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Covid long: le difficile chemin de la reconnaissance pour des dizaines de milliers de patients

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Au moins 10 % des patients atteints du covid-19 sont encore aux prises avec des symptômes trois mois après l’infection. Leur état est appelé « covid long ». Cette maladie qui empêche souvent de fonctionner normalement n’est pourtant pas toujours reconnue comme telle. Les patients tâtonnent aussi lorsqu’il s’agit de trouver un traitement adapté : « Ils voulaient me mettre en psychiatrie ».

Eva Haesaerts (46 ans) souhaite reprendre le travail dès que possible, de préférence en tant qu’antiquaire indépendante. Mais ce rêve semble encore trop ambitieux. « Hier, je suis allée à Anvers pour acheter un bijou à ma fille qui va avoir dix-huit ans », dit-elle. En arrivant, je me suis reposée pendant une demi-heure dans la voiture pour récupérer du voyage. Après m’être rendu à la boutique, j’ai dû me reposer pendant une autre demi-heure. Ce n’est pas la vie dont on rêve. Toute activité physique et cognitive, aussi petite soit-elle, doit être entrecoupée de plage de repos pour que la journée reste supportable. C’est très frustrant. Parfois insoutenable ».

L’histoire d’Haesaerts commence très tôt dans la pandémie. Elle a été infectée par le coronavirus probablement dès le mois de mars de l’année dernière. Elle souffre alors de problèmes d’estomac et d’une perte de l’odorat et du goût pendant quelques jours. Mais à cette époque, on ne faisait pas encore grand cas du covid-19. « C’est seulement lorsque les symptômes ont disparu que j’ai envisagé la possibilité que j’avais peut-être été infectée par le virus. « Si c’est seulement ça, » ai-je dit à un ami, « alors le covid n’est rien de plus qu’une grippe. »

Son état s’aggrave cependant la semaine suivant, lorsqu’elle visite, avec sa famille, l’exposition Van Eyck à Gand. « J’ai souffert d’une forte toux et, plus tard dans la soirée, de frissons et de douleurs musculaires. Ces symptômes ont duré un mois. Au cours de ce mois, je me suis rendue trois fois à un centre de test et plusieurs fois aux urgences et chez le médecin de famille. Mais tous ont estimé que je ne devais pas être testé et que ça allait passer. Ce n’est que lorsque je me suis retrouvée aux urgences, quatre mois plus tard, que l’infection a été confirmée par la présence d’anticorps ».

En mai 2020, Eva Haesaerts sera examinée par un pneumologue. Selon le médecin, le scanner ne donnait aucune raison de s’inquiéter et on lui conseille de faire de l’exercice. « J’en étais très heureuse », dit-elle. J’avais l’habitude d’être de faire beaucoup de vélo. J’ai immédiatement fait un grand tour. C’était fantastique. Jusqu’à ce que, un peu plus tard, je sois soudain terriblement fatigué. En fait, je ne m’en suis jamais tout à fait remise. »

Une fatigue extrême et persistante ou le moindre effort s’accompagne d’un contre coup important. C’est cette plainte qui, souvent associée à un essoufflement persistant, à des douleurs musculaires ou à des problèmes de concentration, survient plus souvent chez les personnes qui ont été infectées par le coronavirus au cours de l’année écoulée. Dans un nombre frappant de cas, les premiers symptômes n’ont pas été considérés comme suffisamment graves pour nécessiter une hospitalisation. Sauf qu’ils n’ont rien d’anodin surtout s’ils persistent dans le temps. Si souvent, les symptômes semblent s’atténuer après quelques mois, parfois ils restent, voire, dans certains cas, s’aggravent.

Les jeunes et les femmes les plus touchés

Ces maux sont regroupés sous le terme Covid long, mais il s’agit en réalité d’un terme générique pour désigner une maladie qui ne peut pas encore être défini avec précision. « Il existe plusieurs théories sur la cause de ce phénomène », explique le pneumologue Yannick Vande Weygaerde. À l’hôpital universitaire de Gand, il suit de près le sort de ces patients. Il pourrait y avoir une explication immunologique, mais la vérité c’est qu’on n’a encore aucune certitude. Il s’agit probablement d’une combinaison de facteurs. Ce que l’on peut dire avec certitude par contre, c’est que les symptômes sont plus fréquents chez les jeunes et les femmes. Nous constatons également que le covid long survient plus souvent chez les patients qui présentaient initialement une évolution bénigne de la maladie. Mais nous ne savons pas exactement pourquoi.

On ne connait pas non plus le nombre exact de personnes souffrant d’un covid long en Belgique. La seule certitude c’est que c’est un problème qui est sous-estimé.

Le mois dernier, l’hebdomadaire britannique The Economist a mis en garde contre une possible « catastrophe de santé publique ». En Grande-Bretagne, l’Office for National Statistics estime que près de 14 % des personnes testées positives au covid-19 ont souffert de symptômes qui ont duré plus de trois mois.

Covid long: le difficile chemin de la reconnaissance pour des dizaines de milliers de patients
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En Belgique, où plus d’un million de personnes ont été testées positives, cela signifierait qu’au moins 100 000 personnes ont été touchées par le covid long. Cela signifierait également que, dans cette phase de l’épidémie, il y a chaque semaine 2000 nouveaux patients en plus. Des chiffres probablement en dessous de la réalité puisqu’ils ne tiennent pas compte des patients atteints de covid long qui n’ont pas été testés positifs, comme Eva Haesaerts.

« Nous devrions tout de même nuancer quelque peu ces chiffres », déclare le docteur Vande Weygaerde. « Je n’appellerais pas quelqu’un qui est encore un peu essoufflé après trois mois un patient qui souffre d’un covid long. Néanmoins, même si cela ne touche que 1 à 5 %, cela reste un groupe très important. Surtout en sachant que cette forme de covid touche le plus souvent la population jeune et active. Malgré le fait que j’étais sceptique au début, les faits sont là, et cela fait peser une lourde charge sur notre société ».

Brouillard cérébral

Le covid long est, pour plus d’une raison, une histoire compliquée. Il y a d’abord le tableau clinique, qui peut varier considérablement d’un patient à l’autre. Outre la fatigue et le « brouillard cérébral », les autres symptômes mentionnés sont l’insomnie, les maux de tête, les palpitations, les changements soudains de température, les réactions allergiques et les douleurs musculaires et articulaires. De plus, cette condition n’est généralement pas quantifiable. Les scanners cérébraux ou les radiographies des poumons ne révèlent souvent rien de problématique.

Même si on ne voit rien, beaucoup de ces patients ne sont toujours pas en état de travailler. C’est difficile mentalement, mais aussi financièrement, car cela représente souvent de grosses pertes de revenus.

D’autant plus que cette maladie n’est pas encore reconnue, ce qui rend parfois difficile le paiement d’une assurance complémentaire. Une récente étude néerlandaise a révélé que 80 % des médecins du travail ne savent pas quoi faire face à une nouvelle pathologie si difficile à objectiver que le covid long. Un quart de ces médecins subissent la pression des employeurs pour que leurs employés reprennent le travail le plus rapidement possible.

Pour que les choses changent, il faudrait une reconnaissance officielle de la maladie. Un premier pas dans cette direction a déjà été fait par la Commission parlementaire de la santé publique. Ce comité a récemment approuvé une résolution. Elle demande au gouvernement non seulement de reconnaître la maladie, mais aussi d’assurer un suivi et un soutien adéquats aux patients. Mais ce n’est qu’un début, car il faudrait aussi que des parcours de soins clairs soient définis. Pour l’instant, la voie vers un traitement est encore très floue et compliquée. Les patients consultent un neurologue, un psychologue, un ergothérapeute, etc. Cela entraîne une surconsommation médicale et est généralement inefficace.

Agonie supplémentaire

Pour de nombreux patients, la recherche d’un traitement approprié a tout du chemin de croix. Notre système de soins de santé est organisé de telle sorte qu’un seul prestataire de soins traite un seul syndrome », explique M. Li. Qui a créé une association qui vient en aide aux patients qui souffrent de Covid long. Alors que ces patients ont besoin d’une approche multidisciplinaire. Certains hôpitaux proposent cette prise en charge multidisciplinaire, mais elle est alors réservée aux personnes qui ont déjà été traitées dans cet hôpital, ou aux personnes présentant des symptômes clairement identifiables.

Eva Haesaerts est l’un des nombreux patients à la recherche du bon traitement. En plus de son médecin généraliste, elle a également consulté un neurologue, un pneumologue, un spécialiste du nez et de la gorge, un rhumatologue, plusieurs cardiologues, un endocrinologue et plusieurs physiothérapeutes. Tout cela n’a servi à rien. Les exercices du kinésithérapeute étaient trop durs pour moi », dit-elle. Les médecins m’avaient dit que ça m’aiderait, mais avec moi et comme pour beaucoup d’autres, c’était contre-productif ».

Selon Haesaerts, un grand nombre de patients souffrent de malaise post-exercice, ce qui concrètement signifie que les symptômes s’aggravent après l’effort. On constate aussi cela chez les personnes qui souffrent d’encéphalomyélite myalgique, une maladie inflammatoire. J’aimerais que des recherches plus approfondies soient menées à ce sujet. Pour l’instant, nous traitons principalement les symptômes. Ce n’est pas une solution durable. Pour être honnête, qu’on reconnaisse le covid long ne me fait ni chaud ni froid. Cela ne changera rien à ma situation. Ce qui serait vraiment utile et nécessaire, c’est d’effectuer des recherches sur la cause, le traitement et les médicaments. Ce n’est qu’avec un bon traitement et des médicaments que nous pourrons reprendre le cours de notre vie.

À court terme, le Dr Vande Weygaerde ne peut effectivement pas offrir beaucoup de perspectives aux patients qui souffrent d’un covid long. Il y a bien des rumeurs selon lesquelles les personnes souffrant d’un covid long se portent soudainement mieux après leur vaccination », dit-il, « mais il n’y a pas encore de preuve scientifique à ce sujet. Il n’existe pas de traitement à l’heure actuelle. Enfin, pas en prenant simplement des médicaments. D’après mon expérience, il faut un long et large processus de revalidation. Avec de la patience et l’aide de neurologues, de psychologues, de physiothérapeutes et du médecin de famille, la guérison est possible. Mais il faut tenir compte du fait que cela peut prendre des mois, voire des années ».

Pour de nombreux patients, c’est difficile à accepter. J’ai remarqué qu’après quelques semaines d’absence, les patients ont souvent tendance à reprendre le travail à plein régime », explique M. Vande Weygaerde. La rechute est souvent presque immédiate, car cela représente une charge trop lourde. Ces personnes sont si faibles que les exercices provoquent une rechute plutôt qu’une guérison. La réadaptation et un éventuel retour au travail doivent être dosés avec soin, et c’est souvent là que le bât blesse. Les patients sont souvent des personnes qui étaient très énergiques avant leur maladie. Ils veulent redevenir comme avant. Accepter que ce ne soit plus possible est une pilule très amère à avaler.

Ce constat est exactement ce qui est arrivé à Eva Vets (48 ans), médecin et chercheuse dans une entreprise pharmaceutique. Jusqu’à son infection, début avril 2020, Vets était pleine d’énergie. Le covid y a mis fin de façon très abrupte. Les cinq premiers jours, j’ai eu l’impression d’avoir une grosse grippe, raconte-t-elle, et le sixième jour, j’ai dit à un collègue : « Demain, je serai de retour ». Mais ce n’est qu’au septième jour que je suis vraiment tombée malade. Soudain, je ne pouvais plus marcher cinq mètres, je ne pouvais plus rester éveillée, j’avais un terrible mal de tête et j’étais trop essoufflée pour parler, et encore moins pour manger.

Dans l’ensemble, je m’en sors bien aujourd’hui. Tant que je respecte les règles du jeu : ne pas dépasser la limite à aucun niveau, ni en rééducation, ni en travaillant à temps partiel, et prendre soin de moi en surveillant mon sommeil et en mangeant sainement. Pour quelqu’un comme moi, il est difficile de respecter ces règles. J’aime vivre et travailler. J’espère pouvoir retravailler à temps plein un jour. Quand, cela dépend en partie de moi, plus je serai « consciencieuse », plus vite cet objectif sera atteint. Mais pour moi, la passion semble être aussi difficile à gérer que le virus dont je me remets. Eva Vets s’estime pourtant chanceuse. Lorsque j’ai cherché un traitement, on a d’abord voulu me mettre en psychiatrie. Avec un ami psychiatre et généraliste, j’ai résisté. Par conséquent, j’ai rapidement bénéficié d’un encadrement multidisciplinaire approprié. Il est incompréhensible qu’il ait été si difficile de mettre cela en place en l’an 2020. Cette approche doit être adoptée pour tous les patients dès que possible. Plus nous attendons, plus la tragédie qui s’annonce sera grande, non seulement pour les patients, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Le Dr Vets aborde également un autre problème. Selon une estimation de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI), il y a actuellement en Belgique près de 460 000 personnes souffrant d’une maladie de longue durée. On craint qu’à ce chiffre viennent s’ajouter au moins quelques dizaines de milliers de patients.

Mise en activité

Cela m’inquiète, pour diverses raisons », déclare le professeur de médecine du travail Lode Godderis (KU Leuven). Les personnes qui sont malades depuis longtemps se retrouvent souvent dans un cercle vicieux. Selon la littérature internationale, 5 à 15 % des patients covid présentent encore des symptômes après 12 semaines qui les empêchent de travailler. C’est inquiétant, car nous savons que les personnes qui sont absentes du travail pendant plus de trois mois ne reviennent souvent pas et se rétablissent moins facilement. Nous le constatons, par exemple, chez des personnes présentant des « troubles liés à la fatigue » plus ou moins similaire. Godderis plaide en faveur d’une mise en activité progressive, comme une sorte de composante de la politique de relance. La recherche montre qu’il est payant d’investir autant que possible dans la remise en activité après une crise économique ou une pandémie. Les pays qui agissent ainsi sont dans un bien meilleur état en termes de santé mentale que les pays qui optent pour un système passif d’allocations.

Selon M. Godderis, un retour au travail relativement rapide, supervisé et progressif peut faire partie du processus de récupération et de guérison. Le problème de notre approche des maladies de longue durée aujourd’hui est que nous ne commençons à penser à un retour que lorsque tous les symptômes ont disparu. La pratique montre que les personnes qui présentent encore des symptômes après trois mois ne seront souvent jamais complètement débarrassées de ceux-ci. Ils vont donc se retrouver coincés dans une invalidité ou une incapacité de travail de longue durée. Une intervention précoce dans le cadre d’un travail adapté peut prévenir cette situation et augmenter les chances d’un retour réussi. Nous sous-estimons l’impact positif du travail adapté sur le processus de récupération. Je ne prétends pas que la mise en activité fera disparaître complètement les symptômes, mais nous savons qu’elle aide à mieux gérer ses symptômes, ce qui améliore considérablement la qualité de vie. Les personnes actives se portent mieux mentalement et financièrement que celles qui restent à la maison. J’aime comparer cela à ce qui se passe lorsqu’un cycliste a fait une mauvaise chute. Même s’il n’est pas complètement remis, nous le laissons participer à de petites courses. En d’autres termes, nous lui fournissons un travail adapté.

Le docteur Vande Weygaerde affirme également que les patients ne doivent pas toujours désespérer. « D’après mon expérience, les patients qui sont soutenus par un vaste processus de réadaptation obtiennent des résultats. Mais ils ont besoin de beaucoup de patience et doivent tenir compte du fait qu’ils peuvent rechuter régulièrement. En outre, la question est la suivante : qui va payer pour tout cela ? Le temps et l’argent seront les principaux obstacles pour de nombreux patients qui souffrent de covid long ».

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