© Sonia Klajnberg

Ce que l’argent dit sur le couple

Barbara Witkowska Journaliste

Quand on aime on ne compte pas ? Voire ! La gestion de l’argent, la place qu’on lui donne, la manière dont il s’immisce dans la vie quotidienne, seraient autant de signes révélateurs de la relation du couple.

Au fil de ses livres, le pédiatre français Aldo Naouri s’est imposé non seulement comme un grand explorateur de l’intime au sein du couple et des rapports entre parents et enfants, mais aussi comme un observateur très pointu, mais parfois controversé, de nos sociétés en pleine évolution. Dans son dernier ouvrage, il décrypte et cherche à comprendre la logique des questions d’argent dans le couple (1). Conclusion ? Ces questions renvoient bel et bien aux rôles sociaux de l’homme et de la femme et nous rappellent, une fois de plus, l’extraordinaire complexité des réalités psychiques qui régissent les comportements humains.

Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qui vous a incité à écrire ce livre ?

Aldo Naouri : Mon expérience clinique de pédiatre ainsi que certains éléments de mon histoire personnelle. Dans ma longue pratique de médecin, j’ai reçu beaucoup de couples de parents qui éprouvaient, entre autres, des difficultés autour de l’argent. J’ai toujours considéré comme sérieux ce problème qui a pris une grande ampleur, surtout ces cinquante dernières années. J’ai donc été amené à tenter de comprendre pourquoi il avait éclos. Pour finir par constater que c’est un symptôme parmi d’autres au sein du couple. Tout ce que j’ai écrit est destiné à démontrer in fine que rien n’est gratuit.

C’est la raison pour laquelle vous insistez tellement sur le marchandage, la transaction et la tractation ?

Oui, parce que ce sont des processus qui régissent tous les ressorts de la société, y compris celui des relations du couple. Le lien social n’est possible que s’il y a des droits et des devoirs. Ce sont eux qui assurent la force de la société. Les sociétés ne se sont jamais formées autrement que sur le principe du don et du contre-don. Ce principe permet qu’il n’y ait pas un gagnant et un perdant, mais toujours deux gagnants. Le couple se situe dans la même logique : « Je renonce à ceci, mais en contrepartie j’obtiens cela. » Dans nos sociétés occidentales, dominées par l’individualisme outrancier, le désir s’est radicalisé au point d’avoir évacué le principe du don et du contre-don. Si bien que tout lien a fini par aboutir au fait qu’il ne doit y avoir qu’un seul gagnant. Dans ma culture d’origine, je suis né dans la communauté juive libyenne, on disait : « Si tu en vois deux qui s’entendent, dis-toi bien qu’il y en a un qui supporte beaucoup. » Ma femme complétait cet aphorisme en ajoutant de façon très pertinente : « Mais l’entente ne peut durer que si chacun supporte à son tour. »

De quelle manière la généralisation du travail des femmes a-t-elle influencé les échanges du couple ?

Les enquêtes démontrent que lorsqu’une femme gagne plus, l’homme se sent dévirilisé. Sur le plan ontologique, à savoir relatif à l’être, un homme est « désirant » d’une femme et la femme est « désirable ». L’homme se sentirait désiré grâce à l’argent qu’il possède. L’anatomie du rapport sexuel obéit à la même logique : un homme « donne », une femme reçoit et « se donne ». Quand elle gagne plus d’argent, elle se met à donner. Le don qu’elle fait va bousculer la position masculine. En termes de marketing, qui fait désormais loi, l’homme a le sentiment de perdre de la valeur, de ne plus valoir grand-chose. Ce sentiment se focalise sur l’organe le plus précieux qu’il ait, à savoir son sexe. C’est un phénomène nouveau, les couples n’ont pas encore réussi à s’adapter à cette situation.

(1) Les couples et leur argent, par Aldo Naouri, éditions Odile Jacob

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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