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Le cauchemar de l’amour passion

Le Vif

Qui n’a jamais rêvé de vivre une passion amoureuse? Et pourtant ceux qui y ont succombé la décrivent plutôt comme un cauchemar. Explications.

Beaucoup rêvent de vivre un jour une passion amoureuse. Pourtant celles et ceux qui en ont fait l’expérience jurent de ne plus y succomber. Ils en parlent comme d’une folie à deux.

Quels sont les enjeux d’une telle relation? Les femmes sont-elles plus enclines à s’y abandonner que les hommes? La passion amoureuse est-elle viable à long terme et peut-elle se transformer? Comment peut-on surmonter une rupture quand la relation amoureuse a été vécue sur un mode passionnel ? Comment ne pas en sortir anéanti(e) mais au contraire enrichi(e) ?

Danielle Bastien psychanalyste a recueilli les témoignages de femmes et d’hommes qui ont vécu ce type de relation amoureuse pour son livre Une chambre au bord du fleuve , paru en 2001 et qui traite de l’amour-passion.

Comment définiriez-vous la passion amoureuse?

Danielle Bastien : Le psychanalyste français Alain Didier-Weill parle de la passion comme de l’amour  » folle « . Il veut dire par là qu’il s’agit de la version folle de l’amour. Folle parce qu’elle est excessive, sans limites. En effet, la représentation que l’on a souvent de la passion c’est qu’elle dépasse les amants eux-mêmes et qu’elle ne tient pas compte des réalités contingentes. Amour  » folle « , dit également Alain Didier-Weill, parce que la passion est peut-être la version d’un amour avec une composante féminine plus importante; quelque chose qui glisserait plus facilement vers une dimension  » sans limites « . Dans la passion, c’est la composante féminine qui se trouve en chacun de nous, homme ou femme, qui domine. C’est une rencontre extrême entre deux personnes. Extrême parce qu’elle met à mal les limites normales et habituelles, qu’elle va induire quelque chose d’intense tant au niveau charnel qu’au niveau psychique. La passion amoureuse paraît différente de l’amour. Mais, au fond, les choses ne sont jamais aussi cloisonnées et beaucoup de relations amoureuses débutent par une période passionnelle et puis évoluent vers quelque chose de plus tempéré. D’autres fois, par contre, le caractère excessif perdure mettant ainsi les amants la plupart du temps en danger.

Dans le modèle romantique de la passion, dont les héros sont Roméo et Juliette, il y a un ingrédient inéluctable à la passion qui est l’obstacle…

L’obstacle est souvent présent. Il est constitué par une réalité sociale, professionnelle ou un parent, un conjoint. A notre époque, du côté de la structure familiale, il y a moins d’obstacles qu’auparavant. Pour vivre leurs amours, les jeunes n’ont plus besoin de passer, dans la majorité des cas, par l’accord parental. Mais là on est dans le registre de l’accès pour les jeunes à la vie amoureuse. Dans la passion, on est dans un autre registre. Au fond, dans un cas, c’est un amour passionné ; dans l’autre, un amour passionnel. Ce qui est très différent.

De quoi se nourrit la passion amoureuse?

D’une sensibilité particulière à souhaiter frôler les limites, les excès. Certains éléments de la personnalité vont plutôt y conduire, ou y prédisposer. La passion fascine. Bien des gens sont attirés par elle. Mais les personnes qui la vivent ou l’ont vécue en parlent en termes de mort et de destruction psychique. Je pense que la passion est plus à redouter qu’à espérer parce qu’elle finit souvent mal. Tout au long de l’Histoire, l’amour et plus encore la passion étaient redoutés car ils étaient associés à un risque pour l’ordre social.

La passion est-elle de l’ordre du coup de foudre?

Je pense que c’est différent. Mais la passion peut démarrer par un coup de foudre. Dans les témoignages, nombreux d’ailleurs sont ceux qui affirment :  » Les autres ne peuvent pas comprendre, il faut le vivre pour saisir ce que c’est. » Ils peuvent alors aller jusqu’à quitter leur famille, délaisser leurs enfants pour suivre l’être aimé. Maintenant est-ce que cela va nécessairement glisser vers la passion? Il n’y a pas de passage obligé de l’un à l’autre. Mais cela peut commencer effectivement comme cela.

Y a-t-il des personnes qui ne peuvent vivre l’amour que sur un mode passionnel?

Au fond, la passion c’est, peut-être, maintenir l’illusion que l’autre comble tous vos désirs. D’où son côté  » asocial « . Vous imaginez que vous n’avez plus besoin des autres, du monde, puisque l’élu(e) vous apporte tout. Or la vie, c’est aussi le contact avec les autres. Dans la passion, les gens sont pris dans quelque chose qui les dépasse. Il y a des personnes qui, suite à un vécu passionnel, justement parce qu’elles ont perdu le côté fallacieux de cette illusion, vont entamer un travail sur elles-mêmes : un travail psychothérapeutique, religieux ou artistique. Par ce biais, elles essaient de comprendre ce qui leur est arrivé. Ce n’est qu’après coup que l’on peut s’interroger sur ce qui en soi, dans son histoire individuelle, fait que l’on a pu aller voir du côté de la passion.

Dans la passion amoureuse, certains peuvent être à ce point obsédés par la présence de l’autre qu’ils ne sont plus en mesure de travailler, sortir, avoir une vie sociale. Le monde extérieur leur devient indifférent. La créativité peut-elle être vraiment un moyen de s’en sortir?

La passion s’accommode mal de la vie quotidienne qui est constituée d’un ensemble de petites choses. Dans la passion, il y a une dimension hors temps mais le quotidien vient rappeler qu’il y a des tâches à accomplir, un rythme à respecter. Alors, effectivement, la création est aussi une façon de tenter de s’en extraire. Dans un certain nombre de cas, cela peut être une sublimation plus ou moins bien réussie. Il est aussi paradoxal de constater que d’une part les gens qui vivent une passion se rendent très vite compte qu’elle est très désastreuse pour leur équilibre, qu’elle est difficile à vivre. D’autre part, ils vont mettre longtemps à se séparer.

La passion peut-elle se transformer en un sentiment beaucoup plus apaisé et par là même devenir moins destructrice?

Je pense effectivement que cela ne peut durer que si la passion soutient plus la vie que la mort. Il ne faut pas oublier que ce qui est présent dans la passion c’est la lutte entre la pulsion de vie (ce qui construit, développe, crée) et la pulsion de mort (ce qui détruit, démolit). Dans la passion, ces dimensions sont poussées à l’extrême. Si la pulsion de vie triomphe, la passion peut se transformer en quelque chose de beaucoup plus construit. L’amour devient d’autant plus solide qu’il a traversé des tempêtes. Malheureusement, dans un certain nombre de cas, c’est le côté destructeur et ravageur qui l’emporte.

Pourtant on a tendance à croire qu’il faut avoir vécu une passion?

Le plus important, me semble-t-il, est que chacun arrive d’une manière ou d’une autre, par une voie ou une autre (et parfois elles sont très compliquées et très longues), à être plus en paix, plus en harmonie avec lui-même. Alors si cette paix intérieure passe par un vécu intense, pourquoi pas. Mais le modèle passionnel n’est ni le seul, ni le plus facile.

La fin d’une passion, comme toute rupture amoureuse, nous confronte à la souffrance et nous rappelle les premières pertes de notre vie. Comment faire pour ne pas être anéanti mais au contraire en sortir enrichi?

Certaines personnes souffrent plus que d’autres après une rupture parce que, depuis toujours, elles ont un sentiment de vide intérieur qu’elles ont momentanément comblé par un vécu passionnel. Pour d’autres, c’est la nourriture, l’alcool ou le travail qui vont jouer ce rôle. La rupture les oblige donc à être confronté de nouveau à la perte, au manque, au vide jusque-là occulté par la passion. Pour ne pas être anéanti, il faut tenter petit à petit de faire face au vide sans vouloir le remplir par autre chose. Seul un travail de type psychique ou créatif peut installer en soi des éléments qui permettent de vivre plus facilement avec le vide. D’une certaine manière l’autre vit en nous et l’on n’a plus ce besoin obsédant de le voir, de le toucher. Ce qui change notre propre rapport à la vie.

Marie-Lise Vanderperren

Cet article est paru dans sa version papier le 19 janvier 2001

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