Vieux vêtements : où va l’argent?

Parmi les associations qui collectent des vêtements usagés pour le tiers-monde, il faut faire le tri entre l’éthiquement sûr et l’arnaque. L’arrestation aux Etats-Unis d’un responsable d’Humana relance les suspicions

La vitrine est peu attrayante : des mannequins blancs habillés de vêtements qui ont fait leur temps, des affiches délavées représentant la planète Terre avec le slogan « Humana People to People ». Plus loin, une autre affiche proclame qu’ici on vend des vêtements de qualité à des prix fous. L’extérieur ne paie pas de mine et à l’intérieur, c’est un peu pareil : les vêtements de seconde main s’étalent, parfois en vrac, à la vue du client, sans aucune recherche esthétique. Nous sommes au magasin Humana de la place Madou, à Bruxelles, le seul magasin à cette enseigne en Belgique.

L’ASBL, apparue en Belgique en 1986, a comme objectif de collecter des fonds pour financer des projets d’aide et de développement dans les pays d’Afrique, notamment au Mozambique et en Angola. Tout le monde peut apporter sa contribution en déposant des vêtements usagés dans l’un des nombreux conteneurs répartis à cet effet en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie. Ces vêtements sont en partie vendus par le magasin Humana. Les bénéfices ainsi réalisés sont affectés aux projets caritatifs. Le reste de la marchandise est envoyé au centre de tri de Bunnik, aux Pays-Bas et, s’il y a lieu, expédiés en Afrique.

L’empire Tvind

Mais, derrière cette vocation flatteuse, Humana n’est peut-être pas aussi blanche qu’il y paraît. Depuis un certain temps déjà, des liens existant entre cette ASBL et l’empire Tvind ont été mis en évidence, notamment sur le site Internet www.tvindalert.org.uk, ainsi que dans le journal Le Soir. Humana ne serait qu’une branche, – la plus connue en Europe – de cette secte non religieuse dirigée par le Danois Mogens Amdi Petersen, arrêté le 17 février dernier à Los Angeles, aux Etats-Unis. Le « gourou » avait disparu depuis le 25 mai, après le mandat d’arrêt international lancé à son encontre par la justice danoise.

Les problèmes de Amdi Petersen avec la justice ne datent pas d’hier. Cet ancien instituteur révoqué de l’enseignement public au Danemark avait créé, dans la foulée de Mai 1968, les « Petites écoles », des centres d’accueil pédagogiques privés pour enfants et adolescents en difficulté. Rapidement, des campagnes de collecte de vêtements vont avoir lieu dans de nombreux pays européens pour financer ce projet. L’Etat danois va lui-même subventionner ces « Petites écoles » jusqu’en 1996, date à laquelle le ministre de l’Instruction publique fait voter la loi Tvind, qui supprime la majeure partie des subventions. Cette loi empêche les écoles de réclamer des subsides, sauf si elles sont gérées par les autorités communales. Les subventions de l’Etat perçues par Tvind s’élevaient à près de 5 000 euros par élève et par an. La loi sera par la suite abrogée parce qu’elle fut votée de manière irrégulière.

Ces difficultés n’empêchent pas « l’empire Tvind » d’essaimer dans le monde entier, notamment dans les pays en développement. La direction centrale de Tvind a actuellement élu domicile au Zimbabwe, sous le nom de UFF/Humana. Elle bénéficie de la protection des autorités officielles. Aux Etats-Unis, les structures sont identiques : ramassage de vêtements, fondation d’écoles… En Amérique latine, ce sont surtout des plantations. D’autres entreprises appartenant à Tvind sont ensuite apparues en Inde, en Chine, en Polynésie française et même en Italie et au Portugal. Aujourd’hui, le réseau Tvind d’enseignement alternatif regroupe des dizaines d’entreprises et d’organisations dans le monde entier.

La descente aux enfers de Tvind commence lorsque la justice danoise découvre que les dons faits à l’association ne sont pas destinés à soutenir des projets caritatifs, mais bien à être investis dans des entreprises, des plantations au Brésil et même dans une chaîne de télévision privée. Après avoir transité par de nombreuses associations, toutes dirigées par des membres de Tvind, l’argent finit par aboutir dans les poches de Tvind et, donc, de ses dirigeants. La fraude s’élèverait à plusieurs millions d’euros.

A la boutique de la place Madou, on se défend d’avoir quelque lien que ce soit avec Tvind. « Humana n’est pas une secte. Elle n’a rien à voir avec Tvind, ce ne sont que des rumeurs. » Son de cloche encore plus radical à Gand, du côté de la direction d’Humana Belgique : « Tvind n’existe pas, et ce Petersen non plus, proteste Jocelyn Boudry, directeur de Humana Belgique. Je n’en ai jamais entendu parler. »

D’autres plaintes s’élèvent contre Tvind-Humana-UFF, et notamment celles de jeunes Européens recrutés par Tvind. Suite à une petite annonce, ces jeunes gens ont été invités à se rendre à Copenhague, tous frais payés, en vue d’un travail humanitaire au Danemark ou à l’étranger. Un briefing incessant pendant le voyage leur vantait les mérites de l’association. Ensuite, les jeunes ont dû verser entre 1 200 et 2 000 euros pour suivre des cours. Une jeune Française estime que, à la fin d’un week-end auquel elle a participé, au moins un quart des jeunes se sont engagés dans des projets menés par Tvind. Selon Le Soir, on procéderait aussi à des recrutements au siège bruxellois de Humana.

Les personnes engagées sont ensuite formées par l’Université itinérante de Tvind au Danemark. Là aussi, Humana dément ces affirmations et prétend qu’aucun recrutement n’a jamais eu lieu dans ses locaux. « Engager des personnes pour ensuite les envoyer à l’étranger, cela coûte cher, estime Jocelyn Boudry. Humana n’en a pas les moyens. » En France, Humana/Tvind est classé, depuis janvier 1996, comme un mouvement sectaire par une commission d’enquête parlementaire. En Grande-Bretagne, l’association a été dissoute par la justice.

Outre les avatars judiciaires de Humana aux Etats-Unis, de nombreuses associations flamandes étaient récemment montrées du doigt en Belgique, par l’ASBL Terre. Active à Bruxelles et dans toute la Wallonie, cette association qui collecte elle aussi des vêtements usagés n’entend pas critiquer la concurrence mais craint que celle-ci ne menace les actions durables de solidarité. Terre dénonce les associations qui abandonnent l’activité quand le prix du textile est au plus bas, pour réapparaître aussitôt lors d’une flambée des prix. Bizarrement, c’est aussi ce que reproche Humana à l’ASBL Terre. Cette dernière répond qu’elle n’a jamais disparu du marché, sinon comment aurait-elle pu payer ses 280 salariés?

Label éthique

Dès lors, quelles garanties de sérieux offrir à ceux qui veulent donner leurs vêtements à une association caritative? Un label éthique existe, Solid’R, avec un R pour recyclage. Mis en place par le réseau RESsources et certifié par Ethibel – un bureau indépendant de conseil dans le domaine des investissements socio-éthiques et écologiques – ce label garantit le caractère éthique des associations qui y adhèrent, sur la base de critères tels le respect des lois sociales pour les travailleurs, le développement de projets de solidarité, la création et le maintien d’emplois pour les personnes en difficulté… Actuellement, sept organismes ont obtenu ce label : l’ASBL Terre, Oxfam-solidarité, les Magasins du Monde Oxfam, les Petits Riens/Spullenhulp, la Poudrière, De Bouche à Oreille et Tricoop. Ils font tous partie de l’ASBL RESsources, qui regroupe une quarantaine d’entreprises d’économie sociale, actives dans la récupération et le recyclage. Chaque année, ces organismes récoltent plus de 10 000 tonnes de textile en Wallonie et à Bruxelles et consacrent leurs bénéfices à la réalisation d’objectifs sociaux et environnementaux.

Ioana Bosmans

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