© CATHERINE LEGRAS

L’art de marcher : « L’essentiel n’est pas de se remplir la tête mais de se la vider »

Marcher, rien de plus facile, croit-on. Et pourtant, nous marchons mal ! Avec pour résultats courbatures, essoufflement, fatigue… Ancien agent ferroviaire, Danilo Zanin s’est mué en guide de montagne et préconise une approche holistique de la marche, où corps, esprit et nature sont étroitement reliés. Dans Je marche donc je suis (1), il dévoile une série de techniques pour en savourer tous les bienfaits sans s’épuiser. Loin des pensées parasites…

Pourquoi proposez-vous un art de la marche (1), alors que c’est l’activité qui semble la plus naturelle qui soit ?

Ce que je propose, ce n’est pas seulement de la marche où on met un pied devant l’autre, mais une vraie technique pour mieux respirer et arpenter tous les terrains. En montagne, je croise beaucoup de marcheurs qui sont épuisés. Pourquoi ? Parce qu’ils marchent trop vite, font de trop grands pas, ne respirent pas par le nez, se servent mal des bâtons… Parmi eux, qui ressent vraiment le contact avec le sol ? Qui a conscience du paysage autour de lui sans avoir forcément besoin de nommer les arbres ou de qualifier les montagnes et donc de mettre un voile entre soi et la nature ?

Cet art de la marche vise-t-il à se reconnecter à la nature et à soi ? Et donc à trouver les clés de son propre bonheur ?

Le bonheur, c’est d’être sans attente. Comme le yoga qui vise à unir le corps et l’esprit, le but n’est pas d’arriver au point B mais de cheminer, d’être présent à chaque instant, en pleine conscience. La nature et soi, c’est la même chose. J’essaie de partager cela avec les enfants car ils ne sont en contact avec la nature qu’un quart de leur temps. La personne déconnectée de la nature l’est aussi d’elle-même, car la nature c’est nous. Au début des années 1990, j’ai utilisé le terme de  » marche consciente  » pour me distinguer des randonnées classiques. Cela signifie que quand on marche, on est entièrement présent à ce qui se passe en nous et autour de nous. C’est pourquoi je ne propose pas de marches à thèmes. L’essentiel n’est pas de se remplir la tête mais de se la vider.

Le vacarme des pensées laisse progressivement la place à l’apaisement

« Je marche donc je suis », comme l’indique le titre de votre livre ?

Oui, même si ce n’était pas un titre à moi… Je n’ai pas besoin de marcher pour être. Dans la marche comme je la propose, le vacarme des pensées laisse progressivement la place à l’apaisement, elle devient comme une ancre pour vivre l’instant présent. C’est une vraie méditation en action, un pas vers soi. Si les gens vont à Saint-Jacques, ce n’est pas seulement parce que la marche ça fait du bien mais aussi parce qu’il y a une démarche intérieure. D’où l’importance de marcher sans bavarder et de réserver les échanges pour les pauses.

Souffre-t-on d’être trop sédentaire ?

Absolument. On fait tout pour que l’homme ne marche plus : ascenseurs, escaliers roulants, trottinettes électriques et j’en passe… Quelqu’un qui marche est quelqu’un de « libre. Marcher, c’est redevenir libre du matériel, de la mécanique, de l’informatique, de la dépendance… On sédentarise les nomades car ce sont des gens libres. Le fait qu’on ne marche plus implique la déconnexion de soi et de son environnement, on perd de notre liberté.

Qu’est-ce que la « marche afghane » que vous recommandez ?

C’est une formule utilisée par Edouard Stiegler pour désigner une certaine façon de marcher pratiquée en Afghanistan et qui, pour moi, est du pranayama (NDLR : technique de respiration dans le yoga). Un jour, au bazar de Kaboul, Stiegler rencontre des chameliers qui venaient de parcourir 700 kilomètres à pied en douze jours. Un autre jour, il voit un Afghan au bazar et le voit ensuite 40 kilomètres plus loin, où le gars est arrivé à pied. Stiegler a découvert que leur souffle se synchronisait sur leurs pas. La marche afghane, que j’appelle aussi marche pranique, permet donc de marcher sans se fatiguer outre mesure, et à une vitesse soutenue. A chacun de trouver son propre rythme. On en ressent presque une jubilation, tant le corps apparaît soudain léger.

Danilo Zanin (à g.) :
Danilo Zanin (à g.) :  » La marche afghane permet de marcher sans se fatiguer. « © FLORENCE TRAN

Concrètement ?

Dans le désert, j’ai expérimenté le rythme 4-2-6-2, soit quatre pas en inspiration, deux pas poumons pleins, six pas en expiration et deux pas poumons vides. Je mets en pratique d’autres souffles aussi, par exemple, en montée, deux inspirations sur deux pas, ensuite une profonde expiration. C’est très dynamique ! Une autre encore est rythmée sur We Will Rock You, de Queen. Des gens m’ont dit :  » C’est un truc de fou, j’ai l’impression d’avoir pris de l’oxygène pur !  »

Au niveau technique, que préconisez-vous ?

De s’hydrater par petites doses tout en marchant, même quand on n’a pas soif. D’utiliser les bâtons, car c’est 30 % d’économie d’énergie en montée, ça aide à descendre, ça amortit les articulations. Il faut aussi regarder droit devant soi, on a alors un regard périphérique et le cerveau se met en mode alpha, celui de la relaxation et de la méditation. On passe de la focalisation de la vision à la vision élargie. Presque personne ne marche comme ça. Beaucoup avancent tête baissée pour ne pas heurter de cailloux et du coup ils ne peuvent respirer pleinement. D’où une perte d’énergie.

Comment descendre une pente, ce que redoutent de nombreux randonneurs ?

L’enracinement dans le hara (NDLR : mot japonais pour  » centre vital « ) permet de trouver son centre de gravité. Ensuite, on penche le buste vers l’avant et on laisse dérouler la descente. L’idéal est de marcher pieds nus, car on décharge toute la pollution électromagnétique, c’est une remise à la terre et on capte par les pieds tous des oligo-éléments. Pour les chaussures, attention aux chaussures avec semelles rigides et qui tiennent trop la cheville ! Je recommande les semelles souples, pour sentir le sol au mieux.

Courir ou marcher ?

On peut faire les deux. La marche est moins traumatisante que la course à pied ou les trails. Au cours de ceux-ci, on encaisse des chocs et on est coupé de la terre. Les organismes souffrent. On devient addict aux endorphines et on doit forcer toujours plus pour avoir la même dose. En marche, il y aussi des endorphines, mais dans la méthode que je préconise, je n’ai pas besoin de faire un effort très important. Très vite, je me retrouve dans un état de conscience qui fait que je me sens bien.

Le désert ou la montagne ?

Dans ces deux environnements, Milarépa (NDLR : poète yogi tibétain) explique qu' » il existe un négoce étrange, on peut troquer le tourbillon de la vie contre l’infinie paix de l’âme « . Que choisir ? En montagne, les gens viennent pour dépasser leurs peurs. L’Himalaya, c’est l’ouverture du coeur et la compassion. Les îles conviendront pour les gens désenchantés. L’Italie, c’est l’ouverture à la foi. Le désert, c’est la marche du choix de vie définitif. En rentrant, on change les choses, travail ou relation, ou on continue en décidant de ne plus être une marionnette. Le désert, c’est là où j’ai découvert l’enseignement de Douglas Harding (NDLR : philosophe anglais, auteur de Vivre sans tête , 1961). Mais comment arriver encore à déconnecter ? Dans les lodges au Népal, il y a le wi-fi, dans les dunes de Merzouga au Maroc, il y a du réseau… Seuls les déserts d’Algérie et du Sinaï permettent encore de se débrancher du bruit du monde. Là, il n’y a rien et c’est justement là qu’on découvre la plénitude.

Vous qui étiez agent de la SNCF, comment en êtes-vous arrivé à devenir guide de montagne doublé d’un sophrologue ?

(1) Je marche donc je suis. Retrouver son énergie et se reconnecter à son moi intérieur pas après pas, par Danilo Zanin, Mango, 160 p.
(1) Je marche donc je suis. Retrouver son énergie et se reconnecter à son moi intérieur pas après pas, par Danilo Zanin, Mango, 160 p.

J’ai travaillé comme chef de gare, poste d’aiguillage, guichet… mais j’étais comme un pommier à qui on demande des prunes. J’étais appelé à autre chose. Ce fut la montagne. Etant gamin, j’allais dans les alpages avec mon arrière-grand-père et je portais cela en moi. De cette passion j’ai fait un métier merveilleux même s’il est précaire. J’ai eu un souffle au coeur, et j’ai découvert que la synchronisation de mes pas et de mon souffle réussissait à l’apaiser. Aujourd’hui, beaucoup de gens font appel à mes services de guide car ils souffrent de tachycardie, de problèmes pulmonaires, etc. Mon approche de la marche permet à des gens pas trop en forme de retrouver des capacités oubliées. Je me définis comme un agent d’assurance : j’aide les gens à retrouver leur assurance. Quand ils se disent fatigués, c’est le moment où, paradoxalement, ils peuvent être le plus en forme.

Pas de risque que ces clients vous considèrent comme un gourou ?

Comme il existe des moniteurs de ski, je me considère simplement comme un moniteur dans l’art de marcher sans efforts inconsidérés. Durant mes stages et mes randonnées, tout se vit dans une communion joyeuse, et je réponds souvent aux questions par des histoires zen ou soufi qui font sourire !

Par exemple ?

Un élève demande au maître zen :  » Maître, vous qui êtes éveillé, pouvez-vous me dire le temps qu’il va faire aujourd’hui ?  » Le maître répond :  » Certainement ! Le temps que j’aime…  » L’élève :  » Maître, il fait encore nuit, vous n’avez pas encore regardé par la fenêtre, comment faites-vous ?  » Le maître :  » C’est simple : je me suis rendu compte que les choses arrivaient tellement peu comme je les aimais que je me suis mis à les aimer telles qu’elles arrivent !  » Voilà pour ceux qui me demandent souvent la météo !

Bio express

1956 Naissance, le 23 avril, à Chambéry (France).

1974-1986 Employé à la SNCF.

1983 Premier voyage en Himalaya (Népal).

1985 Devient accompagnateur en montagne.

1995-1998 Formation de sophrologue.

1998 Premier voyage dans le désert (Libye).

2017 Publie Je marche donc je suis.

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