Le tourisme est revenu à Medellin où les jeunes guides sont fiers de montrer son nouveau visage. © SARAH NABLI

Comment Medellin, « la ville la plus violente du monde », a connu sa résilience

Le Vif

La deuxième ville de Colombie n’en finit pas de fasciner. De plus violente du monde, elle est devenue  » la plus innovante  » pour le Wall Street Journal. Elle a su renaître de ses cendres, s’émanciper de son passé et construire une nouvelle cité à l’image de ses habitants : chaleureuse, dynamique et résiliente.

Sur la terrasse de son balcon, Ana Maria Palacio, 71 ans, regarde la marée de touristes arpenter la rue cinq mètres plus bas. Ce va-et-vient d’appareils photos, de casquettes, de guides flanqués de micros et pancartes, de glaces, de rires, de langues du monde entier… Un melting-pot bruyant, dont elle ne se lasse pas.  » Je passe parfois des heures à les regarder, à les saluer et à sourire. Je dois avoir été prise en photo des centaines de fois. Je suis toujours aussi surprise.  » Ana Maria Palacio a toujours vécu à la Comuna 13, un quartier en pente niché sur les collines à l’ouest de Medellin. Il y a encore huit ans, rien que l’évocation du nom de ce barrio faisait trembler plus d’un Colombien. Entre cartels de drogue, groupes paramilitaires, guérilleros des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie), guerres de gangs pour le contrôle de cette zone stratégique pour les trafics d’armes et de cocaïne, le quartier avait gagné l’une des pires réputations du pays. Et du monde.

Tatiana et Christophe Meuser ont lancé leur marque de prêt-à-porter il y a plus de deux ans à Medellin.
Tatiana et Christophe Meuser ont lancé leur marque de prêt-à-porter il y a plus de deux ans à Medellin.© SARAH NABLI

Ana Maria Palacio a connu tout ça. Les nuits d’angoisse pour ses quatre enfants marquent son visage. Ses yeux bruns se plissent à l’évocation de ses années sombres, mais elle ne veut pas remuer le passé. Le défilé du changement qui se joue sous ses fenêtres, c’est l’image qu’elle veut garder.  » Jamais je n’aurais imaginé que notre quartier deviendrait touristique, qu’on viendrait du monde entier pour découvrir nos murs et nos ruelles, qu’on aurait tout simplement la paix.  » La renaissance de la Comuna 13 a commencé en 2009 avec la reprise en main de la ville et la construction de 384 mètres d’escalators urbains.  » Il fallait trouver une solution durable et facile à installer, compte tenu de la topographie montagneuse, nous avons opté pour les escalators pour un coût de trois millions d’euros « , explique César Hernández Correa, le directeur de l’entreprise de développement urbain affiliée à la municipalité. Les travaux ont lieu sous la protection des militaires mais sont à plusieurs reprises interrompus par des affrontements entre les bandes criminelles.  » Pour la plupart, les habitants ne savaient même pas ce qu’étaient des escalators, ils ne sortaient pas de leur quartier en hauteur. Maintenant, 1 500 personnes les empruntent chaque jour depuis leur mise en service en 2012, c’est une fierté pour les habitants « , sourit le directeur.

La Comuna 13, un exemple de transformation urbaine et de renaissance grâce aux 384 mètres d'escalators qui relient les quartiers.
La Comuna 13, un exemple de transformation urbaine et de renaissance grâce aux 384 mètres d’escalators qui relient les quartiers.© SARAH NABLI

La mobilité et l’art au service de la paix

Autour des escaliers mécaniques, 900 maisons ont été repeintes, de toutes les couleurs. La Ville a aussi proposé aux artistes locaux de s’approprier les murs environnants avec des fresques, des portraits, des graffitis acidulés. Depuis bientôt six ans, Dairo Andres et son association de quartier La Casa Kolacho prennent ainsi les pinceaux avec les enfants. Ils proposent aussi des Graffitis Tours aux touristes qui veulent découvrir une autre réalité de la cité.  » Au départ, nous étions les seuls à proposer ce circuit ; maintenant, il doit y en avoir une dizaine ! Des centaines de touristes envahissent la Comuna chaque week-end !  »

Ce choix de transport audacieux n’est que l’un des nombreux exemples de la politique de désenclavement des quartiers dangereux de Medellin. Depuis les années 2000, les différentes gouvernances ont eu à coeur de développer ces barrios, gangrenés par la violence, grâce à la mobilité et à la rénovation urbaine. Avant les escalators, la ville avait lancé le Metrocable en 2004, un service de transport public par télécabines qui relie le métro (ouvert en 1995) et les quartiers de Santo Domingo sur les hauteurs. Une première mondiale alors que les télé- cabines étaient plutôt réservées aux stations de sports d’hiver ou au tourisme. Construite par l’entreprise française Poma, cette première ligne rencontra un succès inespéré dès ses débuts. Trois autres lignes sont aujourd’hui en service et deux sont en construction.

Alors que plus de 6,5 millions de touristes étrangers ont visité la Colombie en 2017, le chiffre le plus élevé dans l’histoire du pays, selon l’ex-ministre du Tourisme, Maria Lorena Gutierrez, Medellin exerce une puissante attraction sur les étrangers : elle est, depuis quatre ans, l’une des premières destinations touristiques d’Amérique du Sud. Et l’an dernier, le magazine britannique Time Out a classé le Nueva Villa de Aburra troisième dans son classement des  » 50 quartiers les plus cool dans le monde « . Parmi ses fans, Thomas Mamakis, 28 ans, a été stoppé net dans son élan de tour du monde !  » Je devais rester trois semaines et je suis toujours là. En un mois, j’ai trouvé un appartement et un travail.  » Le diplômé en science-po de l’ULB voulait voir de plus près l’impact sur la société colombienne des accords de paix avec les rebelles des Farc signé en novembre 2016.  » Medellin n’a rien à envier à Bruxelles au niveau de l’urbanisme. La vie culturelle m’a aussi surpris. Il y a plein d’initiatives dans tous les domaines. On a la sensation d’être à un moment clé de l’histoire d’un pays et c’est une expérience unique. Il y a une envie, une dynamique des Colombiens qui est contagieuse « , conclut-il sur la terrasse d’un café à Poblado, le quartier branché au sud de la ville.

La Bruxelloise Christine Meert travaille depuis trente ans avec des enfants défavorisés des quartiers pauvres de Medellin.
La Bruxelloise Christine Meert travaille depuis trente ans avec des enfants défavorisés des quartiers pauvres de Medellin.© SARAH NABLI

L’eldorado des entrepreneurs

Medellin poursuit sa métamorphose avec une forte politique d’investissements pour moderniser ses infrastructures. Après avoir installé le wi-fi dans tous les lieux publics, elle a misé sur la culture en construisant des musées comme le Mamm (musée d’art moderne inauguré en 2015) ou le musée de la Mémoire (2013) qui revient sur les années tragiques de violence.  » Il lui restait à développer son économie et naturellement la ville s’est tournée vers le numérique et les start-up. Pour attirer investisseurs et entrepreneurs du monde entier, elle a construit un immense centre d’affaires écoresponsable dédié à l’innovation en 2010 : Ruta N « , explique son directeur, Alejandro Franco. Au coeur de Medellin, les deux bâtiments certifiés LEED (à haute qualité environnementale) aux façades de verre et végétales proposent des centaines de bureaux en location, un centre de convention et des salles de repos comme dans n’importe quelle start-up.

Medellin est aussi connue dans toute l’Amérique latine pour être la ville du textile et de la mode depuis les années 1950. C’est tout naturellement que Christophe Meuser, un Belge de 40 ans, et sa femme, Tatiana, styliste, sont venus tenter l’aventure il y a plus de deux ans et lancer leur marque de vêtements de prêt-à-porter, Tiana Rincon.  » Nous participons à des événements et montrons les créations de Tatiana, ensuite nous fonctionnons par commande « , explique Christophe, en charge de la partie administrative. La main-d’oeuvre est de qualité et bon marché. Le couple envisage même des exportations à Bruxelles ! Christophe Meuser est tombé sous le charme de Medellin pour sa propreté et sa nature luxuriante.  » Le confort d’une ville européenne et le dépaysement d’être à l’étranger, tout en profitant d’une ville dynamique pour la mode avec de nombreux forums.  »

Dans le quartier huppé de Laureles, à côté de grandes chaînes de restaurants, l’odeur sucrée de gaufres belges enchante les Colombiens. Monsieur Waffle serait presque l’office de tourisme belge à Medellin tant il met en avant la culture et les symboles du plat pays à commencer par le Manneken Pis sur le comptoir ! Le créateur, Sebastien Jacques, 37 ans, est d’abord tombé amoureux d’une Colombienne à Bruxelles, il y a dix ans. Deux enfants plus tard et l’envie de changer de vie, toute la famille s’installe à Medellin en 2012. Cet ancien consultant en développement durable pour une grande entreprise est séduit par la gentillesse des habitants et la qualité de vie. Mais il n’en oublie pas pour autant les bonnes gaufres de sa grand-mère et se dit que ça pourrait plaire aux Colombiens.  » J’ai monté un stand de gaufres lors d’un événement et j’ai eu du succès. Quelques mois plus tard, on ouvrait notre premier établissement dans un centre commercial. Maintenant, nous en avons quatre !  »

Des artistes de street-art du monde entier ont contribué au renouveau des quartiers.
Des artistes de street-art du monde entier ont contribué au renouveau des quartiers.© SARAH NABLI

A l’écoute des laissés- pour-compte

Medellin change mais elle reste marquée par les disparités sociales dans l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Pauvreté, exclusion, violence… Les enfants sont souvent livrés à eux-mêmes dans les quartiers populaires et périphériques de la ville. Originaire de Bruxelles, Christine Meert, 58 ans, en a fait son combat depuis trente ans en travaillant avec des institutions de protection de l’enfance. En 2010, elle crée son association Proyectarte. Sa mission : transformer leur vie à travers l’art, le théâtre, des ateliers de dessin et de peinture. Aujourd’hui, vingt-trois personnes travaillent avec elle sur une dizaine de projets, Christine est constamment en train de monter des dossiers pour trouver des financements.  » Pendant plusieurs années, j’aidais les enfants à aller à l’école, la plupart étaient en situation d’abandon, traînaient dans les rues, prenaient de la drogue. J’ai découvert qu’avec des activités artistiques, ils arrivaient à se canaliser. L’art leur permettait d’accéder à une partie d’eux-mêmes encore intacte. Certains m’ont confié que ça avait sauvé leur vie, quelques années après.  »

A Medellin, la Bruxelloise avoue avoir trouvé un sens à sa vie. Elle a vu la ville évoluer, mais loin des sentiers battus et des vitrines mis en avant par la municipalité.  » Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour offrir des conditions de vie dignes à certaines personnes. Il y a des secteurs complètement abandonnés sans eau ni électricité. Medellin n’a pas changé pour tout le monde, elle reste très violente.  » Renaître de ses cendres et prendre son envol n’empêche pas d’y laisser encore des plumes.

Par Sarah Nabli.

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