa  » réduction ». Une baisse que l’on constate déjà dans les faits, bien qu’elle soit fort lente: le volume total de viande achetée (y compris la volaille, le gibier et la viande congelée, mais excluant la charcuterie) était de 34,9 kg par personne en 2008, comparativement à 28,1 kg en 2017. Le nombre de kilogrammes de charcuterie par personne est lui passé de 11,6 kilogrammes en 2008 à 10,8 kilogrammes en 2017. Personne ne nie qu’un groupe de la société s’oppose à la consommation de viande dit encore De Standaard. Ce groupe est peut-être  » bruyant « , mais il reste très petit dit encore le quotidien. En Flandre, par exemple, seul 1% de la population est végétalienne et 3% des gens sont végétariens (chiffres de 2018).

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