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Charge mentale : nos enfants au bord du burn-out ?

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Dans une société qui vit à mille à l’heure et où la pression conduit de plus en plus de travailleurs vers le burn-out, les enfants ont eux aussi du mal à gérer la pression qui pèse sur leurs petites épaules. Sommes-nous devenus impatients au point de ne plus laisser à nos enfants le loisir de grandir ?

À peine sortis du ventre de leur mère, les enfants « doivent » être stimulés, parfois déjà à l’excès. Il faut masser bébé, lui parler, le nourrir avec des purées faites maison (et bio), l’emmener aux bébés nageurs dès l’âge six mois, l’inscrire à des cours d’anglais dès l’âge de 2 ans, puis à la psychomotricité, à la danse ou au foot. Sans compter les évènements sociaux comme les anniversaires des copains, la sortie au théâtre avec mamy ou l’éveil musical avec tatie.

Avant même d’avoir appris à lacer leurs chaussures, les enfants d’aujourd’hui se trimballent un agenda aussi chargé que celui de leurs parents. Pas étonnant qu’ils se retrouvent dans le même état psychologique que ces derniers : à bout de nerfs.

C’est ce que tente de dénoncer la psychologue française Aline Nativel Id Hammou dans son livre « La Charge mentale des enfants » (Larousse). Au cours des quatre dernières années, elle affirme avoir posé une hypothèse de diagnostic de charge mentale élevée sur une cinquantaine d’enfants.

Si ce nombre est trop restreint pour en tirer des conclusions scientifiques, elle décèle toutefois une tendance de notre société perfectionniste. La charge mentale dont souffrent les enfants est à peu près la même que chez l’adulte : « ce sont des opérations mentales obligatoires et nombreuses, qui demandent un effort de concentration, de compréhension et d’adaptation à l’enfant et qui ne sont presque pas contrôlables », explique-t-elle dans Le Point.

« Évidemment, l’enfant ne va pas penser, comme un adulte (…). Mais il va raisonner en ces termes : ‘Il faut’, ‘Je dois’. Et ces pensées-là l’accompagnent toute la journée : du réveil jusqu’au coucher, voire dans ses rêves qui deviennent des cauchemars. Ce sont des espèces de ruminations mentales : ‘Il faut que je fasse ça bien’, ‘Il ne faut pas que j’oublie telle chose’… C’est un syndrome qui va toucher toutes les sphères de sa vie. Tout va devenir source de stress, charge, oppression. Tout va le saturer », ajoute-t-elle.

Des enfants surmenés en maternelle

Nos enfants peuvent donc se sentir dépassés, voire surmenés. Chez les plus petits, cela va se traduire par un changement de comportement, car ils n’ont pas encore la capacité de traduire leur ressenti en mots. Ils peuvent donc faire des crises de colère phénoménales, car ils n’arrivent pas à gérer leurs émotions. Ou au contraire, ils vont s’isoler, dire qu’ils sont fâchés ou dire « non » à tout. L’enfant va peu à peu perdre le goût des choses, alerte-t-elle, il ne va plus jouer, plus faire de câlins. « Il va peu à peu se retirer, car il sent une espèce de pression sur lui qu’il ne comprend pas ».

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Cette charge mentale peut tomber très tôt sur les enfants, dès qu’ils entrent dans la vie sociale et qu’ils sortent du huis clos familial. C’est à ce moment-là que les parents vont attendre de leur enfant qu’il se conforme à ce que la société attend d’eux. Être sociable, mais ne pas se disputer. Être calme (en classe), mais participer aux exercices. Ou encore manger de tout, mais à un moment et dans un temps imparti.

Si les parents reçoivent des remarques concernant le comportement de leur enfant, ils vont commencer à exercer une certaine pression sur celui-ci, affirme la thérapeute.

Mais l’inverse pourrait également être vrai. Ainsi, un enfant qui reçoit des remarques positives pourrait aussi se mettre la pression pour ne pas décevoir les adultes qui l’entourent. Or l’école est l’endroit par excellence où l’on devrait se sentir légitime de se tromper.

Trois façons de réagir à la souffrance

Les enfants plus âgés souffrant de charge mentale sont difficiles à repérer, car ils peuvent réagir de manière différente à leur souffrance.

Ils peuvent tenter de se conformer à ce que l’on attend d’eux. Dans ce cas-là, les symptômes ne seront pas évidents. « Ils vont avoir tendance à masquer leur souffrance, car ce qu’ils veulent, c’est faire plaisir aux adultes, les rendre fiers. Ils vont faire beaucoup d’efforts, donc beaucoup se fatiguer. L’enfant va dire ‘oui’ à tout, il va coopérer et, une fois tout seul, il va s’écrouler ! », prévient-elle.

Certains enfants peuvent également agir de manière décalée et bizarre : les parents pourraient être surpris par une certaine dissonance entre le comportement et les émotions de leur enfant. Ainsi, il va exprimer son mal-être à des moments inappropriés. Il pourrait par exemple se mettre à pleurer au moment où vous lui offrez un cadeau. Il pourra aussi avoir des troubles du sommeil : hypersomnie, insomnie, cauchemars, etc.

Enfin, certains vont manifester des troubles anxieux : anticipation négative de ce qui va lui arriver, perdre le plaisir dans ses activités, voire régresser (sucer son pouce, vouloir un biberon, souffrir d’incontinence…).

Burn-out, dépression et idées suicidaires

Aline Nativel Id Hammou insiste sur le fait qu’elle constate un boom des consultations au sujet d’idées suicidaires chez les préadolescents (10-12 ans). « Chez ces jeunes patients, je découvre à chaque fois qu’ils ont subi depuis leur petite enfance une pression dans leur quotidien. Bien sûr, l’idée suicidaire est pulsionnelle à cet âge-là, ce n’est pas planifié. L’enfant ne veut pas que sa vie s’arrête, il veut juste que son mal-être s’arrête », explique-t-elle.

Selon elle, le problème viendrait en partie du fait que les parents projettent leurs propres angoisses sur leurs enfants : la peur du chômage, de l’avenir environnemental, les problèmes d’argent ou au travail, etc.

De plus, ces dernières années, toutes sortes de « pathologies » ont été mises au-devant de la scène par la presse ou dans la littérature. Cela vient un peu brouiller le regard que certains parents anxieux portent sur leur enfant. Dès qu’il accumule un peu de retard ou d’inattention en classe, on se demande s’il n’est pas dyslexique, haut potentiel ou hypersensible… Ce sont des considérations d’adulte que les enfants ressentent, mais qu’ils ne comprennent pas parce qu’ils sont ancrés dans le présent, affirme la psychologue.

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Au-delà de cela, les parents se mettent eux-mêmes parfois la pression pour être parfaits, pour suivre les principes de « parentalité positive », pour être présents pour leur enfant, sans se laisser le temps de souffler. « La notion de responsabilité est aujourd’hui plus importante ; les parents subissent cette pression de la société qui leur dicte d’être un parent parfait. Ils se disent, par exemple : « Si je crie, c’est que je suis un mauvais parent. » Cela entraîne beaucoup de culpabilité », explique Aline Nativel Id Hammou.

Face à des parents qui ne s’accordent pas le droit d’être dépassés, comment les enfants pourraient-ils s’accorder cette légèreté ?

Les enfants sont aussi confrontés aux paradoxes de leurs parents qui leur demandent d’être matures et autonomes, mais de ne pas contredire ou remettre en question leur autorité. « Sois grand, mais ne la ramène pas trop ! »

Des conséquences sur le long terme

Un enfant qui subit une trop forte pression va vouloir sauter des étapes et grandir trop vite. Il va mobiliser beaucoup d’énergie émotionnelle, physique et cognitive pour se conformer aux attentes. Ce qui peut entrainer une grande fatigue globale et une dépersonnalisation. C’est-à-dire qu’il n’aura plus le temps et l’énergie de construire sa personnalité.

L’enfant peut donc devenir « un petit robot » qui fait tout comme il faut, qui fait plaisir aux autres, mais qui risque de perdre le plaisir, le désir et la légèreté liée à son âge.

Stimuler son enfant sans être dans l’excès

Tous les parents veulent le meilleur pour leur enfant. Comment alors lui offrir la possibilité de s’épanouir sans lui mettre la pression ? La psychologue préconise de proposer des activités aux enfants (football, musique, etc.), mais sans insister si l’enfant n’a pas envie.

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Concernant les devoirs, qui sont eux obligatoires, elle préconise de faire des compromis avec les enfants pour que ceux-ci soient plus enclins à accepter la contrainte imposée par l’adulte. Il faut éviter d’être dans l’autoritarisme pur et dur et de se transformer en gendarme. Ce qui nuit à toute la famille parce que le plaisir de passer du temps ensemble s’amoindrit.

« Allégez l’emploi du temps de vos enfants, arrêtez de leur dire « dépêche-toi » (la notion du temps est une notion très complexe que l’on n’acquiert pas complètement avant 11-12 ans), réduisez les temps devant les écrans, faites des pauses, passez plus de moments en famille… Et, surtout, laissez à vos enfants le temps de grandir ! », conseille-t-elle enfin.

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