Etre ivre sans boire une goutte d'alcool, c'est possible © iStock

Le syndrome d’auto-brasserie: la sensation d’ivresse… sans alcool

Anouche Nicogossian

Le Dry January en janvier, la Tournée minérale en février… Les occasions se multiplient pour réduire sa consommation d’alcool, et les effets qui l’accompagnent. Pourtant, la sensation d’ivresse sans avoir bu une once d’alcool est une réalité pour certaines (rares) personnes. On les dit atteintes du “syndrome d’auto-brasserie”.

Les symptômes sont les mêmes que ceux d’une consommation d’alcool classique (bien qu’ils dépendent du taux d’alcoolémie) : tête qui tourne, perte d’équilibre, troubles de la vision, d’élocution, voire de mémoire et incapacité de prendre le volant. La sensation d’ivresse est là, mais sans alcool consommé. Il a plutôt été produit. Ce cas de figure, extrêmement rare, s’appelle le syndrome d’auto-brasserie ou d’auto-fermentation.

« Il ne s’agit pas d’une maladie mais bien d’un syndrome : c’est une manifestation liée à un état physiologique« , précise le professeur Peter Starkel, hépato-gastro-entérologue et co-responsable de l’unité d’alcoologie aux cliniques universitaires Saint-Luc. De quoi s’agit-il exactement, docteur ?

L’auto-fermentation, ou cette sensation d’ivresse sans avoir bu d’alcool, est un processus de fermentation au niveau du tube digestif opéré par des bactéries et des levures bien spécifiques. Les dites bactéries possèdent une « machinerie d’enzymes qui sont capables de produire de l’alcool (éthanol) au niveau du tube digestif », expose le professeur Starkel. La levure Saccharomyces cerevisiae en est un exemple, mais elle est loin d’être la seule. Les personnes atteintes de ce syndrome ont un nombre plus important de ce type de bactéries et de levures dans leur tube digestif, que les personnes qui ne l’ont pas. Elles peuvent alors atteindre des taux d’alcoolémie situés entre 0,1 gramme/litre et 0,3 gramme/litre. Les symptômes d’ivresse seront fatalement plus faibles. Dans des cas plus rares, ces taux peuvent atteindre 0,5 gramme/litre voire 1 gramme/litre.

« Les personnes qui ne sont pas atteintes de ce syndrome, une majorité donc, n’ont pas ou extrêmement peu de bactéries ou de levures qui ont la capacité de fermenter et de produire de l’alcool au niveau de leur tube digestif. La production d’alcool sera donc très faible, voire inexistante. Et si elles en produisent, le taux d’alcoolémie sera de 0 car indétectable. Si, dès lors, on retrouve de l’alcool dans leur sang, il ne vient pas de leur flore intestinale« , avertit l’hépatologue. Inutile donc de se retrancher sur les mauvaises bactéries pour justifier son ébriété…

Sensation d’ivresse sans alcool : le processus

Habituellement, lorsque l’on a de l’alcool (ingurgité) dans le sang, celui-ci en arrivant au niveau du foie est transformé en une substance moins toxique, qui n’est pas de l’alcool. C’est le processus de détoxification. Le processus d’auto-brasserie applique, lui, la mécanique inverse : les bactéries à l’origine de l’auto-fermentation « utilisent des enzymes similaires à ceux présents dans le foie et produisent, à partir d’une substance a priori inoffensive, de l’alcool », explique Peter Starkel.

Cependant, si une personne produit peu d’éthanol (entre 0,1 et 0,15 gramme/litre), celui-ci, en arrivant au niveau du foie, est directement éliminé. Elle n’aura donc pas de symptômes liées à l’alcoolémie, l’alcool sera indétectable. « Ainsi, le nombre de personnes ayant ce syndrome est très petit mais celles qui ont les manifestations sont encore moins nombreuses, en raison du mécanisme de détoxification de l’alcool par le foie », précise l’hépatologue. Dans le cas d’une production plus forte, semblable à la consommation de trois ou quatre verres d’alcool, l’élimination prendra plus de temps. Le foie étant, en effet, capable de détoxifier 0,1 à 0,15 gramme/litre d’alcool par heure. Le reste se situera dans le sang et sera alors détectable en cas de contrôle d’alcoolémie.

Un traitement compliqué

Il n’y a pas de cause connue qui explique la présence de ces bactéries chez certains et pas d’autres. « Cela peut venir de l’alimentation, notamment de la consommation de fibres fermentables. Peut-être, aussi, à un moment donné de l’évolution naturelle. Il est également bien connu que les antibiotiques perturbent fortement la flore intestinale et laissent de la place à des bactéries plus nocives de se développer mais il n’y a pas de lien direct entre la prise d’antibiotiques et le développement du syndrome d’auto-fermentation« , développe-t-il.

Il n’existe pas de traitement spécifique pour ce syndrome, notamment en raison de sa rareté. L’éradication des bactéries responsables nécessite une identification de celles-ci au préalable, ce qui représente un processus très complexe. Le professeur Starkel suggère alors de « moduler la flore intestinale pour laisser moins de places à ces bactéries, et plus de place à des bactéries qui ne présentent pas ces facultés. Cela passe par une modification de l’alimentation pour éviter de les nourrir et/ou une prise de pré ou de probiotiques. »

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