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Ces personnalités racontent leur confinement – Ismaël Saidi: « Je rêve que le monde d’avant soit le monde d’après… »

Le Vif

Ismaël Saidi ne l’écrit pas. Mais le virus, il l’a contracté. Il ne s’est pas rendu à l’hôpital, parce qu’on répétait qu’il ne fallait pas engorger les services d’urgence. Alors, l’auteur belge s’est battu dans un appartement à Paris, où il est confiné. Avec une obsession, qui prenait tout l’espace et le temps : « Respirer. Je dois respirer. » En restant connecté à la réalité. Qu’il transperce sans ménagement.

Les jours s’égrènent et le décompte n’arrête pas : confinement jour 42 ; 20 000 morts. Une peur diffuse nous a toutes et tous envahis. Jamais je n’avais vécu cela : je n’ai connu aucune guerre, aucun exode, aucun malheur aussi grand. Jusqu’à ce confinement, je ne me rendais pas compte de ma chance et du privilège qu’a été ma vie. Je n’ai pas faim, je n’ai pas soif, je n’ai pas trop peur, je suis connecté et donc j’arrive à voir, à défaut de toucher les miens, mes proches et les plus lointains.

Je vis de mon art, nourri par mes mots grâce à ce pays d’Europe qui est le mien et qui considère qu’artiste est un métier digne d’être rémunéré. Je le sais, moi, la chance que j’ai. Et je sais aussi que si je tombe malade, les infirmières et infirmiers, docteures et médecins n’attendront pas que je paie pour me soigner.

Jamais l’Etat-providence n’aura autant mérité son nom. Et si cet Etat-providence existe, c’est parce qu’il est né des cendres de guerres, de crises mondiales sans précédent.

Mais depuis quelques décennies, il s’effrite, disparaît peu à peu, nous semble moins  » cool « , moins  » in « , moins  » connecté « , moins  » streamé « , moins  » liké « …

C’est mieux de privatiser, beaucoup mieux vous verrez : il faut de l’efficacité à tous ces services pour pouvoir s’adapter et mieux fonctionner.

Pourquoi payer deux infirmières quand une demie fera l’affaire ?

Et pourquoi tant les payer alors qu’une machine pourrait satisfaire ?

Emmitouflés dans notre cocon douillet de modernité, nous avons laissé passer, accepté de laisser faire au nom de la rentabilité.

Nous n’entendions plus les cris de nos aînés, celles et ceux qui se sont battus pour que l’on puisse décemment manger.

Celles et ceux qui ont battu le pavé pour que nos congés soient payés.

Ce brouhaha nous est devenu inaudible et intolérable : arrêtez de nous déranger, nous construisons la modernité, vous n’êtes que des vestiges du passé.

Détruire les forêts, lacérer le ciel, polluer les rivières, transformer l’école en  » garde-mioches  » pour que l’économie ne s’arrête pas de tourner, garder la culture  » inaccessible  » pour que seules les élites se démarquent.

Laissez-nous travailler à un monde qui ne dort plus, ne respire plus, ne sourit plus.

Et puis, un petit être microscopique, sans culture, sans éducation, sans argent est arrivé et maintenant, il mène le monde par le bout du nez.

Envahis par la peur, nous nous sommes mis à crier :  » Où sont les soignants ?  »

Et le germe maléfique répond :  » Avec moi, je m’en occupe !  »

 » Où est la culture, nous voulons encore rêver, être émus et rire !  »

Et le poison répond :  » Avec moi, je m’en charge !  »

 » Nos enfants ont besoin d’apprendre pour grandir !  »

Et Covid-19 nous dit :  » Plus besoin d’apprendre, gardez-les chez vous. C’est ce que vous vouliez, non ? Qu’on garde vos enfants. Alors, gardez-les, maintenant.  »

Quand certains espèrent un nouveau monde, je pleure le monde d’avant. Celui d’avant avant, d’avant l’amnésie, d’avant l’arrogance, d’avant qu’on oublie que nous n’étions qu’humains et que c’était uniquement ça qui valait la peine de vivre…

Par Ismaël Saidi.

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