© DENIS LOMME

Ces personnalités racontent leur confinement – Florence Mendez: « J’espère que ce sera la bonne »

Le Vif

Une crise précédente, très personnelle, lui a permis de  » gérer plutôt bien  » celle-ci. Qui lui a filé quand même de nouvelles données, dit-elle. Sur elle. Mais pas que. Florence Mendez, humoriste belgo-espagnole, confinée à Bruxelles, habitée depuis longtemps par les angoisses, a découvert, aussi, que le goût des autres, au fond, comme le sien, ce n’est pas forcément toujours amer.

Temet nosce.  » Connais-toi toi-même « , enseignait Socrate. Qui, sur lui, en a appris des tas, comme le fait que la ciguë, il digère pas trop. Du Charmide de Platon à l’ Emile de Rousseau en passant par Elle m’appelait… Miette de Loana, j’ai pas honte de dire (enfin si, un peu quand même) que je ne comprends rien à la philo. J’ai essayé Kant, un peu : entre Rêves d’un visionnaire et Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudra se présenter comme science, j’ai vite classé dans les catégories  » De l’art de se toucher la nouille  » et  » Mec, pourquoi tes putains de titres sont-ils aussi longs ? « . Bref, je suis le Néandertal de la réflexion. Ma pensée vient à peine de sortir de la flotte. Au mieux, dans les bons jours, elle se torche le cul avec de l’écorce, m’enfin faut pas trop lui en demander non plus. C’est pas faute d’avoir essayé, mais la philosophie n’a fait que m’échapper. C’est de l’algèbre dans les idées, de la poésie dans la logique, moi qui n’en mets que dans les émotions. Elle exige des capacités d’abstraction, de projection, de recul dont je ne dispose pas. Mais  » connais-toi toi-même « , ça, ouais, c’est ma came.

Plusieurs fois par jour, je subis de violentes attaques de panique. Un cOEur qui bat à tout rompre mais sans la chamade, de l’air qui vient à manquer, une impression de mort imminente.

Si je devais écrire un traité, en ressortiraient deux grands principes :  » arrêter de trier ses chaussettes, c’est le début du bonheur « , et  » tant que t’as pas un peu galéré, c’est difficile de savoir qui tu es vraiment « . Bon, faut que je bosse encore un peu le truc, trouver un titre pas trop pourri puis une allégorie un peu classe. Mais c’est pas tout à fait dénué de sens. Plein de types (plein de filles aussi, mais personne n’a voulu les publier) l’ont écrit bien avant et surtout bien mieux que moi mais je crois que ce sont les autres qui nous construisent, selon leurs propres plans. L’éducation dans son inévitable arbitraire, traditions, valeurs, codes, le tout comme un prénom : choisis pour nous et ça nous suivra toute notre vie. Papa, maman, ceux qui nous aiment, tracent un chemin dont ils pensent qu’il nous mènera vers le bonheur, mais étrangement, si l’on en dévie, c’est eux que ça rend malheureux.

Mais, heureusement, de temps à un autre, il y a un bug dans la matrice, comme c’est le cas actuellement.  » Au fait, vous êtes mortels, et la majeure partie de ce que vous avez construit n’a de sens que tant que le système fonctionne.  » Et on ne peut que partir à la recherche de soi-même. Alors je vous pose la question : qui êtes-vous ?

C’est au détour d’une crise que j’ai fait ma connaissance.

Flashback. Là, normalement, vous devriez ressentir une drôle d’impression, comme si tout s’accélérait et qu’on vous tirait en arrière. Ça va, vous l’avez ? Bon. Nous sommes en 2017. La partie de poker que je joue depuis des années contre ma santé mentale vient de se terminer, et ma paire de 3 ne peut rien contre la quinte flush royale que vient d’abaisser le camp d’en face. J’ai développé un trouble sévère qui, je le crois, a mis un terme à mon existence en dents de scie.

Ce qui explique que je sois, en ce moment, du mauvais côté de mon balcon, au 4ème étage d’un immeuble bruxellois. De toute façon, je ne vis plus, sauter, à ce stade, c’est de l’administratif. C’est la peur de mourir qui ironiquement m’a menée là où je suis.

Ça fait deux longs mois que chaque jour, plusieurs fois par jour, je subis de violentes attaques de panique. Un coeur qui bat à tout rompre mais sans la chamade, de l’air qui vient à manquer, une impression de mort imminente. Comme si dans les veines c’était de la terreur pure qu’on m’avait injectée. Et des médecins qui ne peuvent rien pour moi, puisque je ne meurs que dans ma tête.

Me voilà donc devenue folle, aussi opte-je pour la sortie de secours. C’est rendre service à l’homme avec lequel je vis. Ça fait des semaines, il a dit, que mes crises font de sa vie un enfer. Ne me reste donc plus qu’à lâcher la rampe, merci, c’était bien, enfin pas tant que ça mais merci quand même. 3, 2, 1…

En bas, ça s’est mis à rire. A rire, oui, carrément ! J’suis pas du genre à me prendre au sérieux, m’enfin quand même, c’est mon suicide, merde, on ne peut pas m’en vouloir d’exiger que ce soit un minimum solennel. Voilà que ça crie maintenant, et que ça joue à Chat, pile-poil là où j’ai prévu d’atterrir. Font chier, les gosses, toujours là où il faut pas, à vous refiler leurs microbes et puis leur joie de vivre. D’ailleurs y’en a un autre, qui fait vibrer mon coeur et là la poche arrière de mon jeans. Mon téléphone sonne. J’enjambe la rambarde, dans le bon sens cette fois,  » Allô maman « , je me rends compte que mourir n’a jamais été une option.  » Tu pleures ? « , il dit,  » Non, j’ai un rhume « ,  » Ah ça va « , il dit encore, puis recommence à me parler de ses Pokémachins.

Me voilà obligée d’aller mieux.

Presque trois ans plus tard, c’est le cas. Je me suis soigné l’âme et le corps, j’ai découvert qui j’étais vraiment. Si je croisais cette meuf, je sais que je voudrais être elle, même sans savoir qu’elle est moi.

Si je vous raconte tout ça, c’est parce que c’est cette crise, ou plutôt tout ce qui en a découlé, qui m’a permis de gérer plutôt bien celle qui nous occupe.

La moi d’avant aurait, dès les premiers cas, couru partout en hurlant, les bras en l’air, comme un personnage en feu dans un dessin animé.

La moi d’avant n’aurait jamais su qu’elle pouvait surmonter tout ça sans un homme à ses côtés.

La moi d’avant se serait sentie seule, n’aurait pas fait la différence entre ceux qui seront toujours là, et ceux qui ne l’ont jamais vraiment été.

J’ai continué d’apprendre sur qui je suis. Depuis mars, je peux entrer de nouvelles données.

Je sais que la famille que nous formons, avec mon fils et notre chien, c’est mon ciel, et que le reste, c’est la météo.

Je sais que de longues promenades dans la nature sont essentielles à mon équilibre.

Je savais mon métier d’artiste fragile, je sais aujourd’hui qu’il est indispensable.

Je sais que mes amis sont mes satellites, qu’ils me gravitent autour, et que ça régule un tas de trucs essentiels sur ma drôle de planète.

J’ai continué d’apprendre sur les autres.

Tout n’est pas rose, c’est vrai. Je sais désormais que les cons sont dangereux, comme ceux qui votent pour eux. Je sais que certains attendent le retour d’un système qui a pourtant montré ses limites.

Mais je sais aussi que nous avons besoin d’être ensemble, plus que jamais d’être fédérés dans notre essence commune, dans notre humanité.

J’espère que ce sera la bonne.

Parce que si pas, à part une attaque extraterrestre, franchement, je ne vois pas.

La suite… on verra.

Par Florence Mendez.

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