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Drogues: la prévention s’adapte à la consommation façon confinement (analyse)

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Cinq opérateurs wallon, flamands et français s’allient pour renseigner au mieux, sur le Web et les réseaux sociaux, les consommateurs de drogues. Comme dans les boîtes de nuit et festivals, l’objectif reste d’informer sans juger, en s’adaptant au nouveau terrain privilégié par les usagers.

 » Si je sniffe un rail de coke, serai-je accro au premier coup ?  »  » J’ai 16 ans et j’aimerais bien essayer le cannabis pour voir ce que ça fait.  »  » J’ai un noeud dans la gorge et je me sens très mal depuis quinze jours, après avoir fumé de l’herbe. C’est grave ?  » Derrière son écran, Martin repère, sur des blogs comme Doctissimo, mais aussi jeuxvideos.com, ces questions qui affleurent. Puis il se met au travail. Pendant des heures, il rédige des réponses nuancées, complètes, précises. Et sans jugement. Martin est e-volontaire auprès de Spiritek, un centre lillois spécialisé dans l’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues. Sa mission consiste à aller à la rencontre des consommateurs de drogues sur les réseaux sociaux et les forums en ligne. Son but n’est pas de convaincre ses lecteurs qu’il faut arrêter toute consommation, puisqu’ils ont déjà fait le choix de consommer. Il transmet seulement les informations nécessaires sur cette consommation et sur les risques encourus et renseigne ses sources, fiables, en bas d’article.

Cette innovante façon de couper l’herbe sous le pied des désinformateurs qui sévissent sur la Toile a été imaginée par cinq opérateurs de terrain belges et français. Le service Prévention de la Ville de Mons, le VAD (Bruxelles – centre flamand d’expertise sur l’alcool et les autres drogues), le CAW (centre d’aide social basé à Courtrai), le CGG Eclips (Centre de santé mentale de la région du grand Gand) et l’association lilloise Spiritek, spécialisée dans l’accueil et l’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, se sont ainsi alliés pour porter ensemble le projet Interreg Party (Preventive Actions and Risk Reduction Towards Young people), avec l’appui financier de l’Union européenne.

On parie sur l’intérêt de mettre les consommateurs en contact avec des pairs.

 » Jusqu’il y a quelques années, les consommateurs se rendaient dans les boîtes de nuit et les festivals pour consommer, rappelle Dominique David, cheffe du projet Party au service Prévention de la Ville de Mons. De nombreux jeunes Français, notamment, venaient faire la fête dans le Hainaut. Mais ces sorties-là coûtaient cher : aujourd’hui, les jeunes consomment plutôt dans des bars ou dans des espaces privés. Ils boivent aussi chez eux des boissons achetées en grande surface et ne sortent qu’ensuite.  » Le confinement a renforcé cette tendance. Il faut donc aller chercher les usagers là où ils se trouvent : sur la Toile et les réseaux sociaux, terrain où fleurissent parfois de dangereuses affirmations sur l’achat et la consommation des drogues. Les cinq opérateurs wallon, flamands et français, qui avaient déjà collaboré par le passé sur le terrain, ont dès lors décidé d’investir le Web et les réseaux sociaux pour travailler dans le monde virtuel cette fois. Avec toujours le même objectif : informer et (ré)orienter si nécessaire.

Le projet Interreg Party vise le recrutement de 35 e-volontaires en quatre ans, dans les trois régions concernées. Parallèlement, le travail de sensibilisation se poursuivra dans les milieux festifs et les bars. Le recrutement de ces volontaires, des bénévoles en Région wallonne et des jeunes en service civique en France, est en cours. Cinq candidats wallons suivront une première formation en juillet. A Lille, un e-volontaire est déjà à pied d’oeuvre.

 » On cherche plutôt des jeunes, parce qu’on parie sur l’intérêt de mettre les consommateurs en contact avec des pairs « , insiste Dominique David. En Région wallonne, les e-volontaires bénéficieront d’un défraiement ; en Flandre, ils seront rémunérés à l’acte, tandis qu’en France, ceux qui interviennent dans le cadre d’un service civique reçoivent un peu moins de 600 euros par mois. La philosophie du projet ne vise pas la conclusion de contrats de travail fixes mais parie sur la souplesse, l’envie, la disponibilité des volontaires.

 » Il y a le monde des professionnels et celui des pairs, résume Georges Joselon, le directeur de Spiritek. Nous sommes plutôt dans une logique de transmission. Quand ils cessent de collaborer avec nous, nos ex-jobistes continuent à sensibiliser autour d’eux les consommateurs aux risques qu’ils courent. Plus de personnes seront formées à cet enjeu et plus l’infor- mation sur les stupéfiants se diffusera. C’est la puissance philosophique de ce projet.  »  » Notre objectif est justement de ne pas professionnaliser ces bénévoles, ajoute Margot Cimino, chargée de projet Party au service Prévention de Mons. Car la rencontre entre nous, professionnels, et eux, connectés à la consommation à travers leur parcours de vie, est plus efficace pour réduire les risques.  »

Pour ce projet transfrontalier commun – le cinquième du genre depuis 1994 -, l’Europe a débloqué un budget total de 2,28 millions d’euros sur quatre ans, à répartir entre tous les opérateurs. En Wallonie, 50 % du budget de 801 000 euros nécessaire à cette opération, pour quatre ans, sont assurés par des fonds européens, 40 % par la Région wallonne et 10 % par la Ville de Mons.

Pour assurer la cohérence du projet entre les différentes structures, un guide méthodologique a été mis au point, qui fixe le cadre des interventions sur les forums mais aussi l’éthique et la déontologie qui doivent s’appliquer. Aucune réponse envoyée sur la Toile n’est, par exemple, à caractère médical. Dès que la question posée nécessite le renvoi vers d’autres services de prise en charge, psychologues, toxicologues, addictologues, ou pharmacologues, les e-volontaires en communiquent les coordonnées.

Une plateforme informatique commune, baptisée Podio, a également été créée. Sorte de Facebook de travail, accessible uniquement aux volontaires, elle recense les questions posées ; les réponses proposées y sont partagées pour être validées. En cas de nécessité, appel est fait, toujours sur la plateforme, à des experts qui épaulent les volontaires. Les outils, sources et ressources utiles y sont aussi mis en commun.

 » On vise ceux qui ne comptent pas arrêter comme ceux qui viennent de commencer, embraie Adrien Gadon, chargé de projet chez Spiritek. Informés, ils consommeront en s’exposant moins au danger, notre idée étant de réduire l’impact du produit. Avaler une pilule d’ecstasy en plusieurs fois est plus indiqué que d’un seul coup, par exemple.  »

La réponse des e-volontaires intervient en général dans la demi-journée qui suit l’envoi de la question sur les forums. Pour ceux qui le souhaitent, le dialogue avec l’e-volontaire peut se poursuivre par messagerie privée. L’objectif ultime du projet est de rendre cette méthode de travail transposable pour qu’elle puisse servir à d’autres à l’avenir.

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