Vuitton : l’empreinte de Jacobs

Marc Jacobs a quitté Louis Vuitton. Bilan du mandat du créateur américain. Ou quand le petit Marc est devenu le grand Louis.

Début novembre dernier, Vuitton officialisait l’arrivée de Nicolas Ghesquière à la tête de sa direction artistique, suite au départ de Marc Jacobs quelques semaines plus tôt. Durant seize ans, le créateur américain a marqué la Maison de son empreinte, au point d’en changer radicalement la perception. Il a bouleversé le patrimoine un peu gelé de la griffe au Monogram, lui dessinant des ambitions d’un luxe définitivement dans l’air du temps. A son arrivée, le célèbre logo effectuera une mue spectaculaire : dépucelé, voire brutalisé, il s’affichera en graffitis sur des sacs criants de couleurs, bruyants de matières insolites, des hiéroglyphes flashy de Stephen Sprouse aux LV multicolores de l’artiste japonais Takashi Murakami.

Dès 1997, Jacobs va faire défiler des belles sur podium, de Naomi à Kate, avec la conscience d’être plus un designer cérébral, entre grunge et cachemire, qu’un couturier classique d’Europe du Nord. La marque Marc Jacobs existe alors depuis quatre ans, a charmé ce qu’il faut de têtes célèbres, comme Sofia Coppola ou Kim Gordon. Le garçon est alors d’allure enrobée, porte lunettes noires rectangulaires avec cheveux longs, un peu gras, et salue en Stan Smith. Pourtant, les premiers pas du créateur n’hésitent pas, la bascule est faite dès le premier défilé Vuitton, où les références américaines cousinent avec les européennes, où les sacs prennent en main quantité d’audaces jamais vues ici.

Tandis que l’excentricité et la démesure anglaise menacent chez Dior avec la suprématie de John Galliano, l’Amérique, truffée d’une symbolique pop, débarque chez Louis Vuitton. Marc Jacobs est venu avec ses amis de l’art contemporain, fort de l’esprit Gagosian et Saatchi Gallery, là où l’art et la couleur de l’argent s’entretiennent mutuellement. La désinvolture warholienne attaque de tous les côtés. Sur l’avant-bras gauche de Marc, un tatouage à l’effigie de Bob l’Eponge, et dans sa tête une foule de collaborations étonnantes : Murakami et ses poupées nipponnes gonflées à l’acide, les infirmières coquines et étranges de Richard Prince reproduites en chair humaine, les hommages non détournés à Yves Saint Laurent version Opium.

Entre-temps, le petit Marc est devenu un grand Louis plein d’assurance : il a maigri, s’est musclé, coupé les cheveux en quatre, et s’affiche en maillot de bain sur les plages de tabloïds en compagnie d’un boyfriend, ancienne star du porno. La mode Louis Vuitton est elle aussi devenue à grand spectacle : on se souvient, pour l’hiver 2012, de l’arrivée en gare de la Cour carrée du Louvre (!) d’une locomotive inspirée de l’Orient-Express avec top-modèles accompagnés de leur majordome. Malgré la pression marketing de cette méga-entreprise, le designer semble assez libre de sa vision, et n’hésite pas à citer l’influence de femmes aussi fortes que Miuccia Prada ou Rei Kawakubo à la veille de la rétrospective Vuitton-Jacobs, au musée des Arts décoratifs, à Paris.

Alors, quel inventaire pour Marc Jacobs ? Un prêt-à-porter mis sur des rails internationaux. Des ventes multipliées par dix. Un chiffre d’affaires de 70 milliards d’euros. Une maroquinerie classique qui rayonne des audaces du podium, moins académiques. Enfin, un accord transatlantique définitif entre une mode américaine que l’on jugeait auparavant de loin et des exigences européennes d’ultraqualité.

FABRICE PAINEAU (AVEC D.K.)

 » Des ambitions d’un luxe définitivement dans l’air du temps. « 

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