© Jean Barnard Boulnois

« La psychanalyse permet de devenir plus vivant »

Le Vif

Dans son Journal d’une psychanalyste heureuse, la Française Anne-Marie Saunal, membre affilié de la Société de psychanalyse freudienne, retrace son parcours dédié à l’écoute des autres tout en rappelant qu’une psychothérapie se vit à deux. L’occasion de refaire le point sur les mécanismes de la psychanalyse et sur son concept-clé : le transfert.

Le Vif/L’Express : Vous vous déclarez une psychanalyste « heureuse ». Mais comment expliquez-vous qu’il y a tant de polémiques autour de l’héritage de Freud ?

Anne-Marie Saunal : Depuis l’établissement de la nomenclature DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) répertoriant la liste des symptômes des troubles psychiques pour lesquels sont prescrits différents traitements, on ne considère plus le psychisme dans sa globalité. Mais l’être humain ne peut pas se résumer à un tableau clinique ! De surcroît, tout ce qui touche à l’inconscient fait peur car on ne peut pas le contrôler. Plus une personne soupçonne un malaise en elle, et plus elle craint d’entrer dans la profondeur de son âme. Il faut que les symptômes deviennent très gênants pour se lancer dans une psychanalyse.

Celle-ci exige de la discipline, du courage et du lâcher-prise. Il est essentiel d’accorder sa confiance à un analyste, afin d’oser lui dire les noirceurs de son être au risque de lui donner une mauvaise image de soi. La psychanalyse avait aussi auprès du public une image trop classique et trop rigide. Aujourd’hui, elle évolue vers plus de souplesse. Les patients veulent des cures plus courtes, une ou deux séances hebdomadaires au lieu de trois. La « toute-puissance » et le trop de silence de l’analyste sont moins bien acceptés. Il convient parfois d’adapter la cure. La consultation se fait face à face pour les personnes psychotiques ou gravement malades afin que, même en silence, un contact demeure par le regard.

Quels sont les apports d’une psychanalyse ?

Elle sert à moins souffrir, à devenir plus vivant et plus désirant. Elle permet de résoudre les complexes inconscients qui nous emprisonnent. Si on n’a pas résolu son complexe d’OEdipe, on peinera à constituer un couple heureux. Une femme libérée de son OEdipe va pouvoir devenir pleinement femme. La psychanalyse consiste à se libérer soi-même pour parvenir à aimer, disait Freud, et à travailler ; ce que de graves troubles psychiques interdisent. L’objectif de la cure est de vivre sans souffrance invalidante et de sortir des relations mortifères.

Quelles sont les « pathologies » qui se soignent le mieux ?

La psychanalyse marche très bien pour soigner les traumatismes tels la violence verbale des parents, les abus, le manque de soins, les séparations ou « abandons ». Le problème des séparations, suite à la naissance d’un autre enfant ou à des soucis de santé, par exemple, est très fréquent. Le petit enfant, séparé temporairement de sa mère, pense qu’il va en mourir et ressent une immense détresse. Personnellement, j’obtiens des résultats étonnants grâce à un exercice très simple, non analytique, qui consiste à consoler l’enfant en soi. L’homme ou la femme qu’on est devenu va visualiser l’enfant qu’il était et lui dire les paroles qu’il (elle) aurait aimé entendre à ce moment-là. Mais on ne peut pas proposer cet exercice à une personne psychotique qui risque de se dédoubler. Un travail du « pardon » psychique à ses parents peut se vivre durant la cure.

Votre expérience d’écoute depuis vingt-huit ans vous fait affirmer que la vie est beaucoup plus complexe psychiquement quand on est une femme…

Oui, car la femme doit changer d’objet d’amour. Pour tout être humain, la mère est le premier objet d’amour. Pour un garçon, ce sera toujours la mère. Pour une fille, ce sera d’abord la mère. Puis, vers l’âge de 3 ans, avec l’OEdipe, elle va tomber amoureuse de son père. Déçue que son père ne puisse la choisir, elle va se retourner vers sa mère. Puis elle lui en voudra de l’avoir fabriquée sans pénis. La relation va devenir conflictuelle. S’y ajoute, également, la part sociétale qui rend la vie des femmes plus compliquée. Je crois aussi que les mères ont souvent une quasi-préférence inconsciente innée pour les garçons qui détiennent le phallus qui leur fait défaut.

Vous insistez beaucoup sur le transfert, concept qui reste abstrait pour un grand nombre de personnes…

Il s’agit de « transporter » sur la personne de l’analyste ce que l’on a vécu dans son inconscient avec l’un de ses parents : désirs inconscients, répulsions ou affects. Ces sentiments, refoulés, se réactualisent pendant la cure. Le psychanalyste doit accepter tous les reproches. Il prête son psychisme, il est le support des projections de son patient. Le transfert est le processus fondamental de la cure, permet la guérison. Un jeune homme en analyse a fait le transfert paternel sur moi. Comme il avait peur de son père, il avait peur de moi. Cette prise de conscience lui a permis de la dépasser.

Certaines personnes suivent deux parcours, chez des praticiens différents. L’un réussit, l’autre pas. La psychanalyse serait donc plutôt la rencontre de deux personnes qu’une théorie ?

L’analyse est à la fois une théorie et une pratique, une expérience. Il s’agit, en effet, d’une rencontre entre deux inconscients. Parfois, il peut arriver que l’on ne trouve pas d’emblée la bonne personne. Comme dans tous les métiers, certaines sont plus formées ou plus humaines… En cas de doute, n’hésitez pas à consulter deux ou trois psychanalystes.

Y a-t-il des échecs en psychanalyse ?

Oui, parfois. La psychanalyse ne guérit pas toujours ni tout. Parfois, elle permet de survivre. Certaines personnes ne supportent pas d’aller mieux à cause de la peur inconsciente de guérir. Si, par exemple, on a des parents qui ne sont pas très heureux, on a peur de devenir plus heureux qu’eux ! Il ne faut pas oublier que la souffrance est un compagnon. Dans notre inconscient, il y a toujours un combat entre la pulsion de vie et la pulsion de mort, démoniaque pour Freud. L’un des buts de la cure est de renforcer la pulsion de vie. Peu à peu, la destructivité diminue.

Quels sont aujourd’hui les rapports entre la psychanalyse et les neurosciences ?

Ces dernières années, quelques analystes s’intéressent aux apports fondamentaux des neurosciences. Le mouvement est en marche. La psychanalyse avait commis une erreur à propos, notamment, de l’autisme, en le rattachant à une relation à la mère. Or les dernières découvertes semblent prouver que l’autisme serait dû à un déficit plus ou moins important en neurones miroir, découverts en 1996, qui s’activent dans la relation à l’autre.

Journal d’une psychanalyste heureuse, par Anne-Marie Saunal, éditions Payot, 256 p.

Entretien : Barbara Witkowska

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