Vivre les doigts ligotés

Chaque geste, chaque mouvement peut les faire souffrir, quand il ne devient pas carrément impossible : exclues peu à peu d’une vie normale, les personnes atteintes de polyarthrite rhumatoïde tentent de faire reconnaître leurs difficultés

Imaginez une seconde, rien qu’une seule, que vous marchez avec des chaussures pleines de petits cailloux. Essayez, juste pour voir, d’attraper votre verre après avoir, au préalable, ligoté vos doigts avec de gros élastiques. En Belgique, de 50 000 à 100 000 personnes vivent comme si elles avaient des cailloux plein les chaussures, ou les doigts liés, ou les bras et les poignets bloqués: elles sont atteintes d’une maladie chronique mal connue qui s’attaque aux articulations: la polyarthrite rhumatoïde (PR).

Actuellement, les médecins ne connaissent pas encore la cause de cette affection. Ils savent cependant que le système immunitaire (c’est-à-dire le système de défense de l’organisme) joue un rôle prédominant dans la formation de l’inflammation articulaire qui frappe ces patients. Ils soupçonnent aussi que des facteurs environnementaux, comme que la présence de virus ou de bactéries, ainsi que certaines substances dans le cartilage interviennent dans le déclenchement de la maladie. Ils pensent enfin que des facteurs génétiques, avec l’implication de plusieurs gènes, prédisposeraient également à l’apparition de cette pathologie, qui n’est pourtant pas héréditaire.

En pratique, la libération de diverses substances au sein de l’articulation provoque un épaississement de la capsule articulaire. Elle devient alors douloureuse, gonfle et se raidit. Lorsque l’inflammation persiste, les risques d’atteinte du cartilage et les érosions osseuses peuvent conduire à diverses déformations articulaires, accompagnées de douleurs. En général, les petites articulations des mains, des poignets mais, aussi, des avant-pieds sont particulièrement touchées. Tous les patients ne sont cependant pas atteints de la même façon. Pour certains, une poussée inflammatoire unique est suivie d’une rémission prolongée. D’autres connaissent quelques périodes de repos entre les crises. Les derniers, enfin, vivent une atteinte constante, évolutive, avec une inflammation persistante.

Les femmes sont frappées de deux à trois fois plus souvent que les hommes, et plus d’un cas sur deux apparaît après la ménopause. « Le début de la maladie est souvent insidieux et fait penser à des troubles articulaires généraux. De la fièvre, une asthénie (un épuisement) et une perte de poids accompagnent parfois ces premiers signes, explique Christiane Boulanger, présidente de l’Association polyarthrite, qui vient de fêter ses 10 ans. En fait, aujourd’hui encore, le diagnostic et le traitement de cette pathologie, qui peut être confondue avec des rhumatismes ou de l’arthrose, sont toujours insuffisants », déplore-t-elle.

Alexia, 55 ans, ne se plaint pas de ses poignets déformés, qu’elle montre en ouvrant les attelles l’aidant à vivre le plus normalement possible. Ce qu’elle dénonce, c’est d’être restée près de dix ans sans bénéficier d’un traitement adapté à ses souffrances. « Quand j’ai appris qu’il existait un médicament plus efficace et qu’on ne me l’avait pas proposé, j’ai cru que le ciel me tombait sur la tête. C’était comme si on m’avait volé dix ans de santé. »

« A défaut de guérir, différents traitements permettent en effet de soulager les douleurs des malades, de diminuer l’inflammation en régulant le système immunitaire, de freiner l’évolution de la maladie et les dégâts fonctionnels », assure le Pr Patrick Durez, rhumatologue aux cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. Hélas pour les malades, tous les médicaments ne sont pas remboursés. « De surcroît, dans certains cas, il faut faire appel à la chirurgie pour corriger les déformations articulaires et améliorer ainsi le confort de vie des malades, ajoute également le rhumatologue. Ainsi, Alexia a déjà subi dix interventions…

D’autre part, les patients ont besoin d’une rééducation et d’une réadaptation fonctionnelle. Il faut maintenir leur mobilité et renforcer leur musculature mais, aussi, leur apprendre à protéger leurs articulations en adaptant leurs mouvements. Enfin, souvent, un soutien psychologique et social s’avère indispensable: dans 50 % des cas, les malades doivent cesser de travailler. Leur maladie n’est pas apparente, ou très peu, mais ils ne sont généralement pas en mesure de poursuivre leur carrière, sauf si on adapte leur poste de travail à des tâches qu’ils peuvent encore remplir.

En 1995, une enquête menée par l’Assocation polyarthrite auprès de 117 malades avait montré, par exemple, que le simple fait de descendre un escalier ou de prendre un transport en commun est particulièrement problématique pour eux. Faire ses courses, ouvrir un bocal, utiliser un couteau, verser de l’eau, peler des légumes, ouvrir un robinet, porter des assiettes ou une casserole: tout cela devient également rrès difficile… « Tous les jours, dans chacun de nos gestes, la maladie se rappelle à nous, souligne Christiane Boulanger. Une fois le diagnostic posé, il nous faut adapter nos choix de vie: décider si on aura, ou pas, un enfant, renoncer à certaines professions, comprendre que la douleur peut également faire obstacle à une forme de vie sociale normale. On n’accepte jamais la polyarthrite rhumatoïde mais, quand on la comprend, c’est un peu moins difficile. C’est à cela, en particulier, que sert notre association: améliorer la connaissance de cette maladie et aider ceux qui en souffrent. Nos messages s’adressent cependant aussi aux pouvoirs publics. En les informant de nos difficultés spécifiques, nous leur demandons d’améliorer la prise en charge des traitements, souvent coûteux, ou d’accroître les possibilités de faire appel à des aides extérieures pour nous permettre de rester le plus autonomes possible. Enfin, cette maladie doit également être mieux connue du grand public… »

« Lisa avait un peu plus d’un an et demi quand le diagnostic d’arthrite, puis d’arthrite juvénile chronique a été posé, raconte sa maman. Il y avait alors un grand nombre de choses qu’elle ne parvenait pas à faire, car ses mains, ses genoux, ses poignets et ses pieds étaient touchés. Il y a quatre ans, l’inflammation a gagné l’un de ses yeux. » Pour cette mignonne brunette potelée de 7 ans, aller à l’école et dans une cour de récréation a demandé de gros efforts. « Nous avons parlé de sa maladie aux enseignants et donné des explications aux enfants. Grâce à ces clarifications, tout se passe bien pour elle avec ses camarades », assure sa mère.

« Au début, renchérit Christiane Boulanger, je camouflais mes problèmes. J’avais tort. Au travail ou ailleurs, il faut oser expliquer ce qu’est la polyarthrite. Pourtant, quand on le fait, on constate encore que nous sommes très mal compris. Très souvent, en effet, nos interlocuteurs commencent aussitôt à se plaindre de leurs propres bobos, de leurs propres douleurs articulaires, sans comprendre que nous n’évoquons pas un problème d’arthrite mais une autre pathologie, très invalidante. Dans mon couple, nous sommes trois: mon mari, moi et la maladie. » Mais, désormais, de plus en plus de gens savent que, même si elle ne se voit pas forcément, la polyarthrite est une vraie maladie. En reconnaissant les souffrances qu’elle entraîne, ils contribueront sûrement à enlever un de ces petits cailloux qui traîne dans les chaussures des malades…

Rens: Association polyarthrite, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles. Fax: 02-764 89 05. E-mail:

association.polyarthrite@skynet.be

Pascale Gruber

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