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Le Fentanyl : un antidouleur addictif de plus en plus recherché

Le Vif

Knack.be est parti au Canada, un pays où la dépendance à cet antidouleur provoque des ravages et une épidémie d’overdoses mortelles. En Belgique aussi, ce médicament est de plus en plus populaire.

Des chiffres de l’Inami, il ressort que le nombre de dosses d’opioïdes antidouleur est passé de 31 millions en 2005 à 65 millions en 2014. Il a plus que doublé en moins de 10 ans. C’est surtout le fentanyl et le tramadol qui sont de plus en plus populaires. Le fentanyl est un antidouleur efficace qui peut faire des merveilles s’il est correctement utilisé. Mais il est aussi très addictif, peu cher à produire et donc de l’or pour les dealers. Et cela peut avoir des conséquences destructrices comme le montre le cas du Canada. Ce pays doit faire face à un taux d’overdose sans précédent depuis 2012. Et le Fentanyl y joue le premier rôle. Et la Belgique n’échappe pas au phénomène puisqu’il y a des dizaines de morts par fentanyl chaque année. Le cabinet de Maggie De Block (Open VLD) dit tenir la situation à l’oeil.

Cent fois plus fort que la morphine

Le Fentanyl a été développé en 1960 par un pharmacien belge, Paul Janssen. Ce médicament 100 fois plus fort que la morphine et l’héroïne est très efficace pour lutter contre les douleurs aiguës. Son utilisation ne cesse de gagner du terrain. En Belgique, on parle de 20.000 doses par jour par million d’habitants. Il s’agit surtout du tramadol (59 %), vendu ici sous le nom de Contramal, et des pansements de fentanyl (35 %). On estime que 8% des personnes à qui l’on prescrit ce genre de médicament deviennent dépendantes. Dans les centres de désintox, on en voit de plus en plus débarquer, alors qu’auparavant cela n’arrivait jamais. « On constate un doublement en 10 ans. Ce qui veut dire aussi qu’il y a deux fois plus de gens qui souffrent d’un usage problématique. Ces 8 % ne sont donc qu’une indication » dit Cathy Matheï, docteur spécialisée dans les addictions à la Free Clinic et professeur à la KU Leuven

Dans certaines provinces canadiennes, il y a 100 morts par mois

Le Canada est devenu un cas d’école des ravages causés par les antidouleurs. Ce pays doit faire face à une épidémie d’overdose provoquée par du fentanyl illégal. La situation est encore plus dramatique dans la province de Colombie britannique (British Columbia). Là, pas moins de 914 personnes sont mortes d’une overdose, soit une augmentation de 80% par rapport à l’année précédente. Dans 60 % de cas, le fentanyl était impliqué.

Au début des années 2000, l’OxyContin a gagné en popularité auprès des junkies qui le sniffaient ou se l’injectaient. Mais lorsqu’on le modifie pour qu’il ne puisse plus être réduit en poudre, ce dernier est remplacé par du fentanyl fabriqué de façon illicite. Quelques centaines de microgrammes peuvent droguer comme de l’héroïne. La production en Chine est par ailleurs vraiment bon marché. Le produire coûte 8700 euros au kilo et suffit pour produire un million de comprimés. Des comprimés qui peuvent être vendus entre 20 et 80 dollars. Celui-ci est mélangé avec de l’héroïne, est transformé en une pilule qui ressemble à de l’OxyContin, ou est coupé avec du lait en poudre, du sucre glace ou encore des antihistaminiques.

Comme la douane canadienne ne peut ouvrir sans l’accord du destinataire des paquets de moins de 30 grammes, le produit rentre très facilement dans le pays.

Lors de tests effectués sur des prises de drogues, il est ressorti que près de 86% de prises d’héroïnes avait des traces de fentanyl. Mais on en retrouve aussi de plus en plus souvent dans des drogues comme la cocaïne, le cristal meth ou encore la méthamphétamine.

On retrouve aussi des opioïdes encore plus inquiétants comme le carfentanil, un tranquillisant pour gros animaux comme l’éléphant et qui est 100 fois plus puissant que le fentanyl qui est lui-même 100 fois plus puissant que l’héroïne.

Ce qui veut dire que les drogues illégales sont en plus contaminées par des opioïdes produits illégalement. Ou autrement dit : ceux qui se droguent reçoivent une dose inconnue d’un produit inconnu. Un facteur supplémentaire pour que les choses tournent mal.

Une dizaine de morts par an en Belgique

Peter Blanckaert, de l’institut scientifique de la santé publique et coordinateur du Early Warning System (un centre d’information sur la production, le transport et la consommation de drogues), parle d’au moins 10 morts par an. La plupart d’entre eux meurent parce qu’ils ont mâché ou ingéré des pansements de fentanyl, bien que certains soient aussi morts parce qu’ils l’utilisaient pour des raisons médicales.

« Il est plus facile qu’il y a 5 ans de se procurer du fentanyl par internet. Je n’ai pas encore vu de carfentanil, mais ça devrait plus tarder » dit Blanckaert.

Dr. Matheï et Blanckaert sont néanmoins d’accord sur le fait que le fentanyl que l’on retrouve dans le milieu de la drogue est encore souvent du fentanyl obtenu avec ordonnance médicale dans une pharmacie.  » Nous n’avons pas encore trop de problèmes liés à du fentanyl illégal. En Belgique, il n’est pas si difficile de se procurer des opioïdes et ils ne sont pas si chers. Du coup, les gens préfèrent utiliser ce qu’ils connaissent. »

Éviter la crise en Belgique

En Belgique, le docteur Matheï plaide pour une approche globale ou non seulement les consommateurs, mais aussi les docteurs et les pharmaciens seraient mieux informés sur les dangers d’opioïde.  » Là où, il y a 20 ou 30 ans, il existait une vraie crainte à prescrire de la morphine ou des opioïdes, on a aujourd’hui la main un peu légère. On peut dire sans se tromper que le tramadol est aujourd’hui prescrit comme une aspirine contre la douleur. »

C’est pourquoi la problématique des antidouleurs demande aussi un changement de mentalité.  » Il a une tendance généralisée à résoudre chaque problème avec une pilule et donc aussi la douleur. Alors qu’il est prouvé que la douleur chronique est un problème à la fois biologique et psychosocial et demande donc une approche multidisciplinaire. Mais c’est compliqué et du coup il est beaucoup plus simple de donner une pilule. Et cela fonctionne plutôt bien sur le court terme. Mais sur le long terme, cela ne résout rien. Pire, cela crée une accoutumance qui fait que l’on doit augmenter les doses pour avoir le même effet et à la longue ces opioïdes n’ont plus d’effet. On se retrouve donc avec des gens qui sont habitués aux opioïdes à fortes doses et qui ont encore mal.

Surveillance

« Il est important que les patients qui ont besoin d’opioïdes pour lutter contre la douleur aient encore accès à ces médicaments », dit Els Cleemput, porte-parole de Maggie De Block. Le cabinet ne nie pas qu’il existe des cas d’usage abusif d’opioïdes et signale que quelques mesures ont déjà été mises en oeuvre. Par exemple surveiller les prescriptions qui semblent anormales grâce à un screening.

Ou encore le lancement, l’année dernière, d’un plan d’action sur la surconsommation, le mauvais usage le gaspillage des médicaments. De même que des mesures censées empêcher un certain shopping médical.

À côté de cela on va aussi adapter la loi pour contrer plus durement les drogues illégales.  » Le fentanyl est un médicament que l’on ne peut de toute façon pas acheter en ligne et sa vente est fortement contrôlée. Mais il suffit que sa composition soit quelque peu modifiée pour qu’elle ne tombe plus sous les lois antidrogue et est vendu comme une alternative légale. C’est pourquoi on va modifier la loi pour indiquer les molécules. Ce qui va permettre d’englober une plus large gamme de dérivatifs du fentanyl. Cet arrêté devrait être publié après l’été.

Nous avons l’avantage de pouvoir tirer les leçons de ce qui se passe en ce moment au Canada et donc éviter que la situation en arrive à de tels extrêmes. Le Early Warning System, un système d’information européen qui permet d’échanger des informations sur la production, le transport et l’utilisation est les dangers de produit psychotrope fait que nous pouvons facilement suivre l’évolution de la situation au niveau européen. Si nous avions deux morts en un mois à cause du fentanyl nous le saurions directement » conclut la porte-parole.

Karolien Vandersmissen

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