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L' »effet pigeon » : pourquoi les mesures de sécurité contre le coronavirus nous rendent si irritables ?

La crise du coronavirus entraîne un nouveau défi de taille : maîtriser une colère qui ne cesse de croître. Comment éviter de réagir de façon excessive les uns envers les autres en ces temps difficiles ?

Il semble que la seconde vague du coronavirus crée une irritabilité collective toujours plus grande. Nous serions aussi de plus en plus grossiers envers nos concitoyens et les autorités. Une enquête à grande échelle menée par ACV Puls montre que pas moins de 3 vendeurs sur 4 ont déjà été menacés verbalement par un client. « Un chiffre hallucinant, notamment parce que l’enquête a été menée très récemment et que nous vivons avec le Corona et toutes les mesures associées depuis six mois maintenant », selon le syndicat.

La police et les services de proximité sont aussi confrontés à davantage de violences verbales et même physiques lorsqu’ils demandent aux citoyens de rendre des comptes pour non-respect des règles de sécurité. « Nous avons des altercations presque tous les jours », nous dit-on dans une zone de police flamande. Dans certaines villes, cela a même provoqué des burn-out parmi les agents de proximité.

Un autre aspect, malheureusement bien connu, est la violence domestique. Elle existait déjà avant, mais a encore gagné en ampleur avec l’épidémie. La ligne d’assistance 1712 enregistre une augmentation du stress, des tensions et des conflits intrafamiliaux et interpersonnels, ce qui entraîne une escalade de la violence latente.

L’effet pigeon

Pourquoi la pandémie déclenche-t-elle une telle impétuosité ? Et quels mécanismes se cachent derrière notre « rage Corona » ? L’une des principales causes est l’impact du coronavirus sur le self-control de l’être humain. Certaines personnes ont recours à la violence pour retrouver un sentiment d’autonomie. Mais le manque d’interaction sociale a aussi un effet étrange sur les êtres humains. « Plus longtemps nous devons nous passer d’un besoin essentiel comme le contact social, Plus grande sera la frustration », explique le psychologue social Frank Van Overwalle (VUB). Après tout, l’homme est l’une des espèces animales les plus sociales de la planète. Le contact social nous maintient en vie et est la raison du succès de l’humanité ».

En outre, nous avons tendance à nous comparer constamment aux autres, mais, dans le même temps, nous sommes plutôt sélectifs dans nos comparaisons. « Les jeunes aiment se référer à la vie avant le Corona, quand ils pouvaient aller dans les bars jusqu’au petit matin », poursuit Van Overwalle. « Mais ils oublient que les adultes qui doivent travailler pendant la journée ne peuvent pas sortir tous les soirs, même en dehors des heures de travail. Ils oublient aussi que certaines universités du Royaume-Uni sont complètement fermées et que les étudiants sont même obligés d’y rester dans leur chambre. De manière générale les gens ignorent tout des mesures prises dans d’autres pays. Si on compare la Belgique avec d’autres pays, ce n’est pas si mal chez nous ».

Ce qu’on appelle la rage Corona peut se manifester chez différents types de personnes aux moments les plus inattendus. Vous pouvez avoir tendance à montrer les crocs lorsque quelqu’un vous fait remarquer, à tort ou à raison, que vous n’avez pas respecté les règles. Mais vous pouvez tout aussi bien avoir la moutarde qui vous monte au nez lorsqu’un passager de votre train enlève son masque comme s’il n’y avait pas de coronavirus.

Van Overwalle : « D’une part, vous avez des gens qui sont terriblement ennuyés par ceux qui ne font pas ce qu’on leur demande. Dans la dynamique de groupe, on parle de « l’effet sucker » (effet pigeon). Ces gens se sentent comme des pigeons. Ils font tous les efforts du monde pour adapter leur comportement alors que d’autres semblent n’en avoir cure. Et de l’autre vous avez un groupe de personnes qui ne se laissent pas perturber par le comportement des autres. Enfin, il y a aussi cette petite minorité qui est explicitement contre les règles et qui ne cesse de répéter en ronchonnant qu’ils ne peuvent plus rien faire. Ce qui est un peu étrange, car même avant la Corona, vous n’aviez pas le droit de faire ce que vous vouliez. »

Un pays où il semble y avoir peu de résistance contre les règles de sécurité, c’est la Suède. Il faut dire qu’il y a peu de règles et qu’il s’agit plutôt de recommandations. Il n’y a aucune obligation de porter un masque et l’industrie hôtelière n’a jamais eu à fermer ses portes. La raison pour laquelle si peu de mesures doivent être prises en Suède, c’est parce que les autorités mettent surtout l’accent sur la responsabilité personnelle de chaque citoyen. Il existe du coup une police morale collectivement acceptée, dans laquelle les citoyens se laissent sermonner par leurs concitoyens sans broncher.

Pourquoi dès lors trouvons-nous condescendantes les remarques sur notre comportement ? Cela dépend beaucoup de la façon dont vous soulignez le comportement de quelqu’un. Lorsque vous demandez aux gens de rendre des comptes, il est préférable de ne pas le faire sur un ton accusateur ou de réprimande. Les gens trouvent cela ennuyeux, et il y a un risque que vous vous perdiez dans une discussion sans fin. Restez calme et soulignez la responsabilité de quelqu’un envers son prochain. On peut difficilement argumenter contre des injonctions claires comme « Respectez les autres » et « Nous essayons de ne pas nous contaminer en portant un masque buccal ». Et lorsqu’on a pas d’arguments, on souhaite souvent couper court parce que « de toute façon, il n’y a rien à discuter », rit Van Overwalle.

‘1,5m all day keeps the virus away’

Le badge Corona proposé par Celeval pourrait-il offrir une solution pour nous encourager à être à nouveau un peu plus amicaux les uns envers les autres ?

Selon des études, les messages tels que ‘1,5m all day keeps the virus away’ (1,5 m toute la journée éloigne le virus) portés en badge joueraient un rôle de connexion sociale et déclencheraient un comportement moins hostile envers les mesures chez les passants. L’insigne évoque une vigilance collective, dans laquelle nous nous encourageons, voire nous nous donnons les moyens de suivre les mesures coronariennes. Cette pression de groupe explicite pourrait avoir des conséquences positives sur notre comportement.Van Overwalle ne trouve pas l’idée mauvaise. « Nous ne pouvons pas nier qu’il y a une grande polarisation. Si vous soulignez les mesures de manière positive, vous signalez aux personnes qui s’en éloignent que la majorité de la population veut respecter les règles et qu’elles s’excluent en se comportant ainsi. Leur comportement est donc implicitement puni et c’est important. Les personnes qui n’obéissent pas aux règles doivent d’une manière ou d’une autre recevoir la « désapprobation sociale ».

M. Van Overwalle trouve cependant que le gouvernement devrait également se concentrer davantage sur la compréhension et la prévention. « En fait, c’est un dilemme social typique. Nous devons tous travailler ensemble vers un but commun. Si certaines personnes s’y soustraient et qu’elles ne sont pas punies pour cela, cela nous rend furieux. Si les gens remarquent que le laxisme n’est pas sanctionné, cela sape leur motivation ».

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