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Cédric Blanpain: « Ce qu’on découvre n’est jamais ce qu’on cherchait »

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Cédric Blanpain est une sommité dans la recherche des cellules souches cancéreuses. Il vient enfin d’être consacré par le prix Francqui-Collen, la plus haute distinction scientifique attribuée en Belgique.

2020 représente une année fabuleuse pour vous: trois publications dans Nature, une autre dans Cell, et, en décembre, le prix Francqui-Collen.

En réalité, c’est du bol! C’est le résultat d’une conjoncture favorable. Mes collègues et moi avons finalisé des travaux au même moment et ils ont fait l’objet de publications prestigieuses. Ce bol, je ne l’aurai plus! Mais ce qui me rend vraiment heureux, c’est d’avoir décroché, pour la troisième fois, la bourse du Centre européen de la recherche. Cela représente deux millions et demi d’euros et ça paie les chercheurs de mon labo.

Gérer un laboratoire, c’est aussi passer une partie de son temps à tenter de décrocher des financements?

Dans mon labo travaillent 40 personnes et deux, parmi elles, perçoivent un salaire. Pour les autres, c’est un stress et chercher des financements prend un tiers de mon temps. Avant chaque dossier, il y a la conception intellectuelle, démontrer son originalité, formuler au mieux la question et la manière d’y répondre. C’est l’aspect excitant. Ensuite, il y a le volet administratif, l’écrit et, là, c’est plus laborieux. Chaque année, je dépose une quinzaine de dossiers partout, au FNRS, au Télévie, à la Région wallonne, auprès de fondations privées, aux fonds européens et, enfin, auprès de mécènes. Le mécénat commence à bien marcher. Sans les mécènes, ce serait d’ailleurs plus compliqué.

Je suis assez fier d’avoir pas mal de jeunes professeurs un peu partout dans le monde qui sont sortis de mon labo.

La découverte de FAT 1 (un gène fréquemment muté favorisant les métastases dans un grand nombre de cancers et la résistance à des traitements) est tellement importante à vos yeux que vous n’avez pas hésité à la faire breveter.

Oui, parce qu’elle peut avoir des implications thérapeutiques immédiates. Il existe, aujourd’hui, deux molécules efficaces contre les cellules mutées par FAT 1. L’une est fabriquée par une société, l’autre par des académiques de l’université d’Edimbourg. Très bientôt, nous allons proposer un partenariat à nos collègues d’Edimbourg, parce que ce sont eux qui possèdent la meilleure molécule.

Concrètement, que pouvez-vous espérer?

Cela aura un impact pour la thérapie personnalisée chez des patients ayant développé des cancers. Concrètement, cela permet d’espérer que des patients atteints d’un cancer du poumon et qui présentent la mutation FAT 1 reçoivent cette molécule et y répondent. Jusqu’ici, nous avons démontré la preuve de principe sur deux cas. Nous souhaitons mener des essais cliniques et montrer que le traitement est efficace. On pourrait même affiner les sous-groupes de patients pour lesquels la molécule serait encore plus bénéfique.

Ensuite, pour démontrer qu’elle est meilleure qu’une autre, il y a la phase 3?

Nous pouvons aller en phase 1 et en phase 2. Pour la phase 3, nous n’aurons pas les reins assez solides. Mais quasiment aucune biotech ne le fait. Ce sont toujours les grands de la pharma. La phase 3 coûte des dizaines de millions d’euros, voire un milliard, quand les phases 1 et 2 représentent plusieurs dizaines de milliers d’euros par patient. Depuis deux ans, je suis consultant scientifique pour Genentech (NDLR: biotech de la Silicon Valley, rachetée par Roche) . Les chercheurs que j’y ai rencontrés sont autant motivés que nous par le progrès de l’humanité. Avant ça, j’avais, peut-être comme vous, l’idée que la pharma, ce n’était que du retour sur investissement.

En octobre 2009, à la Maison-Blanche, Elaine Fuchs (
En octobre 2009, à la Maison-Blanche, Elaine Fuchs (« mon mentor », avoue Cédric Blanpain) reçoit de Barack Obama la National Medal of Science.© GETTY IMAGES

ChromaCure, c’est votre start-up pour concrétiser le résultat de vos travaux académiques.

Il y a une cible qui est très présente dans de très nombreux cancers et, notamment, dans les cancers méchants et malins. C’est elle que je vise à travers ChromaCure. Le principe est de la bloquer. Pour cela, nous avons identifié une molécule pour laquelle il sera possible de développer des médicaments. Je n’ai encore rien publié sur le sujet… Maintenant, il faut y aller! Après la levée de fonds (NDLR: une vingtaine de millions d’euros), nous allons aussi entrer en phase clinique.

Certains vous prédisent un prix Nobel…

Non, il ne faut pas dire cela! Je ne le mérite pas. Pour obtenir un Nobel, il faut trouver quelque chose de plus novateur. De toute façon, je ne fais pas ce travail pour les prix. En plus, je suis superstitieux.

Quel regard portez-vous sur la présence « médiatique »

des scientifiques depuis la crise sanitaire?

Cette présence ne me semble pas neuve. En revanche, elle s’est accélérée avec la crise. Ça me fait plaisir. Les gens aiment les sciences. J’espère que cela contribue à instaurer la foi dans les sciences. Ces dernières semaines, j’ai reçu beaucoup de félicitations. Elles ne viennent pas de médecins, de confrères. Elles viennent le plus souvent de voisins, de commerçants, de lecteurs, de citoyens…

Dans votre labo, il y a trois quarts de femmes. Et ça lui réussit plutôt bien.

Jusqu’il y a peu, elles représentaient même 80%. Les femmes apprécient les sciences. Je le vois dans les auditoires quand je donne cours: il y a autant de filles que de garçons. Le gap, en fait, se créé lors du postdoctorat, où la proportion se situe autour de 40% de jeunes femmes. Il s’accentue encore lorsqu’on observe les postes académiques. Les femmes n’atteignent pas 20% des membres!

Et vous, l’envie de la recherche vous est venue comment?

Très vite! Dès le début de ma deuxième candi en médecine, je me suis passionné pour les sciences biologiques, particulièrement la physiologie. Chaque été, je faisais des stages dans le labo de Renaud Bauwens, puis chez Gilbert Vassart, qui dirigeait alors l’Institut de recherche interdisciplinaire en biologie humaine et moléculaire de l’ULB et prix Francqui. Si bien qu’après mes sept années de médecine, j’avais déjà accumulé une année de recherche.

Et puis, c’est le moment de choisir une spécialité.

J’ai choisi la médecine interne et j’ai adoré exercer. J’ai soigné des patients atteints de cancers, ici, à Erasme, et à Baudour. Ils m’ont touché. A chaque fois qu’une découverte pourrait avoir une application directe pour soigner les gens, je saute dessus. Et c’est pour ça que je suis si excité par FAT 1!

Vous avez mené votre spécialisation jusqu’au bout?

Je l’ai interrompue au cours de ma troisième année pour aller faire un doctorat dans le labo de Marc Parmentier, lui aussi prix Francqui. Ma thèse portait sur un récepteur qui servait de porte d’entrée au virus du VIH. Puis, je suis retourné terminer ma spécialisation, à Erasme, en génétique cette fois.

Vous avez un profil atypique, non?

Sans doute. On pourrait me dire que j’ai perdu cinq, six ans de recherche en menant mon parcours de médecine jusqu’au bout. A refaire, je ferai pareil. Cette expérience me sert encore, elle me permet de voir rapidement l’implication qu’une découverte peut avoir sur les gens.

Comment devient-on une sommité en cellules souches?

Quand j’ai eu fini ma spécialisation, je me suis demandé: quels sont les domaines de la science qui risquent d’exploser et d’avoir des applications thérapeutiques? Les cellules souches semblaient un truc prometteur, mais pas à la mode du tout à l’époque. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon mentor, Elaine Fuchs, une sommité, pour le coup.

Pourquoi revenir en Belgique?

Elaine me répétait: « Tu pourrais aller où tu veux, à Harvard… La Belgique, c’est pour les losers! » Je ne suis pas revenu tout de suite. J’ai d’abord voulu m’assurer d’avoir des fonds suffisants pour créer mon labo. Dès que ça été possible, ça s’est fait. Rien à voir, en effet, avec les Etats-Unis, où il existe des financements pour celui qui veut créer son labo. Il peut recevoir un package de lancement d’un million. Mon labo, au départ, c’était cinq, six personnes et on est parti de rien.

La Belgique n’est pas pour les « losers » alors?

Non! J’avais l’impression que je devais rendre à la Belgique ce qu’elle m’avait donné. J’y ai été bien éduqué, j’ai fréquenté une belle université, avec un haut niveau de formation médicale.

Au départ, vous vouliez devenir neuropsychiatre, à défaut de devenir écrivain ou musicien.

Je suis sous-doué pour la musique. J’ai essayé longtemps, mais je n’ai pas l’oreille musicale ni le sens du rythme. Quant à écrire, c’est un rêve de jeunesse. Un jour, peut-être… Je veux contribuer à la société dans laquelle je vis.

Et la neuropsychiatrie?

L’envie de faire médecine, c’est ma mère qui me l’a donnée. Elle est généraliste mais n’a jamais exercé. A la maison, le Journal du médecin traînait sur la table du salon, je le lisais. J’étais déjà fasciné. Puis, en cinquième secondaire, j’ai rencontré un médecin de MSF. Pour moi, c’était l’aventure, les voyages, l’humanitaire… Du roman-tisme! J’étais aussi fasciné par la conscience. Je rêvais d’explorer les microcircuits neuronaux, de faire de l’optogénétique… A l’époque, cette recherche n’était pas accessible sur le plan technologique. Alors, j’ai fait des choses plus simples: la biologie moléculaire et la physiologie.

Aux jeunes, vous diriez quoi?

De faire assez de maths, d’avoir un bagage statistique plutôt solide. La statistique et l’intelligence artificielle vont prendre énormément d’importance. La bio-informatique et la biostatistique sont les fils du futur. De nombreux métiers médicaux vont se contracter. La radiologie, par exemple. Très vite, elle sera dominée par l’intelligence artificielle, qui est capable de débusquer des anomalies avec une productivité inégalée. Aujourd’hui, les jeunes de mon labo ont de plus en plus cette double casquette: une expertise scientifique et une autre en métadonnées, en bio-informatique.

Vous êtes fier de ce que vous avez accompli?

Je suis à la moitié de ma carrière scientifique! Je suis surtout fier de mon équipe. Seul, je n’aurais rien pu faire. Les premiers compagnons sont toujours là. L’émulation entre nous tous, c’est la clé de la réussite. J’aime l’enthousiasme, la motivation de ces jeunes qui en veulent et qui travaillent dans mon labo. Ils viennent du monde entier. Il y a toujours une dizaine de nationalités différentes. Et tous viennent pour accomplir quelque chose. Je suis d’ailleurs assez fier d’avoir pas mal de jeunes professeurs un peu partout dans le monde qui sont sortis de mon labo.

Vous venez d’avoir 50 ans, quel est votre moteur?

C’est comprendre ce que la nature est, découvrir l’inconnu, ce qu’on ne connaît pas. C’est toujours ça qui me motive. Tout va très vite, en réalité. Très souvent, ça ne marche pas comme on veut. Ce qu’on découvre n’est jamais ce qu’on cherchait.

Bio express

  • 1970 : Naissance à Uccle.
  • 1995 : Docteur en sciences médicales (ULB).
  • 2002 : Spécialiste en médecine interne (ULB).
  • 2002-2006 : Postdoctorat à l’université de Rockefeller à New York.
  • 2006 : Création de son labo des cellules souches et du cancer (ULB).
  • 2007 : Décroche la très convoitée et très prestigieuse bourse ERC (Centre européen de la recherche). Elle lui sera attribuée à trois reprises.
  • 2015 : Lauréat de l’un des prix quinquennaux du FNRS.
  • 2018 : Lancement de la spin-off ChromaCure.

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