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Comment bat votre horloge interne ?

Pierre Schoffers
Pierre Schoffers   Journaliste 

Le retour de l’heure d’été nous prive ce dimanche d’une heure de sommeil. C’est grave docteur ?

Les scientifiques n’ont pas de doute là-dessus : les « vespéraux » s’adaptent plus facilement au passage à l’heure d’été. Logique, puisque le surplus de clarté justifie leur propension à profiter plus longuement de la journée et à retarder leur entrée dans la chambre à coucher. A l’inverse, ce week-end sera-t-il un mauvais moment à passer pour les matinaux ? Pas sûr.

« L’homme s’adapte comme le soleil nous met à l’heure tous les jours », lâche poétiquement le Pr Daniel Rodenstein, spécialiste du sommeil à Saint-Luc (Bruxelles). Le sempiternel débat sur les changements d’heure, leurs avantages et inconvénients, éclipse une question beaucoup plus globale : nos horaires journaliers sont-ils adaptés à notre horloge interne ? Car il y en a une, sous la forme d’un programme génétique qui bat son rythme dans chacune de nos cellules. « Déroger à son rythme, qui est strictement personnel, cela a un prix, en termes de vie sociale et familiale », observe le spécialiste louvaniste. Tous, nous savons – ou ne savons pas (1) – que nous sommes « du matin » ou « du soir ». Les chronobiologistes nous distinguent ainsi selon des modèles d’activité, d’éveil et de somnolence. Les matinaux s’éveillent à l’aube, sont le plus actif le matin et ne font pas de grasses soirées. Les vespéraux attendent littéralement la lumière du jour pour se réveiller sans signal extérieur, travaillent le mieux pendant l’après-midi et, logiquement, vont se coucher tard.

Ces rythmes sont-ils conditionnés par nos habitudes et nos contraintes sociales ? « Non, c’est inné, on ne choisit pas, stoppe tout net le Dr Rodenstein. Tout comme le hibou dort le jour et vit la nuit, l’homme vit le jour et dort la nuit. Ce sont des lois de la nature. Autrement dit, ne pas s’y conformer est contre-nature. Donc mauvais pour la santé des espèces concernées. » Une vérité élémentaire largement bafouée dans le biotope humain. Une enquête mondiale, d’origine allemande, basée sur un questionnaire auprès de 150 000 personnes, livre ainsi un résultat surprenant (2) : la plupart des répondants ont une horloge « tardive » et sont astreints à des horaires trop « précoces ». La sonnerie du réveil matinal qui les déloge de leur nirvana perturbe ainsi la succession normale des différentes phases de leur sommeil et les prive d’une partie de leur régénération naturelle. Ils accumulent un déficit de repos qu’un bonus durant le week-end n’arrivera pas à compenser totalement.

Le Pr Rodenstein fait une analogie avec la « croyance » des vacanciers qui pensent pouvoir compenser durant les congés leur déficit chronique de sommeil pendant le reste de l’année : « Une erreur qui ne tient pas compte des besoins récurrents de notre corps. » Et de rappeler une vérité… économique : « Toute dette se paie. »
Quand l’horloge sociale et l’horloge interne ne battent pas à l’unisson, les chronobiologistes parlent de « jetlag social ». Qui se concrétise par une fatigue diurne et se manifeste par un manque d’attention ou de la somnolence. Celle-ci est une tendance largement naturelle en début d’après-midi, mais le non-respect de nos rythmes intimes peut l’accentuer inutilement. Voire dangereusement. « Regardez les statistiques des accidents de la route. On y constate un pic à 14 heures. Pour ma part, je n’irai jamais signer un contrat chez un notaire à cette heure-là », note, malicieusement, le spécialiste de l’UCL qui sait bien que le diable se cache dans ces détails qui peuvent échapper aux assoupis.

Pour savoir si une somnolence est « normale » ou « pathologique », on utilise un test australien, appelé le score d’Epworth (voir ci-contre). Et pour déterminer un véritable trouble nécessitant un diagnostic précis et un traitement, les centres du sommeil font passer d’autres tests à leurs patients. « Il convient de distinguer une maladie d’une simple mauvaise hygiène de sommeil, observe le Dr Benny Mwenge (UCL), qui cite précisément, à ce dernier titre, les horaires conduisant au jetlag, le retard de la période principale de sommeil, l’incapacité de s’endormir à des heures socialement acceptables ou l’avance de la phase de sommeil.

Quelquefois, une exposition optimale à la lumière peut partiellement rapprocher les aiguilles de nos horloges biologique et sociale. Pour ne pas vous réveiller trop tard, les spécialistes décrètent qu’il faudrait permettre à la lumière de signaler à votre corps qu’il fait jour. Mission techniquement impossible compte tenu des variations saisonnières, sauf à l’aide de volets ou de stores automatiques réagissant, eux aussi, à la lumière. Et pour ne pas veiller trop tard le soir, préférez la pénombre. Les écrans de télévision et d’ordinateur ont tendance à réprimer la mélatonine, l’hormone de sommeil.

Une « désinchro » légère n’a pas beaucoup d’influence et il n’existe pas de science du nombre d’heures de sommeil souhaitables. Les données statistiques permettent seulement d’établir que le nombre moyen d’heures de sommeil des humains se situe aux alentours de sept heures et trente minutes. Tout dépend des besoins de chacun, certaines personnes sont en parfaite condition après cinq heures de sommeil, d’autres ont besoin du double. « La seule règle est d’écouter son corps, ses besoins et ses rythmes biologiques », conclut le Pr Rodenstein. Un corps qui, manifestement, vit sa vie indépendamment de nos décisions. Ce que confirme aussi la récente étude américaine indiquant que dormir trop peu risque de mener à du surpoids. Et donc que le meilleur moyen de garder sa ligne est, partiellement, de bien et assez dormir.

Au-delà du problème individuel, les scientifiques qui considèrent que le jetlag social est un problème de société, proposent aussi des solutions. C’est ainsi que l’expert allemand Till Roenneberg (université Ludwig-Maximilian, Münich) préconise la flexibilisation des horaires de travail dans les entreprises : « Elles devraient instaurer la journée de seize heures comportant un tronc commun de quatre heures pendant lesquelles tous les collaborateurs devraient être présents. En dehors de celles-ci, chacun devrait pouvoir travailler quand il le veut. Un tel système serait favorable à la santé, à la productivité et à la qualité de la vie. »


Mesurez votre somnolence

Vous arrive-t-il de somnoler ou de vous endormir dans les situations suivantes, en vous référant aux derniers mois ?
Indiquez un chiffre de 0 à 3 signifiant :

= jamais de somnolence
1 = faible chance de m’endormir
2 = chance moyenne de m’endormir
3 = forte chance de m’endormir

Situations

– Assis en train de lire
– En train de regarder la télévision
– Assis, inactif, dans un endroit public (au théâtre ou en réunion)
– Comme passager dans une voiture roulant sans arrêt pendant une heure
– Allongé l’après-midi pour se reposer lorsque les circonstances le permettent
– Assis en train de parler à quelqu’un
– Assis calmement après un repas sans alcool
– Dans une auto immobilisée quelques minutes dans un embouteillage

Scores

0-11 : normal
> 11 : pathologie anormale

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