Thierry Fiorilli

C’est beau comme un surfeur noir, par Thierry Fiorilli (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Dans l’histoire, on fait comme si certains avaient toujours tout inventé, tout réussi parce qu’ils seraient meilleurs, plus malins et plus doués que les autres.

Des fois, on dit Selema Masekela, d’autres Sal Masekela. En vrai, c’est Selema Sal Mabena Masekela. Né à Los Angeles, il y aura cinquante ans. Fils de Hugh Masekela, légende sud-africaine disparue en 2018: trompettiste (entre autres) de jazz, choyé par Harry Belafonte, Miles Davis et Dizzie Gillespie, marié un moment à Miriam Makeba, ayant accompagné Paul Simon, Bob Marley et les Byrds et militant antiapartheid. L’un des morceaux, Bring Him Back Home, fut l’un des hymnes pour la libération de Nelson Mandela. Selema, lui, a mille fers au feu: commentateur sportif, chroniqueur dans un talk-show, producteur (télé, ciné, pub, clips), musicien, entrepreneur (il a sa marque de vêtements) et moteur de plusieurs projets sociaux, aux Etats-Unis et en Afrique du Sud.

Dans l’histoire, on fait comme si certains avaient toujours tout inventu0026#xE9;, tout ru0026#xE9;ussi parce qu’ils seraient meilleurs, plus malins et plus douu0026#xE9;s que les autres.

Passionné de surf, aussi. Et, les chiens ne font pas des chats, activiste de la cause noire. Début juin dernier, quelques jours après la mise à mort à Minneapolis de George Floyd par un policier blanc, il prend la parole à Encinitas, en Californie, devant 500 surfeurs, Blancs et Noirs confondus, réunis à Moonlight Beach en hommage à Floyd: « Cette semaine fut la plus difficile de ma vie. La plus difficile à vivre dans ma peau et ma noirceur. Comme pour les gens de couleur. Mais nous, surfeurs de couleur, avons tous expérimenté des difficultés au sein même de cette communauté. Nous allons maintenant prendre les huit minutes et quarante-six secondes dont George Floyd a fait l’expérience dans ce lynchage brutal que nous avons regardé à la télévision. Nous allons prendre ces huit minutes complètes en silence, puis nous allons ramer et honorer sa vie. » Dans les flots. Où l’écume et les larmes se mêlent.

Ces flots traversent Afro Surf, à paraître cet été, édité par Selema Masekela et Mami Wata, la marque sud-africaine dédiée au surf et qui tire son nom de celui de la déesse mère des eaux, célébrée dans plusieurs régions d’ Afrique. Le livre dévoile la relation fusionnelle du continent avec la mer et son émergence dans un milieu aux allures de cercle très privé. « White only. » Allégorie de l’histoire où, assène Sal aux revues spécialisées, on fait comme si certains avaient toujours tout inventé, tout réussi parce qu’ils seraient meilleurs, plus malins et plus doués que les autres. Or, démontre Afro Surf – sur 300 pages et 200 photos, du Liberia au Maroc, de Pointe-Noire à Mogadiscio, des plages d’ Angola aux rouleaux malgaches – le surf est né au Ghana et on doit cesser de représenter sa culture et sa communauté par des blonds aux yeux bleus. Magistrale entreprise de démystifications, de réhabilitations, de bris de carcans. Avec, au bout, « la question [qui] n’est donc pas de savoir si la vague africaine va déferler, mais plutôt quand« . Référence au sport de prédilection de Masekela. Mais pas que: « Il en est de même en art, en musique et dans la vie en général: l’absence de structures dogmatiques – réelles ou perçues – qui te dictent ce qui est juste ou non, a toujours été propice à l’émergence de bouleversements culturels. »

Sal, c’est l’horizon sur l’océan.

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