» Washington a perdu du temps « 

Dans un implacable livre-enquête*, le correspondant en chef du New York Times à la Maison-Blanche, David E. Sanger, revient sur les années Bush. Les choix de l’époque en politique étrangère hantent toujours l’administration américaine.

La présidence de George W. Bush a souvent semblé dominée par l’idéologie, néoconservatrice en particulier. Pourtant, à la lecture de votre livre, riche en scoops et en confidences, on est frappé par le caractère hésitant du chef de l’Etat. Cette absence de leadership a-t-elle été, au fond, le c£ur du problème ?

Avant les attentats du 11 Septembre, l’approche de Bush semblait très pragmatique ; il se disait partisan d’une politique étrangère  » humble « . Après les attaques d’Al-Qaeda, en revanche, lui et son vice-président, Dick Cheney, ont partagé une vision très idéologique du monde. Ils ont vraiment cru, par exemple, que l’aventure irakienne durerait entre six mois et un an. Quand cela s’est révélé plus compliqué, les idéologues de l’équipe – tel Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la Défense – se sont désintéressés du problème. Cette approche dogmatique nous a fait perdre des occasions en or.

Dans quels domaines ?

Avec l’Iran, surtout. Dans les premiers mois de 2002, après l’invasion de l’Afghanistan et le renversement du régime taliban, le régime de Téhéran était bien disposé à l’égard des Etats-Unis. Mais l’équipe Bush n’a jamais donné suite aux tentatives de dialogue. Sur la question nord-coréenne, aussi, nous avons perdu beaucoup de temps : persuadés que Kim Jong-il pouvait être balayé du pouvoir, les jusqu’au-boutistes ont passé par pertes et profits les quelques acquis négociés sous Bill Clinton. Et que s’est-il passé ? Pyongyang, échaudé par l’invasion de l’Irak, a acquis la capacité nucléaire. Après sa réélection, en 2004, Bush est revenu peu à peu sur la plupart de ses engagements précédents.

Les membres de son entourage portent-ils une grande responsabilité dans le désastre ?

Dans le système américain, c’est le président qui décide, surtout en matière de politique étrangère. Cheney, Rumsfeld et les autres ont été plus ou moins influents, mais la responsabilité finale incombe au chef de l’Etat.

L’administration américaine paie-t-elle encore le prix des circonstances dans lesquelles les Etats-Unis ont envahi l’Irak ?

En l’absence d’armes de destruction massive, dont l’existence devait justifier l’entrée en guerre, l’épisode irakien a porté un coup rude à la crédibilité des Etats-Unis sur la scène mondiale. Et ce précédent a provoqué un effet pervers : il nous a rendus trop précautionneux. A l’égard du programme nucléaire iranien, bien sûr, mais pas seulement. Songez que, durant six ans, la Syrie a pu tranquillement bâtir un réacteur nucléaire à quelque 150 kilomètres de la frontière irakienne. Or, nous ne savions rien ou presque de ce projet avant 2007, lorsque le patron du Mossad [agence israélienne du renseignement] a déposé une pile de documents sur la table basse de Stephen Hadley, conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche. C’est alors seulement que Washington découvre une série de preuves concernant ce projet mené à bien avec l’aide de la Corée du Nord. Ce loupé magistral a pu exister car nous nous sommes laissés distraire. Par l’Irak, en particulier. A présent, pour Obama, le temps presse. Sur le dossier iranien, surtout, la question est de savoir s’il pourra désamorcer la situation avant que Téhéran acquière une capacité nucléaire.

Que sont devenus les membres de l’équipe Bush ?

A l’exception de l’ancien vice-président, Dick Cheney, ils se tiennent à l’écart des médias. La plupart sont en train d’écrire leurs Mémoires.

Expriment-ils des regrets ?

Sur des aspects ponctuels, oui. Mais aucun ne remet en question les grands choix stratégiques.

* L’Héritage, par David E. Sanger. Belin, 512 p.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARC EPSTEIN

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