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Délicieuses mauvaises herbes

On les juge envahissantes et nuisibles. Or, les plantes sauvages sont souvent excellentes pour le corps, le coeur et même l’esprit. Il faut juste apprendre à les connaître, avant de les déguster.

Un article de Cilou De Bruyn

Cela vous surprendra sans doute, mais la plupart des « mauvaises herbes » que vous vous échinez à éliminer de vos parterres sont en réalité tout à fait comestibles. En général plus robustes et plus résistantes aux maladies que leurs cousines cultivées, et ayant poussé spontanément, sans engrais ni pesticides, elles sont en outre gorgées de sels minéraux, d’oligoéléments, de vitamines et d’anti- oxydants : les plantes sauvages sont les meilleurs alicaments qui soient – efficaces, savoureuses et gratuites !

Les plantes et la viande

« Il n’y a pas de plantes sauvages, il n’y a que des plantes dont on ne connaît plus les propriétés », affirme l’ethno- botaniste François Couplan, auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet (1). Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs étaient bien sûr au fait de leurs vertus alimentaires et médicinales. Nous avons arrêté de consommer des herbes et plantes sauvages en deux séquences : il y a 10 000 ans, d’abord, lors du développement de l’agriculture, quand on a commencé à faire pousser des céréales et des légumineuses, provoquant ainsi un accroissement rapide de la population humaine. Toutefois, l’homme a continué à récolter des plantes sauvages pour se nourrir jusqu’à la fin du Moyen Age où, en Occident, les classes sociales supérieures ont voulu se démarquer des pauvres via l’habitat, la langue, l’habillement et l’alimentation.

Signe de richesse

Elles ont alors privilégié la viande, ainsi que les fruits et légumes transformés par l’homme, demandant à être cultivés et entretenus. Manger des haricots verts était un signe ostensible de richesse, puisque cela induisait qu’on avait les moyens de payer quelqu’un pour les cultiver. Si vous prépariez une soupe d’orties, par contre, cela signifiait que vous n’aviez d’autre possibilité que de vous rabattre sur ce qu’offre la nature. Car l’homme se nourrit aussi de symboles : l’agriculture a permis de stocker céréales et semences de légumineuses, de concentrer les populations et d’accumuler les richesses mais elle a aussi contribué à asseoir un certain pouvoir.

Il n’y a pas de plantes sauvages, il n’y a que des plantes dont on ne connaît plus les propriétés.

Le plein de micronutriments

Reste que, dans d’autres parties du monde, la végétation sauvage a toujours fait partie intégrante d’une alimentation  » normale « . Notamment parce qu’elle est nettement meilleure pour la santé que les plantes cultivées que nous consommons habituellement ; leur concentration en micronutriments est bien plus importante. Et pour cause : par essence, elles poussent sur des terrains auxquels elles sont parfaitement adaptées, sans même être arrosées. Elles ne sont donc gorgées ni de nutriments azotés, ni de pesticides et puisent dans le sol exactement ce dont elles ont besoin pour se développer. Leurs vertus n’en sont que plus concentrées. D’autre part, ces espèces n’ont pas subi la main de l’homme qui, lorsqu’il a commencé à les cultiver, en a modifié le génome, via la sélection naturelle ou l’hybridation, diminuant ainsi leur teneur en nutriments.

Autre atout des plantes sauvages : leur grande diversité. On compte en effet pas moins de 300 000 espèces à travers le monde, dont une très grande partie est comestible. En Europe, on a recensé plus de 1 600 variétés différentes, contre une trentaine seulement de légumes et de fruits couramment cultivés.  » En Belgique, 95 % de la flore est comestible ! Mais seule une cinquantaine de plantes apportent une valeur ajoutée en cuisine. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne faut pas aller en forêt pour trouver les espèces les plus intéressantes. La plupart sont disséminées dans nos espaces ouverts, ou aux bords des chemins « , dit Joffrey Chalon, de l’asbl Cuisine Sauvage, à Namur.

Ne prélevez que ce que vous allez consommer.
Ne prélevez que ce que vous allez consommer.© GETTY IMAGES

Sans les plantes, nous n’existerions pas

Elles nous fournissent notre pitance – directement ou en alimentant le bétail -, nous permettent de respirer, de nous chauffer, de nous vêtir, de nous abriter, de nous soigner ou encore d’embellir notre cadre de vie mais elles ne sont pas seulement là pour nous rendre service : les plantes sauvages sont des êtres vivants, avec lesquelles on peut développer une véritable  » relation « . Pour ce faire, on commencera par les observer attentivement, avant de les toucher, les sentir, les goûter, presque les écouter. Bref, on prendra véritablement contact avec elles, par tous nos sens, pour ressentir cette nature qui peut s’exprimer avec exubérance, même au coeur des villes.

Grâce à la cueillette, la nature devient bien plus qu’une notion abstraite.

Grâce à la cueillette, la nature devient bien plus qu’une notion abstraite, et l’on se décidera peut-être enfin à la protéger.  » Consommer des plantes sauvages développe une certaine forme de compréhension du monde, avance François Couplan. Si on ne les mange plus, c’est parce que la société a séparé le sauvage du cultivé, le végétal de l’animal et que tout ce qui est transformé par le génie humain est considéré comme supérieur au reste. Mais on a tout faux. Il est important de développer un rapport avec ces plantes sauvages, qui sont si loin de nous, et de les consommer. Elles nous apprennent les lois du vivant.  » Sources de vie, les plantes qui nous entourent sont également source de plaisirs et d’enseignements infinis.

(1) Guide des plantes comestibles et toxiques, par François Couplan, illustrations Eva Styner, éd. Delachaux et Niestlé, 416 p.

La cueillette, en pratique

Les règles d’or

Observez, sentez, touchez. Apprenez, patiemment. Ne prélevez que ce que vous allez consommer et laissez derrière vous les trois quarts du volume végétal dans lequel vous avez puisé. Dans le doute, abstenez-vous. N’arrachez pas les plantes. Evitez les endroits pollués.

Attention, toxique !

C’est pour assurer leur défense que certaines plantes sécrètent des poisons mais, dans nos contrées, seuls 4 % de la flore seraient dangereux : berce géante, bois-joli, cytise faux-ébénier, digitale pourpre, étoile de Noël, euphorbes, glycine, gui, houx, if, laurier rose, muguet, narcisse, primevère, rhododendron… En cas d’intoxication, appelez gratuitement le centre antipoison : 070 245 245.

Les formations fleurissent

– Pour apprendre, en ligne, à cueillir, manger, se soigner par les plantes sauvages : lechemindelanature.com

– Des recettes, des balades guidées, des ateliers cuisine : cuisinesauvage.org

– Le cercle des naturalistes de Belgique a mis en place différentes formations, en deux temps : théorique d’abord, puis de terrain. Toutes sont orientées vers l’acquisition du bagage indispensable pour se lancer dans la cueillette sauvage mais entendent également sensibiliser le grand public au respect de la nature et de l’environnement. Info : cercle-naturalistes.be

– L’asbl Natagora, reconnue comme institution scientifique au niveau fédéral, propose diverses formules pour se rapprocher de la nature : apprentissages, découverte de la faune et de la flore, événements divers, etc. : natagora.be

– Pour les amateurs de balades nature, d’herboristerie ou de cuisine sauvage : lesjardinsdanaise.be

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