Lideweij Bosman © DR

Cancer : « J’ai quitté mon compagnon au stade terminal »

Quand votre partenaire souffre d’un cancer, vous entrez également en enfer. Lideweij Bosman a quitté son mari au stade terminal et a brisé un tabou.

Quitter un partenaire malade et qui va bientôt mourir, cela ne se fait pas, même s’il vous met à bout. La journaliste néerlandaise de mode Lideweij Bosman (34 ans) l’a appris à ses dépens, par les réactions désapprobatrices et même méchantes qu’elle a dû affronter dans son pays à l’occasion de la sortie de son livre ‘Naupaka’ (voir encadré). Elle y décrit son grand amour pour son mari, leur combat de plusieurs années contre son cancer, mais aussi comment elle a plongé, avant de se relever et de rompre la relation parce qu’il s’était mis à boire. Au moment de sa crémation, Lideweij a préférer rester à Hawaï, où elle travaillait. Son livre brise un tabou, celui d’affirmer que la vie au côté d’un partenaire proche de la mort peut être très lourde.

Lideweij, comment en êtes-vous arrivée là ?

Lideweij Bosman : Sander et moi étions ensemble depuis 6 ans lorsqu’un lymphome a été diagnostiqué. Il avait alors 30 ans et moi 28. On nous a dit qu’il avait 90 % de chances de survie car il s’agissait d’un lymphome hodgkinien. Nous étions confiants, nous allions surmonter l’obstacle ensemble. Au début, Sander a d’ailleurs bien réagi à la chimiothérapie, mais la maladie rechutait à chaque fois. Nous avons progressivement pris conscience du fait qu’il allait mourir. Je travaillais en tant que journaliste de mode et mon job était très exigeant. Je devais parfois me battre contre les délais de remise de mes articles pendant que Sander était à l’hôpital pour une transplantation de cellules souches. Cela n’a pas résisté à la durée. J’ai subi des remarques négatives sur mes articles, et mon employeur a perdu patience. Après une transplantation autologue de cellules souches, Sander a également dû rester à la maison pendant quelques mois, car son système immunitaire étant faible, il devait être extrêmement prudent dans ses contacts avec d’autres personnes. Une pneumonie aurait pu le tuer. Notre monde rétrécissait encore. Des amis ne pouvaient plus nous rendre facilement visite ; je devais moi-même veiller soigneusement à ne pas rencontrer des personnes malades et à ne pas ramener de microbes à la maison. Nous sommes tombés dans l’isolement. Notre logement était petit, et je ne pouvais donc recevoir personne à l’écart de Sander.

Vous écrivez que votre mari souffrait de deux maladies…

LB : Sander a toujours beaucoup bu, et cela avait déjà créé des problèmes entre nous avant son cancer. Sa consommation d’alcool a augmenté lorsque sa maladie est apparue. Je comprenais pourquoi il buvait : pour anesthésier ses angoisses de mort et soulager les démangeaisons qu’entraîne la maladie d’Hodgkin. C’était horrible : il ne pouvait se détendre et dormir que si je frictionnais ses jambes, ce que je faisais pendant toute la journée. Finalement, la méfiance nous a séparés : mon grand amour, avec qui j’étais en couple depuis 13 ans, a commencé à me mentir. Jusqu’à ce que, un jour, je veuille boire à une bouteille censée contenir de l’eau et qui était en fait remplie de vodka. C’était comme une gifle, une gifle décisive. Surtout parce qu’il avait voulu me faire croire que c’était bien de l’eau que je goûtais. J’étais devenue très méfiante, et je me suis mise à le contrôler en permanence. Son traitement médicamenteux a également changé son caractère : il devenait parfois agressif verbalement. Je n’en pouvais plus, j’étais épuisée et j’avais perdu toute assurance. Bref, nous n’en pouvions plus. Nous avons décidé que Sander irait chez ses parents pendant les week-ends pour me permettre de récupérer. Je pouvais enfin respirer à nouveau. Finalement, nous avons décidé qu’il valait mieux qu’il reste chez ses parents.

Comment s’est passée sa fin de vie ?

LB : Sander était un homme terriblement fort. Durant les derniers mois de sa vie, il avait encore décidé de tenter de résoudre ses problèmes d’alcool et il a commencé un trajet de soins intensifs. J’étais fière de lui. Je l’étais aussi pour la mission qu’il s’était donnée : aider via Twitter des compagnons d’infortune, en parlant de façon très ouverte de ses soins palliatifs et de l’euthanasie. Cinq mois après notre séparation, je me suis vue offrir une proposition de travail à Hawaï et je suis partie. Nous avions décidé que je reviendrais s’il venait à demander une euthanasie. Tant que c’était possible, nous avons maintenu un contact par mails, mais tout s’est dégradé très vite. Il est mort pendant que j’étais là-bas. Là, dans la nature, je me sentais très fortement liée à lui. Je sentais sa présence. Je ne pouvais pas supporter la crémation. Il n’était de toute manière déjà plus là. Revenir seulement pour les autres, même s’ils me suppliaient, non, j’en étais vraiment incapable. J’en avais parlé avec Sander, et je devais faire mon deuil à ma manière. J’étais sur la bonne voie.

À quel point cela a été difficile de partir pour Hawaï ?

LB : Terriblement difficile. Sander m’y encourageait, parce qu’il savait que je m’y trouverais bien et qu’il comprenait à quel point j’étais mal. Il m’a donné le coup de pouce nécessaire. Sinon, je n’aurais pas osé le faire. Il pouvait me laisser partir. Mon père venait également tout juste de mourir. Je devais partir, pour rester entière, et pour donner à Sander la possibilité de se laisser partir lui aussi car, pour moi, il continuait à se battre de façon entêtée.

Votre livre n’a pas été bien accepté par les médias néerlandais. Vous vous y attendiez ?

LB : Le plus frappant est que personne n’avait encore lu mon livre, qui n’était pas encore sorti ! Je m’étais bien préparée à une forte réaction car il s’agit d’un sujet controversé, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi violent. Je suis entrée dans une tempête médiatique dès le jour de la présentation de mon livre. Chacun se focalisait sur le fait que j’avais quitté mon mari en phase terminale et que je n’étais pas venue à sa crémation. Notre histoire n’était même pas prise en compte. J’ai le sentiment d’avoir touché à une peur fondamentale : celle de mourir seul, d’être abandonné à la fin de sa vie.

Y avait-il également des réactions positives ?

LB : Ma boîte à messages a d’emblée débordé de mails personnels, avec des récits éplorés de partenaires de patients cancéreux qui étaient heureux que le sujet soit enfin évoqué. Souvent des femmes, qui plongent dans ces circonstances : elles ne peuvent plus continuer à travailler, et elles ont elles-mêmes besoin d’une aide psychologique, encore très longtemps après le décès de leur partenaire, tout en se sentant fâchées et frustrées. Elles écrivaient que leur compagnon malade était ennuyeux, égoïste, agressif, ou même ‘un connard’. Des mots qui m’effrayaient. Pour moi, un malade est une sorte de saint dont on ne peut dire que des choses positives. Des hommes ont également réagi. Ils m’écrivaient que leur femme malade présentait des sautes d’humeur ou qu’elle ne les autorisait plus à la toucher, ce genre de choses.

Selon vous, de quoi ont le plus besoin les partenaires de patients cancéreux ?

LB : De compréhension. Personne ne se demande comment va le partenaire d’un patient cancéreux. Toute l’attention se porte sur le malade, alors que son partenaire se trouve lui aussi confronté à la peur et à la tristesse. Ce sont surtout les femmes qui ont le plus de mal. Dans de nombreux cas, elles prennent en charge tant les soins physiques que mentaux. Elles s’effacent trop, alors qu’elles feraient mieux de prendre plus de temps pour elles. Et de parler, aussi, avec des personnes dans la même situation ou des amies. Veiller à avoir leurs propres activités, quelles qu’elles soient, pour rester entières. Les femmes recherchent parfois de l’aide auprès d’un onco-psychologue, qu’elles soient partenaire ou patiente, alors que les hommes s’enfuient plus souvent dans le travail ou dans l’abus de substances, d’après les enquêtes.

Et maintenant, vous souhaitez faire quelque chose pour ces partenaires…

LB : J’ai été beaucoup en contact avec l’Institut Helen Dowling aux Pays-Bas, qui propose des soins psychologiques aux patients cancéreux. Malheureusement, les restrictions budgétaires compliquent l’extension de cette aide aux partenaires de patients cancéreux. Je souhaite donc travailler à une alternative. Je suis en pleine discussion avec des médecins, des thérapeutes holistiques et d’autres personnes intéressées pour voir comment nous pourrions élaborer une plate-forme en ligne (Naupaka Works) proposant une sorte de marché des différentes thérapies disponibles, qu’il s’agisse de promenades dans la nature, de discussions sur la spiritualité, de contacts avec d’autres personnes dans la même situation, d’ateliers créatifs, etc. Je veux aider les partenaires de patients cancéreux à reprendre leur vie en main. C’est mon rêve, et j’y travaille.

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