Mélanie Geelkens

Coronalove| « La vie »: « Même insupportable, la vie finit toujours par donner des raisons de s’en éprendre »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Episode 15 (et fin) : la vie

Elle allait être affreuse, trop loin de certains ou trop près des siens. Elle allait être meilleure, plus loin du boulot et plus près des enfants. Elle allait être terrifiante, sans plus rien d’autre que soi-même pour la remplir. Elle allait être reposante, avec tout ce vide succédant au bouillonnement. Elle allait être angoissante, peuplée de peurs, de morts, de masques. Elle allait être encourageante, investie de changements, d’espoirs, d’attentes. Elle allait être rétrograde, sans ses voitures, ses voyages, ses sorties. Elle allait être innovante, avec ses Zoom, ses visites virtuelles, ses skypéros.

Elle a été un peu tout ça, la vie, ces derniers temps. Chérie autant que haïe. Il fallait être bien content de l’avoir, celle-là, quand celui-là la faisait perdre à tant de gens. Mais compliqué, en même temps, de ne pas la détester, tellement elle avait changé. En une nuit, ou presque. Un soir, elle défilait à toute vitesse, ininterrompue, si ce n’est de temps en temps par de furtifs questionnements (était-elle suffisamment verte ? vraie ? épanouissante ? passionnante ? ). Le lendemain matin, elle s’arrêtait net, coupée dans son élan par la crainte, plus encore que par la maladie.

C’était en hiver, tous portaient encore des cols roulés et toutes des bas collants. C’est désormais l’été. Trois mois ! Qui pensait pouvoir y arriver ? Pas celle qui pleurait, au téléphone, en se disant que sa vie d’avant ressemblait déjà à un confinement, faute d’argent, d’amis, d’amants. Pas celui qui déprimait d’être cloîtré avec celle qui, au fond de lui, l’insupportait. Pas celle qui paniquait de devoir gérer le télétravail, la télécole, les télécourses. Pas celui qui avait 5 000 euros mais plus de boulot. Pas celle qui ne voyait plus personne, sauf les housses mortuaires double épaisseur qui quittaient la résidence.

Elle donnait des raisons de la conchier, cette vie. La chienne. La fourbe. Parce que même insupportable, elle finit toujours par donner des raisons de s’en éprendre. La rencontre. Le nouveau départ. L’entraide. Les retrouvailles. Le premier verre en terrasse, la première étreinte, la première fête. Le sourire, celui qui se devine aux yeux, puisque les bouches sont désormais invisibles.

Elle est repartie, la vie. Plus lente au redémarrage qu’à l’arrêt. Presque comme si rien ne lui était arrivé. Irritante, dans toute sa frénésie. Ils recommencent à prendre l’avion, ces porteurs de cols roulés et ces porteuses de bas collants ! Dans les rues, ils jettent partout leurs gants, ils ne portent déjà plus leurs masques. Ils surconsomment, ils surchargent, ils surchauffent.

Elle a repris, cette vie. Même si elle n’avait pas vraiment manqué. Mais elle a de la concurrence. Une rivalité plus humaine, moins matérielle. Composée de moments, de temps, de simplicité, de proximité. Elle s’est imposée à tout le monde, même à ceux qui ne la fantasmaient pas. Elle s’est révélée plutôt plaisante, en fait. La fourbe. Car même supportable, elle finit toujours par donner des raisons de s’en éloigner. Allons-nous la retenir, cette vie-là ? Allons-nous l’aimer ? Ou allons-nous simplement la laisser filer ?

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