Très vite, des artistes ont été séduits pas le principe de "pollution transformée en encre". © DR

Une encre noire plus verte

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

D’un noir intense mais non toxique, Ink-air est la première encre fabriquée à partir de gaz d’échappement. Elle fait le bonheur des artistes autant que de nos poumons : pour emplir la cartouche d’un marqueur, la start-up Graviky Labs récolte, pendant quarante-cinq minutes, les émissions d’un moteur de voiture.

Une invention née de l’union entre technologie, écologie et art. L’impulsion initiale remonte à 2012, lorsqu’un étudiant du MIT (Massachusetts Institute of Technology) voyageant en Inde photographie une tache de suie rejetée par un moteur diesel sur un mur blanc. Très vite, Anirudh Sharma entend développer un processus visant à valoriser ce  » noir de carbone  » qui pose un réel problème environnemental et de santé publique alors qu’il constitue l’élément de base de l’encre des stylos et des imprimantes à jet d’encre utilisés quotidiennement partout dans le monde. Pourquoi en fabriquer en brûlant des énergies fossiles, alors que cette poudre très polluante existe déjà ? Il  » suffit  » d’emprisonner les gaz d’échappement, de récupérer la suie qu’ils contiennent, d’en retirer les métaux lourds et les agents cancérogènes et puis d’incorporer à l’ingrédient ainsi obtenu un solvant et un polymère. Résultera du processus une encre fluide et pigmentée, utilisable dans tous les stylos à bille et marqueurs de la planète.

Ainsi naquit Kaalink (de l’hindi  » kâla « ,  » noir « ), un dispositif qui évoque une canette et se pose sur le pot d’échappement d’un véhicule, récupérant 95 % de ses émissions. En 2016, l’ingénieur conclut un partenariat avec le fabricant de bière Tiger Beer. Dans la foulée, le tandem contacte des artistes, aussitôt séduits par le concept de  » pollution transformée en encre  » et, rapidement, les premières fresques murales réalisées à partir d’Ink-air ornent quelques murs de Hong Kong. Suivront New York et Londres.

En janvier dernier, le Smithsonian Design Museum de New York dédiait une expo entière à des oeuvres réalisées avec cette encre magique, tandis qu’une autre se tenait jusqu’au 18 mars dans la station de ski américaine d’Aspen. Jusqu’à présent, la start-up installée en Inde dit avoir récupéré 1,6 milliard de microgrammes de particules grâce à ce dispositif. Nul doute que l’invention fera bientôt des émules au-delà du milieu artistico- publicitaire. L’ingénieur du MIT estime que si les 20 000 taxis londoniens étaient équipés du dispositif, quelque 30 trilliards de litres d’air seraient à l’abri de la pollution, chaque année. Il y a presque un demi-siècle, en 1971, l’inventeur, architecte et designer américain Richard Buckminster, visionnaire et écologiste avant l’heure, déclarait déjà :  » La pollution n’est rien d’autre qu’une ressource que nous ne récoltons pas. Nous lui permettons de se disperser, car nous sommes ignorants de sa valeur.  » Peut-être plus pour longtemps.

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