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Chewing-gums: la semelle chique

Laetitia Theunis Journaliste

A Amsterdam, on parie sur l’innovation positive pour enrayer le fléau urbain et casse-tête des services de nettoyage que sont les chewing-gums jetés à terre. La Ville a eu l’idée de créer la première chaussure de sport au monde dotée d’une semelle en gomme à mâcher usagée. Voici la GumShoe.

Une étrange sensation sous la semelle. Un chewing-gum jeté à terre par un chiqueur peu regardant vous relie désormais au sol par de longs fils peu ragoûtants. Ecoeuré, vous promenez votre regard sur le trottoir. Comme tant d’autres, il est maculé de taches. Rien à voir avec la structure du matériau et encore moins avec une oeuvre de street art. Juste de vieux chewing-gums incrustés dans le sol. Ils mettront plus de vingt ans à se décomposer. En battant le pavé sur la durée.

Saturée par les millions de chewing-gums qui collent ses rues et trottoirs, la Ville d’Amsterdam a pris le taureau par les cornes. Comment transformer ce déchet en quelque chose d’utile ? Ses édiles ont eu l’idée de recycler les gommes à mâcher en semelles pour chaussures de sport. Clin d’oeil créatif aux souillures de chaussures qui en deviennent l’un des composants, la GumShoe est née sur les bords de l’Amstel.

Loin de se contenter de sensibiliser les habitants de façon originale à la problématique des chiclettes abandonnées à même le sol, ce projet les intègre à la solution.  » GumShoe, c’est une expérience positive qui surprend et inspire les citoyens d’Amsterdam. En plus de les conscientiser, le projet crée de la sympathie et une motivation intrinsèque pour résoudre le problème du chewing-gum. De cette façon, nous avons beaucoup plus d’impact qu’avec des interdictions « , explique dans un communiqué Mischa Schreuder, directeur de la création chez Publicis One.

Pour mener ce projet à bien, l’agence chargée de la promotion de la ville d’Amsterdam s’est associée au cabinet de design Explicit Wear et à Gumdrop, une start-up britannique spécialiste du recyclage des chewing-gums. Au départ de ces déchets, Gum-Tec, un matériau résistant spécifique, a été mis au point sous forme de granulés. Ces derniers sont ensuite moulés en semelles, faisant des GumShoes les premières chaussures de sport au monde dont la semelle est composée à 30 % de chewing-gum recyclés (le matériau est trop mou pour être utilisé seul).  » Les défis de la pollution sont aussi un moteur d’innovation « , affirme Marijn Bosman, l’élue en charge de l’environnement à la tête de ce projet.

le projet crée une motivation intrinsèque pour résoudre le problème du chewing-gum.

Une équipe de nettoyage spécialisée s’est chargée d’ôter tous les chewing-gums sauvages d’Amsterdam. Il en faut environ 500 grammes pour fabriquer les semelles d’une paire de GumShoes. A l’avenir, la Ville espère un comportement plus civique de ses citoyens. De nombreuses petites poubelles rose vif sont désormais suspendues aux lampadaires. Elles-mêmes fabriquées par Gumdrop à partir de gomme recyclée, elles ont pour vocation d’être le réceptacle des chewing-gums usagés.  » Continuez à mâcher jusqu’à ce que vous soyez à portée de cette poubelle  » : le message imprimé est on ne peut plus clair.

Juste derrière les mégots

Les semelles de GumShoes sont originales à plus d’un titre. Leur composition, bien sûr, leur couleur rose vif, mais aussi le plan de la ville moulé dans le matériau. Le reste de la chaussure est en cuir de la même couleur. Et pour ceux qui ne veulent pas avoir l’impression de porter des Malabar aux pieds, elles existent aussi en noir. Alors qu’elles sont en vente depuis juin 2018 au prix de 190 euros, leurs concepteurs réfléchissent à un système permettant aux clients de faire remplacer les semelles qui seraient alors recyclées.

Ils souhaitent également étendre le projet à d’autres villes. Chaque année, aux Pays-Bas, pas moins de 1 500 tonnes de chewing-gum sont jetées à terre. Soit plus de quatre tonnes chaque jour ! Au niveau mondial, les chewings-gums se hissent sur la deuxième marche des déchets urbains les plus communs, juste derrière les mégots sauvages. Selon Andrew Nisker, réalisateur du documentaire Dark Side of the Chew sorti en 2015, en mettant l’un à la suite de l’autre les chewing-gums abandonnés à même le sol chaque année dans le monde, on obtiendrait une ribambelle tellement longue qu’elle pourrait aller jusque… la planète Mars.

Les GumShoes existent en rose vif mais aussi en noir,
Les GumShoes existent en rose vif mais aussi en noir,  » pour ne pas avoir l’impression de porter des Malabar aux pieds « .© dr

En Belgique aussi, les chewing-gums sont un fléau environnemental. Sept Belges sur dix en consomment et une majorité d’entre eux les jettent par terre. Si leur prix d’achat avoisine les cinq centimes, mentionne Julie Frère, porte-parole de Test Achats, il faut débourser trois fois plus pour nettoyer les trottoirs municipaux. Notamment en ayant recours à des jets d’eau à forte pression qui réduisent les chewing-gums collés en miettes, lesquelles rejoignent les égouts et les estomacs des animaux aquatiques. Le gouvernement bruxellois envisage de réclamer une participation financière aux fabricants de chewing-gums afin de les faire participer à la lutte contre cette pollution. Et de produire des GumShoes made in Belgium ? L’avenir le dira.

En Belgique aussi, les chewing-gums sont un fléau environnemental.

Dérivé du pétrole…

Mastiquer, une dérive de l’homme moderne ? Que nenni. Outre apporter une certaine décontraction, l’action a aussi le mérite de calmer la faim et de nettoyer les dents. C’est ainsi qu’au Néolithique déjà, nos ancêtres mâchonnaient une gomme à base de sève de bouleau. Durant l’Antiquité, les Grecs mâchaient la sève du pistachier lentisque tandis que les Chinois jetaient leur dévolu sur les racines de ginseng. Jusqu’à la fin du xixe siècle, les chewing-gums étaient biodégradables car faits d’ingrédients 100 % naturels, un mélange de chiclé – latex issu du sapotillier -, de résine et de sirop.

Après s’être répandus comme une traînée de poudre aux Etats-Unis, ils se sont imposés dans la besace des soldats américains et ont envahi l’Europe à l’occasion de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement lors du Débarquement. Production massive oblige pour répondre à la demande, le chiclé a été remplacé par une gomme synthétique développée par l’industrie pétrochimique. C’est ainsi que le chewing-gum contemporain est un polymère raffiné dérivé du pétrole qui est notamment employé dans la fabrication de… pneus. Bon appétit !

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