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La panse à bière, mythe ou réalité ?

Le Vif

Certains ventres ne passent pas inaperçus… Si, de surcroît, leur propriétaire est tenancier de bar, plus aucun doute n’est permis : nous sommes en présence d’une « panse à bière » ! Vraiment ? La relation entre les deux est pourtant loin d’être si évidente.

L’alcool contient un peu plus de 7 kcal par gramme, ce qui en fait la substance la plus énergétique après la graisse (9 kcal) ; elle est près de deux fois plus calorique que les glucides (4 kcal). Le gros buveur d’alcool risque par conséquent de courir un sérieux risque de surpoids.

Beaucoup de gens boivent quotidiennement plusieurs verres de bière, de vin ou de spiritueux. En principe, 3 verres de bière par jour pourraient entraîner une prise de poids d’environ 13,4 kilos en un an (voir cadre). Ce chiffre impressionnant explique pourquoi les professionnels de la santé se préoccupent de la consommation d’alcool… mais aussi du fait que de nombreux consommateurs ne se rendent absolument pas compte de la quantité de calories qu’ils ingèrent par la même occasion.

De plus, l’alcool perturbe la production normale d’énergie à base de graisses et de sucres. On s’explique…

Source peu fiable Le corps ne peut constituer de réserve d’alcool pour un usage ultérieur, comme il le fait pour les graisses et les sucres. Et c’est assez logique, même si l’on ne tient pas compte de son aspect toxique. En effet, l’alcool n’apparaît que sporadiquement dans la nature : quasi uniquement présent dans les fruits fermentés, il constitue une source bien trop incertaine pour en faire dépendre nos chances de survie. C’est tout au plus un produit « enivrant » fortuit dont de nombreux animaux, même les éléphants, raffolent quand l’occasion se présente. Vu cette disponibilité quelque peu incertaine, notre organisme ne l’utilise donc pas comme source d’énergie à part entière pour notre survie. Vu cette incapacité de notre organisme à stocker l’alcool, les concentrations peuvent, en cas d’usage immodéré, grimper vite et haut, et ainsi endommager plusieurs organes. Pour éviter cela, le corps considère l’alcool comme une substance indésirable à éliminer le plus rapidement possible. Aussi, dès que nous en consommons, l’organisme se met à le décomposer et ce, même avant le traitement d’autres substances nutritives, dont les graisses et sucres. Ce qui explique entre autres qu’une consommation importante d’alcool résulte en une masse graisseuse temporairement plus élevée. (1)

Selon certaines indications, l’alcool stimulerait en outre l’appétit. Après un apéritif, il semble que nous mangions effectivement plus. (2) Des étudiants américains de première année qui buvaient 4 à 5 verres mangeaient plus que leurs congénères plus sobres. (3) De plus, les gros buveurs mangeaient aussi des aliments moins sains, ce qui accroît encore le risque de surpoids.

Pas de kilos supplémentaires Mais comme souvent, la réalité est bien plus complexe ! En dépit de l’apport énergétique élevé, rien ne prouve que l’alcool soit une source importante de surpoids. La prise de poids en cas de consommation régulière mais modérée de boissons alcoolisées reste tout compte fait plutôt limitée. (4,5) Elle est la plus élevée chez les hommes qui boivent plus de 21 unités par semaine (plus de 5,250 litres de bière par semaine, ou 3 verres de 25 cl par jour). Le binge drinking, qui consiste à boire au moins 6 verres (pour les femmes) ou 8 verres (pour les hommes) en très peu de temps, comporte également un risque plus élevé de surpoids. (6,7)

Mais nous le répétons, malgré la prise de calories supplémentaires, cette prise de poids reste limitée. Il est donc probable que l’alcool ne constitue pas le principal facteur dans la prise de poids, qui résulterait plutôt d’un ensemble de mauvaises habitudes, telles qu’un mode de vie très passif et de mauvaises habitudes alimentaires. Peut-être l’effet désinhibiteur de l’alcool joue-t-il un rôle, en faisant succomber plus facilement à l’envie de manger plus ? D’un autre côté, il semble que les gros buveurs mangent moins et compensent ainsi leur plus grande absorption d’énergie, mais cela reste au stade de la supposition et n’a pas encore été étudié en détail.

Restons par conséquent très prudents face à la conclusion concernant l’effet restreint de l’alcool sur le poids, car les doutes sont permis quant à la fiabilité des chiffres fournis par la recherche jusqu’à présent.

Conversion peu performante Certains éléments peuvent toutefois expliquer (partiellement) la faible prise de poids. Ainsi, le corps gère les calories de l’alcool avec beaucoup de négligence. Quelque 25 % de cette énergie se perd en effet dans la transformation de l’alcool. (8) Ce pourcentage est bien plus élevé que celui du coût énergétique de la digestion d’autres aliments : il est de 6,3 % pour le glucose, de 5 à 15 % pour les graisses et de 20 à 35 % pour les protéines.

Le corps semble aussi consommer plus d’énergie (durant toute la journée) lorsqu’on boit de l’alcool. On ne sait pas encore si cela est dû au coût de digestion plus élevé ou à d’autres mécanismes. Les Chinois, les Japonais et les Coréens, par exemple, éliminent l’alcool beaucoup plus lentement que les Occidentaux ou les Africains. Mais chez ces derniers aussi, on constate d’énormes différences individuelles. L’effet de cet aspect sur le poids individuel n’a pour ainsi dire pas encore été étudié.

Et les femmes ? L’alcool a par ailleurs un effet différent chez les hommes et les femmes. Pourquoi ? On ne se l’explique pas encore. Une consommation modérée d’alcool a chez les femmes moins d’impact sur leur poids. (9) Il est même régulièrement question d’une légère perte de poids. (10) Ce ne serait cependant pas une bonne idée de boire de l’alcool pour maigrir car les femmes sont plus sensibles aux effets négatifs de l’alcool, dont l’atteinte hépatique et le cancer du sein.

Il ne faut certes pas exagérer les effets positifs de l’alcool pour la santé. Ils s’appliquent presque exclusivement aux personnes âgées et uniquement en cas de consommation limitée. Un peu d’alcool tous les jours (si possible avec le repas) est positif surtout pour le coeur et les vaisseaux. Une consommation un rien plus élevée se retourne cependant rapidement contre le buveur. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : aux États-Unis, l’abus d’alcool entraînerait chaque année une perte de 3,5 millions d’années de vie en bonne santé (11) sur l’ensemble de la population, par rapport à un gain de seulement 450.000 années de vie en bonne santé. La balance entre effets positifs et négatifs de l’alcool sur la santé penche toujours du mauvais côté.

Qu’en est-il du ventre à bière ? Le ventre à bière se caractérise par un profil de pomme (en opposition au ventre en forme de poire). Tout le poids excédentaire s’accumule dans le ventre tendu, rond comme un tonneau, alors que bras et jambes semblent comparativement étonnamment minces. Rien ne prouve cependant que ce profil de pomme ne caractérise que les buveurs de bière et encore moins que la bière ne se fixe que sur le ventre. (1,5) Si le terme « panse à bière » peut faire sourire, il ne correspond en fin de compte… à rien !

Jan Etienne

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