Pour Philippe d'Ornano, il est essentiel de produire en Europe et d'y conserver nos savoir-faire. © OLEG COVIAN

Contre la peur: la relation humaine

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Société familiale française spécialisée dans les produits de beauté et les parfums haut de gamme, Sisley affronte la crise du coronavirus dans un esprit de solidarité. Avec le personnel soignant mais aussi ses collaborateurs, ses fournisseurs et son environnement économique. Son PDG Philippe d’Ornano a le regard tourné vers un autre futur possible.

Entreprise internationale implantée dans une centaine de pays, comment Sisley a-t-elle été impactée par la crise ?

Nous sommes une entreprise internationale dont l’essentiel des produits est fabriqué en France, d’où nous exportons dans le monde entier via une trentaine de filiales. Nous sommes d’ailleurs présents à Wuhan comme dans le reste de la Chine… Si nous n’y produisons pas, nous y employons un millier de personnes pour distribuer nos produits. Nous avons donc été aux premières loges pour assister au développement de l’épidémie, d’abord en Asie puis en Europe et dans le reste du monde. Cela nous a aidés à mettre en place les meilleures pratiques pour protéger nos équipes. Nous avons cependant été fort touchés, comme beaucoup d’autres, par les fermetures des commerces et les mesures de confinement, qui nous ont privés de notre principal débouché. L’impact économique est important : notre chiffre d’affaires d’avril est en baisse de 35 %. Comme beaucoup d’autres entreprises, nous traversons une situation délicate.

Comment vous êtes-vous adaptés à la situation ?

Dans ces moments, chacun doit se poser la question : comment être utile ? Sisley peut contribuer de deux manières : protéger nos équipes et continuer à faire tourner l’économie. Les deux sont importants. La bonne santé de l’économie soutient la politique de santé, mais aussi les plus pauvres, elle est le garant d’une société qui avance. Nous avons maintenu les emplois et assuré les salaires de nos équipes dans le monde entier. C’est à la fois un raisonnement humain, car nous sommes une entreprise familiale et soudée, et une bonne décision économique parce que, quand l’activité repartira, nos collaborateurs pourront redémarrer efficacement. Nous avons aussi suivi les recommandations sanitaires et diminué drastiquement nos interactions en recourant massivement au télétravail lorsque c’était possible… Mais nous n’avons pas fermé nos sites de production pour ne pas mettre nos fournisseurs en difficulté. Nous avons au contraire essayé de soutenir notre environnement économique en payant nos factures avec ponctualité, en maintenant nos sites ouverts pour garantir une certaine visibilité sur nos commandes. Nous avons cherché à préserver notre tissu économique.

Ce que je trouve beau dans ces moments critiques, ce sont les gens qui se révèlent et font des choses formidables, chacun à sa mesure.

Sisley s’est très vite montrée solidaire avec le monde médical, de quelle façon ?

Nous n’avons été qu’un maillon dans la remarquable chaîne de solidarité qui s’est déployée dans toute l’Europe, impliquant aussi bien des entreprises que des particuliers. Ce que je trouve beau dans ces moments critiques, ce sont les gens qui se révèlent et font des choses formidables, chacun à sa mesure. En tant que fabricant de cosmétiques, il nous était facile de produire du gel hydroalcoolique. Nous l’avons distribué gratuitement en essayant de soutenir localement ceux qui étaient parfois les oubliés de l’approvisionnement. Les hôpitaux et le Samu bien sûr, mais aussi les maisons de retraite, les pompiers, les forces de police, les municipalités, les assistantes à domicile… Nous avons aussi donné près de 150 000 masques prélevés dans notre stock de sécurité en France et dans d’autres pays, dont la Belgique, et financé la fabrication de deux millions de masques en tissu réutilisables par des ateliers solidaires. Enfin, nous avons répondu à la demande de crèmes pour les mains et le visage abîmés en distribuant près de 300 000 doses uniques ainsi que des testeurs dans les hôpitaux. Notre fondation a également intensifié son engagement dans le domaine de la santé mentale, alors que le confinement a multiplié les problèmes et pathologies en la matière. Nous avons notamment financé un numéro vert de la Croix- Rouge destiné aux personnes qui souffrent du confinement.

Cette crise doit-elle nous inciter à remettre en cause la mondialisation ?

Cette situation fait écho aux combats que mène le Meti en France, le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire, dont je suis le coprésident. Le premier vise la préservation de nos savoir-faire industriels sur nos territoires. Cette crise montre à quel point nous en avons perdu beaucoup. Ce n’est pas une fatalité, comme le démontrent d’autres pays européens comme l’Allemagne. Il ne s’agit pas de lancer des grands plans de réindustrialisation mais de créer un écosystème qui permette de conserver notre industrie et d’en favoriser le développement. Ces savoir-faire constituent notre richesse et si on les abandonne, on voit à quel point ils nous manquent dans ce genre de crise. Cela ne remet pas en cause la mondialisation ni le partage des tâches, qui ont permis à beaucoup de pays de se développer. Mais il faudra être attentif à ne pas rendre impossible, par une fiscalité disproportionnée, notamment sur la production, le maintien d’une activité industrielle, de création et d’innovation dans les pays européens. Le deuxième élément, c’est la nécessité de promouvoir un capitalisme de long terme, bâtisseur. Si l’Europe veut être forte, elle doit s’appuyer sur un plus grand nombre d’entre- prises moyennes et grandes comme la nôtre, capables de faire face aux crises, de se développer à l’international et d’investir. Il faut créer un environnement où l’on peut être compétitif et réussir en produisant en Europe. C’est le seul moyen de conserver des savoir-faire, de maintenir de l’emploi industriel dans les territoires et d’entraîner ainsi une riche activité économique indirecte, notamment dans les services. La mondialisation n’empêche pas de créer des conditions favorables au maintien d’une partie de la production en Europe, plus spécialisée, qualitative.

Que voudriez-vous voir changer, en tant que chef d’entreprise, après la crise ?

Le fonctionnement mis en place pendant la crise nous amènera peut-être à modifier certains modes de travail. Mais je préfère répondre à votre question en défendant plutôt la valeur qu’est le contact humain, endommagée par le confinement. La distanciation sociale prônée pour des raisons sanitaires est un horrible concept. Il est fondamental au contraire de casser les ponts, de briser les silos, d’abattre les murs entre les personnes. Beaucoup de nos problèmes viennent du cloisonnement de nos sociétés européennes, où l’on ne se parle pas, où l’on ne se sent pas responsable les uns des autres, où l’on ne cherche ni à se comprendre ni à travailler ensemble. Tout ce qui permettra de renforcer les contacts, les collaborations entre le public et le privé, l’entreprise, les associations, les écoles, les artistes… et donnera la possibilité de mieux se connaître et se comprendre ira dans le bon sens. Contre la peur, il faudra défendre la richesse de la relation humaine après le confinement. Comme nous l’avons toujours fait dans notre métier avec des équipes très professionnelles, passionnées et engagées sur le terrain, entre elles, avec nos clients et dans les parfumeries.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire