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Drague moderne: le syndrome Cyrano

Muriel Lefevre

En ces temps modernes où le GSM et la crampe au pouce ont pris le pas sur la plume, on observe un retour étrange. Celui de l’amour épistolaire. Un amour qui nait pour une personne qu’on n’a jamais vue, mais qui nous a séduite par ses mots. Ou quand l’amour n’est pas fait d’actes, mais de belles paroles.

Le syndrome Cyrano a atteint l’ère du chat. Avec les applications de rencontre et la possibilité de communiquer par écrit avec n’importe qui grâce à des applications comme messenger ou Whatsapp, nous serions de plus en plus nombreux à nous laisser emporter par une romance éthérée où les seuls contacts sont les mots. On apprend à se connaître, on s’écrit des choses qu’on n’oserait jamais dire à voix haute, on se murmure de tendres confessions. Et il arrive que l’on tombe réellement amoureux de cette autre avec qui on communique alors qu’on ne l’a jamais vu, entendu ou humé. C’est ce que certains ont baptisé le syndrome Cyrano.

Un terme inspiré de la pièce qu’Edmond Rostand a écrite en 1897. Pour rappel, celle-ci se déroule en 1640 et raconte l’histoire de Cyrano de Bergerac, poète et soldat, qui est désespérément amoureux de sa très belle cousine Roxane, alors que lui a le nez le plus laid du monde. Problème, l’objet de son affection lui confesse qu’elle en aime un autre, le beau Christian, qui vient d’entrer dans la compagnie de Cadets de Cyrano. Par amour pour elle, il le prend sous son aile et l’aide à conquérir sa belle. Pour se faire, il souffle au jeune homme les mots qui font fondre Roxane.

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L’amoureux de l’ombre n’apprendra que plus tard, et juste avant de mourir, que ce qui avait séduit la jeune femme, c’était son bel esprit et non la personne de Christian.

Le danger de la chimère

Si la morale de base de cette histoire d’amour funeste est qu’il n’y a pas que le physique qui compte, elle prend une autre saveur ces dernières années. On peut, en effet, tout à fait profondément tomber amoureux des mots de quelqu’un. On dirige notre affection vers une personne probablement idéalisée et qui n’existe que dans nos fantaisies. Et c’est là que réside le danger. Une chose qu’on a fantasmée depuis des mois est souvent légèrement décevante une fois devenue réelle. Il y a une chose fondamentale que l’on oublie lorsqu’on s’emballe ainsi : c’est que personne ne parle comme il écrit et n’est tout à fait comme il se décrit. Dans ce type de relation neo-épistolaire, on se construit une chimère à l’image de ses propres désirs et fait à partir de bribes.

Dans son roman Comme elle l’imagine (aux éditions « Mercure de France »), Stéphanie Dupays aborde le thème de l’amour au temps des écrans et des réseaux sociaux. Sur France Inter, elle raconte que ce qui l’a frappée, « c’est cette nouvelle modalité de présence, une présence de loin, sans les corps, mais très effective. » Les personnes sont certes en connexion directe, mais pas réellement ensemble. Ce qui crée « une tension à la fois romanesque et perturbante. L’imaginaire vient s’engouffrer dans les vides que laisse l’absence réelle. Cette communication sans regard ni voix, est en fait une source de malentendus incroyable. On est face à un amour flou tant il est difficile de déterminer les contours d’une telle relation. Quelle part est réelle et quelle part est fantasmée ? N’est-on pas en train de sur interpréter le réel ou de se fourvoyer dans un désir illusoire ? »

Drague moderne: le syndrome Cyrano
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Confronter une belle rencontre « chataire » à la dure réalité a donc tout d’une grosse prise de risque. Mais laisser filer les choses peut amener tout autant de regrets. Car il arrive toujours un moment où c’est trop tard. La magie s’étiole et le constat sera, ici aussi, sans appel. Les choses en resteront là et les deux amants ne se verront jamais. Cette histoire restera un souvenir, une rêverie teintée de regrets.

Quoi qu’il en soit, entre rencontre différée ou de plus en plus hypothétique, l’amour au temps des réseaux sociaux fait mal dit encore Stéphanie Dupays. « Les réseaux finalement entretiennent un sentiment de solitude. Cette présence à distance n’apaise pas. L’autre peut quitter une conversation d’un clic, alors que dans la réalité c’est impossible. Ça favorise des relations fantomatiques et morcelées. » Un type de relation qu’on peut difficilement qualifier d’épanouissante. À ceci, certains argueront qu’au moins on aura frémi, un peu.

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