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Jumeaux, un fascinant mystère

Le Vif

Certains médias sont friands de montrer des « jumeaux fusionnels », ce cas extrême qui fascine peut-être le téléspectateur mais qui illustre mal une réalité toute en nuances. Les jumeaux fusionnels s’habillent de manière identique, habitent ensemble, parlent de concert, etc. Tableau intrigant d’un couple dans lequel on ne distingue plus qui est qui. Mais n’est-on pas dans la caricature ? Est-ce le lot de la majorité des jumeaux ? La réalité semble s’éloigner de la télé.

Les vrais jumeaux, ou monozygotes, désignent les enfants issus d’un même oeuf qui s’est divisé après fécondation. Le matériel génétique de chacun d’eux est identique. Et leur ressemblance parfois très troublante. René Zazzo, psychologue pionnier dans l’étude de la gémellité, rapporte le commentaire d’un jumeau qui, alors qu’il se rasait devant son miroir, a cru y voir son frère. Il en fut très retourné et développa une crainte que cette expérience ne se reproduise.

Les faux jumeaux quant à eux, ou dizygotes, sont issus de deux oeufs différents, ce qui a pour conséquence d’obtenir deux petits êtres au matériel génétique propre. Parfois, ils se ressemblent aussi à s’y méprendre.

Une fois deux ?

« Quand il se présente, Simon mentionne immédiatement être jumeau », rapporte Anne-Sophie, sa maman. Le jumeau se sent à la fois une personne et le membre d’un couple. Un couple certes peu ordinaire mais un couple quand même qui partage des caractéristiques avec d’autres couples. Par exemple, la tendance fusionnelle. Ce n’est pas le propre des jumeaux. On la retrouve chez des couples mariés, des couples mère-enfant, etc. Ceci étant, les jumeaux constituent souvent un couple particulièrement uni. Et la communication avec l’entourage peut s’en trouver diminuée, souligne René Zazzo.

Dans les premières années de sa vie, l’enfant non-jumeau suit lui aussi tout un chemin pour conquérir son autonomie et se différencier des autres. Les vrais jumeaux, eux, ont plus de difficultés à faire cette différenciation de par leur ressemblance. Ils devront redoubler d’efforts pour se détacher de cette unité primitive qu’ils affectionnent. Une unité qui s’exprime par un « nous » brandi quand ils parlent d’eux, délaissant le « je ».

L’éducation des parents peut aussi renforcer cette fusion, puisque dès leur naissance, ils doivent s’occuper de deux enfants en même temps, cherchant à les traiter de manière la plus égalitaire possible : mêmes heures de tétées, de coucher, de soins, mêmes attentions… la réponse des parents est commune et non individuelle : ils s’occupent « des » enfants. C’est cette indifférenciation qui fait d’ailleurs que les jumeaux connaissent le plus souvent un « retard » (disons un décalage) sur le plan de la maturité affective et cognitive se traduisant par une acquisition du langage ou des notions abstraites plus tardive que les enfants non-jumeaux. Or, ils doivent passer par des étapes différentes que ces derniers, propres aux jumeaux, comme la fusion suivie de la complémentarité (vers 6 ans, où les parents trouvent des différences entre leurs jumeaux), que ne doivent pas affronter les enfants uniques. Ils communiquent davantage entre eux qu’avec leur environnement, sollicitant d’autres capacités. Ce décalage se comblera en général à l’entrée à l’école, où ils se rendront compte qu’ils n’ont en effet pas les mêmes aptitudes !

Cryptophasie : leur langage propre

Autre élément qui vient perturber l’acquisition du langage : beaucoup de jumeaux développent un langage propre. René Zazzo l’appela cryptophasie, désignant par là une variation dans la prononciation de mots, un remplacement de lettres, voire un jargon totalement inintelligible. Cette cryptophasie, dont les jumeaux n’ont d’ailleurs pas l’exclusivité, occasionne dans de nombreux cas un retard de langage non pas dans la richesse du vocabulaire mais bien dans son apparition et dans la maîtrise de ses valeurs relationnelles. Ainsi, la distinction verbale entre soi et les autres est plus tardivement acquise : lorsqu’on leur demande de montrer leurs cheveux, certains font la démonstration sur leur jumeau. Inattendu !

Mêmes mots, mêmes pensées, mêmes gestes, certains jumeaux ont parfois le sentiment d’avoir des pouvoirs parapsychologiques. La synchronie est telle que certains l’expliquent par des facultés particulières comme la télépathie. Rien n’est moins sûr. Le cas suivant étonne toutefois : « Au cours d’une rixe, Romain est blessé d’un coup de couteau, il a la plèvre perforée. Fortement perturbé, il fait pendant quelques jours une extinction de voix. Lucas, ému par la blessure de son frère, présente pendant le même temps une voix éraillée et éteinte. » Loin de toute interprétation paranormale, c’est de mimétisme affectif et de solidarité extrême qu’il est question ici. Même si cela reste surprenant.

Partage des rôles

Une fois le langage acquis, certaines habitudes particulières sont parfois prises par les jumeaux. Ainsi, décrit Zazzo, un des jumeaux va répondre pour les deux tandis que l’autre apprend à… se taire. Dans d’autres cas, l’un commence la phrase tandis que l’autre la termine. Il y aurait souvent, quoi qu’il en soit, un « ministre des affaires extérieures » qui gère la communication et un « ministre des affaires intérieures » qui dirige la sphère privée du couple, affirme Helmut von Bracken, pédagogue allemand. Philippine se reconnaît dans ce rôle de communicante. Elle nuance toutefois l’idée répandue qu’une distribution définitive des rôles dominant/dominé aurait lieu au sein du couple de jumeaux. C’est plutôt en alternance que chacune endosse cette position, explique-t-elle, dans une dynamique efficace. Tout est affaire de circonstances. Et d’état d’esprit.

Par ailleurs, les parents, pour insister sur les différences entre leurs jumeaux, peuvent insister sur des aptitudes propres à chacun d’entre eux : langage, dessin, musique, sport… Ce qui est important, car un jumeau se construit et se développe par rapport à l’autre, et ils peuvent alors s’opposer l’un à l’autre, même verbalement, voire par des disputes violentes !

L’un sans l’autre ?

À l’école aussi se pose la question de les séparer. Une étude britannique s’est intéressée à l’impact d’une telle séparation. Les enfants séparés de leur jumeau en première primaire étaient devenus, un an et demi plus tard, plus repliés sur eux-mêmes, angoissés, voire dépressifs et présentaient davantage de troubles psychosomatiques par rapport à des jumeaux qui n’avaient pas été séparés. Selon Fabrice Bak, psychologue et spécialiste de la gémellité, il ne faut jamais imposer une séparation, véritable événement de vie, et préférer l’approche au cas par cas. Et la séparation dès l’entrée à l’école primaire n’est pas une bonne idée, car c’est la période de différenciation, qui peut être renforcée justement par le fait d’être ensemble en classe…

D’autres circonstances imposent la séparation. La mort en est une, le mariage une autre. Dans ce dernier cas, c’est l’aboutissement de la différenciation. Certains cherchent cet aboutissement en se séparant volontairement de leur jumeau. Philippine se rappelle avoir souhaité, vers 16-17 ans, jouir de plus de liberté et d’autonomie. Les études l’y ont aidée : sa jumelle est allée étudier à Bruxelles tandis qu’elle kotait à Louvain-la-Neuve. La distance géographique ne les a toutefois pas empêchées de se téléphoner plusieurs fois par semaine. Ni de collaborer sur un même travail d’étude.

Encourager chacun à développer son propre cercle d’amis, ses idées, ses projets, est certainement bénéfique. Tout en ménageant des moments où ils se retrouvent.

On le voit, « les jumeaux » est une seule appellation pour différents vécus. Non, tous ne développent pas de langage secret. Non, tous ne s’isolent pas dans leur cocon. Le tableau est bien plus varié que ce que certains médias nous en laissent voir. Tantôt « une fois deux », tantôt « deux fois un », tantôt dominant, tantôt dominé, les positions varient. Selon les circonstances, selon l’humeur. Ni tout noir ni tout blanc.

Par Sandrine Mathen / Carine Maillard

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