L'e-skin n'est pas simple à fabriquer. Mais des chercheurs ont trouvé la parade grâce à des senseurs magnétiques flexibles ultraminces. © DR

Une peau artificielle, pour l’humain… ou la machine

Le Vif

La peau est le plus grand organe du corps humain, et il fascine particulièrement les scientifiques : l’épiderme réunit en effet de très nombreux atouts. Il est souple, élastique, il cicatrise, il permet l’interaction avec l’extérieur en ressentant les textures, les températures, les densités… Bref, il incarne le sens du toucher, qui influe sur la dextérité et la force exercée lors de la manipulation d’un objet. Pas étonnant, dès lors, que les experts multiplient les efforts pour le reproduire à l’identique, et ce depuis un peu plus de cinq ans.

On ne s’empare pas de la même manière d’une bûche de hêtre massif, d’une délicate framboise ou d’une balle de ping-pong ; pour l’exécution de toutes ces actions, le sens du toucher est un atout phénoménal. Or, il fait cruellement défaut aux prothèses destinées à remplacer un membre… ainsi qu’aux robots. On pense en premier chef aux robots chirurgiens mais aussi aux robots domestiques, incapables de  » doser  » leur poigne. Si ces derniers étaient amenés à prendre soin d’une personne, par exemple en lui faisant sa toilette, cela pourrait mener à plus d’un hématome ou d’une luxation malheureuse. En 2018, des chercheurs de l’université de Stanford avaient déjà développé un gant muni de senseurs, destiné à les doter d’une dextérité  » presque similaire  » à celle de l’homme. Mais, s’ils n’avaient pas été programmés en ce sens, les robots n’étaient pas à même de comprendre s’ils avaient affaire à une mûre ou à un oeuf. Gênant.

Appelée  » e-skin  » ou  » peau électronique « , la peau artificielle n’est pas simple à fabriquer. Sa réalisation butait, jusqu’à présent, sur un écueil de taille : l’interconnexion efficace d’un nombre inouï de capteurs. Jusqu’à janvier dernier, les études portaient en effet principalement sur des senseurs autonomes, ce qui engendrait une extrême complexité lors de leur câblage et de la mise en réseau des stimuli  » ressentis « .

Or, il semblerait que des chercheurs de l’Institut Leibniz de Dresde et du laboratoire de Chemnitz, en Allemagne, en collaboration avec le Sekatini Lab d’Osaka, au Japon, aient trouvé la parade à cet obstacle-là, via un système pionnier de  » capteurs magnétiques à matrice active « , c’est-à-dire des senseurs magnétiques flexibles ultraminces. Une peau artificielle qui pourrait dès lors avoir des applications intéressantes, tant en robotique que pour l’amélioration des prothèses, permettant ainsi à une personne amputée d’une main de retrouver le plaisir d’une caresse et la subtilité de sa dextérité disparue. Les experts ont également en ligne de mire les greffes de peau et les implants. Reste à résoudre les problèmes éventuels de rejet ou de non-connexion avec le système nerveux. Ils y travaillent.

Une peau artificielle, pour l'humain... ou la machine
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Aussi sensible que la peau humaine

Bientôt aux oubliettes, la coque froide et dure des téléphones portables ? Un scientifique français y croit, qui développe un autre type de peau artificielle dénommée Skin-On. Ressemblant à l’épiderme humain et dotée de capacités sensorielles étonnantes, elle pourrait être appelée à recouvrir les engins high-tech du futur.  » La peau humaine étant la meilleure interface pour l’interaction, je propose un nouveau paradigme où les appareils interactifs ont leur propre peau artificielle, permettant ainsi de nouvelles formes de gestes de saisie pour les utilisateurs finaux « , explique Marc Teyssier. Ce doctorant à Télécom ParisTech s’est centré sur la transposition de gestes que nous effectuons au quotidien sur notre épiderme. C’est ainsi que, pour contrôler certaines applications, la peau artificielle peut être saisie, tapotée, étirée, pincée ou encore poussée à l’aide d’un doigt, à la manière d’un joystick sur un pavé tactile. Exemple : le volume sonore sera augmenté ou diminué d’une torsion de la peau au dos du téléphone mobile.  » J’essaie de reproduire une couche de détection qui peut suivre les gestes naturels avec une acuité spatiale comparable à la peau humaine « , précise-t-il. Une approche bioinspirée, basée sur les aspects visuels, tactiles et kinesthésiques de la peau humaine. Pour en imiter les déformations, du silicone est ainsi coulé dans un moule conférant une texture semblable à notre épiderme. Même la couleur n’est pas laissée au hasard puisque des pigments beiges concourent au réalisme.

La peau artificielle Skin-On va jusqu’à associer certains gestes à des émotions. Une pression brusque et intense ? L’engin ressent la colère de son utilisateur. Un tapotement nerveux ? Voilà que l’interface communique, via un émoji, l’état émotionnel de l’utilisateur à un correspondant.  » Une fois durcie, la couche supérieure en silicone est positionnée sur une vitre, la texture tournée vers le bas, détaille encore le chercheur. Des fils conducteurs sont alors placés dans une grille perpendiculaire, au-dessus de l’épiderme artificiel, pour former les électrodes.  »

Pour reproduire l’élasticité caractéristique de notre peau, une pellicule de silicone visqueux d’une dizaine de millimètres, évoquant la graisse sous-cutanée, vient parfaire la peau artificielle, sur laquelle seront, enfin, ajoutés de la peinture ou du maquillage. A la fin du processus, le mimétisme est si bluffant qu’il pourrait mettre certains utilisateurs mal à l’aise…

Par Rosanne Mathot et Laetitia Theunis.

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