Yalla les coeurs !

2002 meilleur que 2001 ? La petite soeur des chiffonniers du Caire porte un regard lucide mais toujours plein d’espoir sur le monde actuel. Rencontre

La nonantaine encore fringante, l’oeil rieur, la voix haut perchée, soeur Emmanuelle ne peut s’empêcher de répandre la bonne parole. Elle le fera sans doute jusqu’à son dernier souffle. Dans son nouveau livre Richesse de la pauvreté (Flammarion), elle fait part de ses réflexions et de ses interrogations sur la misère, ou plutôt sur les misères – matérielle, sociale, morale – des hommes. A travers son expérience de la détresse humaine, la religieuse parvient à susciter un certain enthousiasme, sans se départir évidemment de son tutoiement spontané et de son légendaire yalla ! (« en avant ! », en arabe).

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Le Vif/L’Express: Après les attentats terroristes aux Etats-Unis, que diriez-vous à tous les fanatiques, quelle que soit la religion dont ils se réclament ?

Soeur Emmanuelle: Je ne leur dirais pas grand-chose. Car, lorsqu’un homme est devenu véritablement fanatique, il entend difficilement un autre langage. Il s’accroche à son idéal et rien d’autre ne compte pour lui. La seule manière de lutter efficacement contre le fanatisme est de donner aux enfants des messages d’amour et de tolérance, pour éviter qu’ils se laissent tenter, plus tard, par d’autres langages.

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Dans les pays musulmans où vous avez oeuvré et oeuvrez toujours, la cohabitation entre différentes religions est-elle possible ?

Tout à fait ! Chrétiens et musulmans, par exemple, peuvent très bien vivre ensemble. L’islam n’est pas a priori une religion de fanatiques. S’il y a des extrémistes, c’est une minorité, malheureusement très active et qui dispose de beaucoup de moyens. Avec de l’argent, il est facile de fabriquer des terroristes ou des kamikazes et de leur mettre dans la tête que ce qu’ils font, ils le font pour Dieu.

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On dit souvent que le terrorisme est l’arme du pauvre…

C’est vrai. Quand tu as tout juste de quoi manger et que tu vois, à côté de toi, des gens qui dépensent en un jour ce qui serait nécessaire pour ta famille pendant un mois, comment veux-tu ne pas ressentir de l’amertume ? Ceux qui s’enrichissent égoïstement, en écrasant les autres, finissent toujours par en subir, un jour ou l’autre, le contrecoup. Nous sommes tous responsables de la misère.

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Quel regard portez-vous sur les mouvements qui réclament une autre mondialisation ?

Excepté les débordements violents que je réprouve totalement, j’aime ces mouvements de contestation. Il y a du vrai dans leur discours. Et je leur conseille de s’attaquer aux causes des inégalités qu’ils dénoncent, notamment au prix des matières premières que le Sud exporte vers le Nord. Pourquoi aider l’Egypte, par exemple, alors que ce pays est connu pour avoir le meilleur coton du monde ? Si le fellah gagne à peine de quoi vivre dans une cabane sans eau et sans électricité, c’est parce qu’on oblige l’Egypte à vendre son coton à bas prix. Or nous portons tous – moi la première – des vêtements en coton. C’est terriblement injuste, non ?

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On a beaucoup parlé des femmes afghanes. Avez-vous l’impression que, d’une manière générale, la condition des femmes évolue ?

Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, mais je constate tout de même certains progrès. Quand je suis arrivée dans les bidonvilles du Caire, on mariait les petites filles dès l’âge de 12 ans, pour avoir la dot. Aujourd’hui, elles vont à l’école et, même parfois, à l’université.

Vous êtes catholique. Comment interprétez-vous la désaffection des gens pour l’Eglise ?

Dans ma jeunesse, les églises étaient pleines à craquer parce que c’était l’usage. Mais on n’y priait pas beaucoup. Aujourd’hui, c’est le contraire, me semble-t-il. C’est vrai que le nombre de prêtres diminue, mais celui des laïcs qui s’investissent dans la foi augmente. Je suis également frappée par l’engagement des jeunes. Chaque année, je suis invitée à parrainer une moniale, en France, au sein de la Communauté de l’Emmanuel, avec 5 000 à 7 000 jeunes, très enthousiastes, qui m’accueillent toujours bruyamment. Je pense qu’ils applaudissent mon vieil âge. Tu ne crois pas ?

Entretien: Cécile De Wandeleer

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