Voir n’est pas savoir

On lit dans la kabbale : « Ce qui est découvert appelle la vue, ce qui est obscur appelle le savoir. » Qu’en pense le philosophe ?

Michel Overloop, Bruxelles.

La kabbale est un ensemble de commentaires mystiques issu du monde rabbinique. Il participe, tout en préservant sa spécificité judaïque, au mouvement gnostique qui traverse l’ensemble du monde gréco-romain. Ce mouvement prétend expliquer l’ordre des choses grâce à un lien intellectuel (initiation) et mystique avec la divinité. Ce mouvement, qui prend, au Moyen Age, le nom de kabala (tradition) au moyen-âge se poursuivra jusqu’au XVIIIe siècle. La kabbale, ce sont des milliers de pages. On y trouve des expressions mystiques (comme dans toutes les religions), des intuitions fulgurantes, de précieuses indications sur les représentations intellectuelles des juifs sur près de quinze siècles.

La phrase citée est un bon exemple des fulgurances qui naissent sous les pas de ceux qui se vouent à une recherche lors même que leurs moyens et leurs objectifs sont l’expression d’une mentalité profondément étrangère à la modernité. Celui qui écrit cette phrase veut signifier que le fait de tomber sous les sens n’est pas un élément de connaissance. Voir n’est pas savoir. Quant à ce qui n’est pas tangible – ce qui est obscur, ce qui est derrière ce qu’on perçoit – il ne peut être atteint qu’au terme d’un parcours intellectuel. Celui-ci n’est rien d’autre qu’un ensemble de savoirs acquis pas à pas par un effort de réflexion qui va au-delà de l’information fournie par les sens. Ainsi en est-il de la course du Soleil autour de la Terre. Longtemps, se basant sur leur perception immédiate, les humains voyaient le Soleil tourner autour de la Terre. Ils confondaient la perception immédiate et un savoir : le Soleil tourne autour de la Terre, laquelle est au centre de l’Univers. Maintenant, nous savons que c’est le contraire, mais ce ne sont pas nos sens qui le disent. Un ensemble de connaissances intellectuelles ont décrypté peu à peu l’obscur domaine des agencements cosmiques. Autrement dit, la perception (la vue) ne peut être confondue avec le savoir qui demeure au-delà du sensible, dans l’obscur. Par définition, ce dernier n’est jamais perçu par les sens mais, intellectuellement, par une accumulation rationnelle de savoirs. Le savoir se définirait donc comme notre façon de cheminer dans ce qui n’est pas perceptible. Si, pour la kabbale, le savoir est synonyme d’une quête mystique de Dieu, cette définition du savoir est pour l’homme moderne un rappel permanent que notre connaissance ne se nourrit pas de la perception de la réalité immédiate.

Jean Nousse

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